Après s’être séparé de Dia en 2011, le groupe Carrefour opère une volte-face et rachète Dia France trois ans plus tard. L’autorité de la concurrence émet un avis favorable au rachat mais ce dernier est assorti de préconisations demandant au groupe français de la grande distribution de se séparer de 56 sites. La majorité tombe dans l’escarcelle d’Auchan qui les transfère à sa filiale A2pas.
Quelque temps plus tard, Carrefour décide de se séparer d’une centaine de magasins Dia supplémentaires. C’est dans ce contexte qu’un repreneur polonais fait une proposition. Le « groupe » Gastt souhaite développer l’enseigne Okey, une chaîne de magasins de proximité qui se focalisera sur la vente de produits frais traditionnels. Carrefour lui cède 37 magasins.
Salariés d’un groupe puis d’une TPE
Le concept développé par Gastt : un réseau de franchisés sous-louant des espaces de vente à des entreprises ou à des artisans qui vendent leurs produits. « Il refait sur un petit format ce que font les Galeries Lafayette », remarque Gérard Covache. Chargé de mission, il suit l’affaire de près avec Carole Desiano, secrétaire fédérale de la FGTA-FO. « Les salariés pensaient qu’ils resteraient dans un groupe de la grande distribution, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Ils devenaient salariés d’une TPE avec un gérant, très peu de salariés et des îlots de vente n’appartenant pas au magasin. »
Avesnes-sur-Helpe : l’ancien magasin Dia et ses quatre salariées dans la tourmente - La Voix du Nord https://t.co/HWdbzQzWkN
— Force Ouvrière (@force_ouvriere) 29 août 2016
Aujourd’hui, sur les 37 magasins cédés par Carrefour, seuls huit ont été effectivement vendus. Deux magasins dans le Nord, deux en région lyonnaise, deux à Paris et deux à Marseille. Mais ce transfert de propriété risque bien de s’arrêter-là. Gastt ne semble pas être en mesure d’assumer la logistique et les obligations légales et contractuelles que ces lieux de vente nécessitent.
Pas de salaire depuis juillet
Aucun des salariés n’a reçu de rémunération depuis juillet. Et le salaire du mois d’août risque bien de se faire attendre. Les salaires de juin, versés avec une dizaine de jours de retard, ont été payés avec l’ensemble des congés payés acquis par les salariés transférés par Carrefour à Gastt. Lors d’un transfert de salariés, la société cédante, c’est-à-dire Carrefour, verse les congés payés des salariés à la société repreneuse (Gastt).
Le nouveau concept Okey nécessite le réaménagement des huit magasins. Avant de baisser le rideau fin mai, les salariés ont mis sur palettes les marchandises, déboulonné les enseignes, démonté le matériel informatique. Mais depuis, aucuns travaux n’ont débuté et aucun calendrier n’a été communiqué.
« Le gérant Adam Kuzmicz affirme qu’il a demandé une période de chômage technique », raconte Gerard Covache. « Questionnées par FO, aucune des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) n’a été saisie par Gastt pour une demande de chômage technique. »
« Le vrai concept développé par M. Kuzmicz ce sont des magasins laissés à l’abandon et des salariés livrés à eux-mêmes. », poursuit Gérard Covache. Pire, ajoute le chargé de mission de la FGTA-FO, le groupe Gastt est inconnu aux adresses qu’il mentionne dans ses courriers. Le « groupe » Gastt est en fait une société familiale qui déploie une activité de grossiste et exploite trois épiceries fines polonaises à Paris.
40 salariés, 40 cas différents
Les élus Force Ouvrière des différents magasins se sont coordonnés. À la FGTA-FO c’est le branle-bas de combat. Quarante salariés se sont tournés vers le syndicat et d’autres vont encore arriver.
Chaque salarié est un cas différent. Certains n’ont qu’un seul revenu : le leur. Pas de conjoint qui travaille ni de parents qui peuvent donner un coup de main. Il y en a qui ont des conjoints malades. Un salarié s’est fait couper le téléphone et l’internet, il n’a pas pu payer ses factures. Une femme doit 600 euros à son orthodontiste. Elle lui a fait trois chèques qu’il doit déposer. Certains ont engagé des frais de santé mais n’ont plus de mutuelle. Cette dernière n’a pas n’a pas touché les cotisations. D’autres ont des pensions alimentaires qu’ils ne peuvent plus payer ou des prêts immobiliers à rembourser ou trois mois de loyer de retard.
Dans tous les cas, ce sont des petits salaires qui tournent entre 1 300 et 1 600 euros net. Des budgets serrés sans épargne. Tous vivent très mal cette situation que cela soit financièrement ou psychologiquement. « La chance qu’ils ont c’est qu’ils parlent entre eux, qu’ils échangent, ils viennent à la fédération », remarque Gérard Covache. « Aujourd’hui, ils ont besoin de concret : avoir des sous dans leur poche, avant d’aller voir le banquier, payer le loyer et la rentrée scolaire qui approche ».
Reprise par Carrefour des contrats de travail
La FGTA-FO négocie avec le groupe Carrefour la reprise des contrats de travail. « On a dit à Carrefour : vous vous occupez des salariés, nous on s’occupe du juridique », c’est-à-dire du référé aux prud’hommes et du tribunal de commerce. L’avocat de la fédération a rencontré le procureur de la République. Le groupe de la grande distribution a validé le principe de la reprise mais les salariés doivent être libres de tout contrat avec Gastt.
L’urgence : que les salariés puissent récupérer des fonds auprès du régime de garantie des salaires (AGS) et que les salariés soient réintégrés chez Carrefour. Et pour cela la société qui les emploie doit être mise en cessation de paiement.
Pour parer au plus pressé, faire des courses pour manger ou préparer la rentrée scolaire, la FGTA va remettre aux salariés un bon d’achat. Carrefour va assurer à ces salariés un prêt à taux zéro.
Le groupe Carrefour a validé le principe de réintégration des salariés mais il y a un calendrier à mettre en place et notamment que la société Gastt soit dissoute.
À la FGTA, on s’interroge. Comment une telle affaire de délinquance sociale est possible ? Comment peut-on duper des personnes qui sortent de grandes écoles de commerce ? Le groupe Carrefour et l’autorité de régulation de la concurrence ont été roulés dans la farine. Et les salariés qui en ont fait les frais ont besoin de solutions de toute urgence.