Alors que les Français se préparent à affronter la deuxième onde de choc de la crise sanitaire, les géants de la restauration collective tirent, les uns après les autres, les conséquences de la première vague qui a plongé durablement dans le marasme leurs cantines d’entreprise, entre la chute d’activité pendant le confinement, les fermetures (pour certaines devenues définitives) et le développement du télétravail qui diminue le nombre de salariés sur les sites. Moins d’un mois après l’annonce faite par Elior France d’un plan social visant 1 888 suppressions d’emplois dans ses restaurants d’entreprise (17 % des effectifs), Sodexo a présenté, mardi 28 octobre en comité social et économique central (CSE-C), une restructuration aussi massive.
Le groupe français prévoit « la suppression nette de 2 083 postes » en restauration collective dans l’Hexagone (7 % de ses effectifs), pour les deux-tiers dans le segment Services aux entreprises, chez Sodexo Entreprises et Sogeres Entreprises. Et ce, également dans le cadre d’un plan social. 184 postes seraient aussi supprimés chez le traiteur Lenôtre (sur 400) et 100 au sein de la holding Sodexo SA (sur 500).
FO Sodexo exige une analyse, site par site
En réponse, des dizaines de militants de FO, première organisation syndicale du groupe, ont manifesté mardi devant le siège à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), pour exiger que toutes les solutions possibles
soient mises en œuvre afin d’éviter la casse sociale.
Nous serons extrêmement vigilants à ce que les suppressions de postes correspondent aux conséquences structurelles de la crise, c’est-à-dire à des prestations d’activité détruites et à des fermetures de sites. Aucune suppression ne doit s’inscrire dans un objectif de rentabilité ! Nous exigerons une analyse de la situation, site par site
, prévient Eric Villecroze, délégué syndical central FO et coordinateur groupe Sodexo France.
Le numéro deux mondial de la restauration collective présente la restructuration comme une réponse à des enjeux structurels de long terme
. Sur l’exercice 2019/2020 (clos fin août), il a réalisé un chiffre d’affaires de 19,3 milliards d’euros dans le monde, en baisse de 12 %, et vu son résultat net s’effondrer, d’un bénéfice de 665 millions d’euros à une perte de 315 millions d’euros.
Pour FO, priorité doit être donnée à la mobilité interne
FO veillera à ce que Sodexo donne la priorité à la mobilité interne volontaire des salariés, par exemple du secteur Services aux entreprises vers ceux qui s’en tirent mieux, comme le médico-social, le nettoyage ou la pénitentiaire. Et l’entreprise doit intégrer une clause de retour à meilleure fortune, assurant aux salariés ayant accepté une mobilité interne qu’ils regagneront leur poste antérieur si la situation économique s’améliore
, renchérit Nabil Azzouz, secrétaire fédéral du secteur hôtels, cafés, restaurants (HCR) et franchises à la FGTA-FO.
Le militant demande aussi des mesures de formation assurant l’employabilité des salariés Sodexo, en mobilité externe, chez les entreprises partenaires. Enfin, il exige des mesures de départs en retraite anticipée et un plan de départs volontaires. Une dernière solution écartée (pour l’instant) par Sodexo France. Reçus par la direction générale, les représentants FO ont présenté leurs revendications.
Des salariés dans l’angoisse
La procédure sociale sera lancée lors d’un CSE-C extraordinaire les 5 et 6 novembre. D’ores et déjà, Sodexo assure vouloir mettre en œuvre toutes les mesures de maintien dans l’emploi pour ses collaborateurs
. Comme la loi l’y contraint, le groupe va proposer un reclassement aux salariés concernés mais, précise-t-il dans un communiqué, en élargissant les choix (…) dans toutes les autres activités du groupe en France
. Quelque 600 postes seraient ainsi disponibles.
Si Sodexo entreprises et Sogeres Entreprises seront principalement impactées, toutes les marques sous lesquelles Sodexo opère en restauration collective sont concernées par la restructuration
, précise Eric Villecroze, DSC FO, qui décrit des salariés inquiets depuis trois mois et, pour certains, dans l’angoisse depuis fin septembre
. Les chiffres de fréquentation se sont alors dégradés. Surtout, le 30 septembre, le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) annoncé chez Elior France, concurrent et leader tricolore de la restauration collective, avec 1 888 suppressions d’emplois dans les cantines d’entreprise, a été analysé comme le premier d’une liste amenée à s’allonger.
