De nouvelles dérogations à la législation du travail dans le projet de loi sur le droit à l’erreur

Code du travail par Nadia Djabali

© Ian HANNING/REA

Travailler six jours d’affilés sans pause et avec un temps de repos pouvant être supprimé totalement, c’est ce que prévoit un article du projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance ».

Cela ressemble beaucoup à un cavalier législatif, c’est-à-dire à un article glissé dans un projet de loi qui introduit des dispositions n’ayant rien à voir avec le sujet traité par ce projet. L’article 29 du projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance », appelé plus communément le projet de loi « sur le droit à l’erreur », prévoit des dispositions dérogatoires à la législation du travail pour un certain nombre de salariés. Ceux qui travailleront à domicile pour relayer des personnes qui aident un proche souffrant d’une pathologie lourde (handicap, Alzheimer).

Un rapport de mars 2017

L’article 29 est largement inspiré d’un rapport de mars 2017 rédigé par Joëlle Huillier, alors député de l’Isère. La parlementaire a proposé d’adapter l’expérience québécoise du « baluchon Alzheimer » qui permet à l’aidant familial de partir se reposer quelques jours avec son baluchon. « La baluchonneuse », c’est-à-dire l’aide à domicile, s’installant à demeure pendant que l’aidant reprend son souffle.

À moins de recruter plusieurs personnes se succédant toutes les huit à douze heures chez un même bénéficiaire, le dispositif ne peut être importé en France car la législation prévoit des temps de pause et de repos entre deux journées de travail ainsi qu’un encadrement du travail de nuit. C’est pourquoi le rapport de la députée de l’Isère préconisait la création d’un statut dérogatoire à la législation du travail afin que le remplacement soit assuré que par un seul salarié. Pour ce faire, Joëlle Huillier recommandait d’adapter les contraintes légales liées à l’organisation quotidienne et hebdomadaire du travail de nuit et de la durée minimale de repos quotidien prévues par les conventions collectives applicables aux établissements et services qui les emploient, ainsi qu’à la durée d’une intervention au domicile d’une personne et au repos compensateur.

Six jours de travail sans pause

Le projet de loi présenté en conseil des ministres le 27 novembre 2017, pour un examen au Parlement au premier trimestre 2018, crée donc ce statut dérogatoire. Le nouveau régime prévoit pour ces salariés jusqu’à six jours consécutifs d’intervention ; jusqu’à quatre-vingt-quatorze jours d’intervention sur douze mois consécutifs ; onze heures de repos quotidien pouvant être supprimé totalement ou réduit à huit heures avec attribution d’un repos compensateur à l’issue de l’intervention, et dans des conditions qui seront fixées par décret ; absence d’application d’une durée maximale hebdomadaire en valeur absolue, mais quarante-huit heures maximum en moyenne sur quatre mois consécutifs avec prise en compte de la totalité des heures de présence ; absence d’application d’une durée maximum de travail de nuit ; absence d’application des règles relatives à la pause.

Pendant les interventions, les dispositions légales et conventionnelles applicables traditionnellement aux salariés du particulier employeur et aux salariés des établissements sociaux et médico-sociaux sont écartées au profit de ce nouveau régime.

Présence 24 h sur 24

Isabelle Roudil, secrétaire fédérale FO en charge des aides à domicile, ne cache pas son inquiétude : La salariée sera présente nuit et jour avec des temps de pause et de repos quotidien supprimés. Au-delà des six jours, que se passera-t-il ? Des dérogations à cette limite de six jours pourraient rapidement se profiler, craint la secrétaire fédérale.

Ce dispositif est prévu pour des personnes dont l’état mental et physique rend difficile une prise en charge dans des établissements spécialisés. Cela va être chaud pour la salariée qui va intervenir car elle devra s’occuper de personnes ayant des pathologies lourdes., poursuit Isabelle Roudil. Au-delà du moral d’acier nécessaire, s’ajoute une autre dimension du travail : les transferts du lit à un fauteuil ou dans le bain, des gestes qui à la longue se payent physiquement.

Du matériel spécifique difficile à obtenir

Reste à savoir si les domiciles seront équipés de matériels spécifiques tels que des lits médicalisés ou des lève-personnes. Rien n’est moins sûr. Il faut parfois des mois et des mois pour faire admettre aux familles qu’il faut acquérir du matériel qui serait bon pour l’usager et pour l’aide à domicile. Même lorsque la famille est d’accord, parfois les logements trop exigus ne le permettent pas.

Pourquoi insérer cet article 29 dans un projet de loi sur le droit à l’erreur ?, s’interroge Isabelle Roudil. C’est vrai que les aidants familiaux ont droit à du repos mais cela coûte beaucoup moins cher à l’État de laisser les personnes dépendantes en famille. Plutôt que d’adapter les établissements médico-sociaux, on va sacrifier les conditions de travail des personnes qui vont intervenir. Des nouvelles dispositions, qui, si elles sont votées, s’inscriront dans un contexte déjà dégradé : la convention collective des aides à domicile figure parmi les moins protectrices du salariat.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante

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