Une casse sociale inédite dans le secteur
Chez Elior Entreprises, le choc reste entier. Dans le détail, 1 553 suppressions d’emplois concernerait Elior Entreprises, et 335, la filiale Arpège de restauration d’entreprise haut de gamme. Jamais, nous n’avons connu une restructuration de cette ampleur, avec autant de destructions d’emplois et quasi-exclusivement dans les fonctions de production. Jusqu’à présent, les restructurations se limitaient à des réorganisations lors de rachat ou fusion d’activité. Cette casse sociale est inédite chez Elior Entreprises, comme dans le secteur
, alerte Gilles Garnes, délégué syndical central de FO. Le militant parle d’expérience, fort de 33 ans d’ancienneté. Aujourd’hui, il décrit des salariés « en panique
.
Les équipes FO passent leur temps à rassurer, alors que la procédure sociale débute à peine. Les inquiétudes sont légitimes : dans nos métiers, majoritairement occupés par des femmes, les salaires sont peu élevés et les temps partiels, légion. Sur le plan humain, c’est dur aussi. Les salariés ont fait d’énormes efforts pendant la pandémie pour se tenir à disposition de l’employeur, travailler par roulement, alors même qu’il a refusé de prendre en charge l’indemnité complémentaire d’activité partielle (16 % du salaire net) pour qu’ils touchent 100 % de leur rémunération. Ils ne comprennent pas sa préférence pour le licenciement. Il leur fait payer une seconde fois la note de la Covid
, commente le DSC FO, qui dénonce une volonté de restructurer par anticipation
et de l’opportunisme stratégique.
Elior Entreprises calibre son plan social sur 20 % de baisse d’activité
La crise sanitaire et économique (…) amplifie (…) des mutations structurelles profondes dans les activités de restauration collective en entreprises
, justifie Elior Entreprises, qui aurait calibré la restructuration sur une baisse d’activité pronostiquée durable de 20 %.
A quelle échéance ? interroge Gilles Garnes. Ces 20 % de perte d’activité, en raison des évolutions de la relation des salariés au travail ou des modes de consommation, ne seront définitifs qu’à moyen ou long terme. Dans l’immédiat, Elior a les moyens de maintenir les emplois jusqu’à la fin 2020, déjà avec le chômage partiel. Selon les experts, accompagnant le CSE-C dans son droit d’alerte économique, le groupe est solide financièrement et sa trésorerie, saine. Le PSE aurait pu être évité
, commente-t-il. En complément du PSE, le groupe de restauration a déjà annoncé son intention de prolonger l’activité partielle par le nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD).
Compass France, seul à choisir les départs volontaires
Le tableau des destructions d’emploi dans le secteur serait incomplet sans Compass Group France. La filiale tricolore du britannique Compass a engagé, cet été, la négociation de départs volontaires, sous la forme d’une rupture conventionnelle collective (RCC) visant la suppression de 1 500 emplois (12 % de ses effectifs) sur tous les secteurs couverts : entreprises, socio-médical, scolaire. Les cantines d’entreprise et scolaires ont été les plus touchées par la crise. Les premiers départs volontaires sont prévus à partir d’avril 2021, jusqu’en décembre
, commente Raphaël Jeanroy, secrétaire général de FO Compass, qui décrit ici aussi des salariés très inquiets qu’il faut rassurer en permanence sur l’absence de départs contraints chez Compass Group France
. Depuis l’annonce des PSE chez les concurrents Elior France et Sodexo, le syndicat est assailli d’appels. L’accord RCC est mis à signature jusqu’au 5 novembre.
Compass Group France veut aussi activer le dispositif d’activité partielle longue durée (APLD). S’il n’existe pas d’accord de branche sur le sujet, la FGTA-FO a déjà fixé sa ligne rouge : pas de licenciement économique pendant toute la durée de l’APLD, pour préserver l’emploi.