Des réformes destructrices pour soutenir le nouveau repli des dépenses publiques en 2019

Finances publiques par Valérie Forgeront

Elles seront à la baisse. Et pas qu’un peu. Les dépenses publiques et notamment celles de l’État devront connaître un nouveau recul l’an prochain prévoit l’Exécutif. Le chef de l’État et le gouvernement ont annoncé en effet l’axe budgétaire qui doit présider à la construction en cours du projet de Loi de finances pour 2019 : une mise à la diète sévère. Le gouvernement avertit de l’arrivée prochaine de mesures d’économies et de mesures de réformes structurelles. Une restructuration des administrations des finances publiques et des douanes est d’ores et déjà annoncée. Ces projets qui menacent des milliers d’emplois et des missions publiques sont en adéquation avec la philosophie du programme CAP22 que FO conteste comme une « attaque majeure » contre la sphère publique.

Selon les données transmises au Parlement dans le cadre du débat d’orientation budgétaire qui vient de s’ouvrir, les dépenses de l’État ne devront pas progresser de plus de 1,6 milliard d’euros l’an prochain. C’est donc trois fois moins que la progression constatée entre 2017 et 2018. Les dépenses seront au régime sec, une fois de plus et de manière toujours plus exacerbée.

Dans son discours devant le Congrès (députés et sénateurs) réuni à Versailles le 9 juillet dernier, le président de la République a fait part de sa volonté d’un « ralentissement de la hausse continue des dépenses ». Le chef de l’État fait le lien entre « la baisse des impôts » qui a été « décidée » et qui induit inévitablement un manque à gagner de recettes fiscales dans les caisses de l’État et le devoir pour le gouvernement « d’assumer » en décidant de compenser ce défaut de recettes par un recul de la dépense publique.

Le choix de l’État de se priver de recettes

Le discours est connu. Reste que pour 2018 déjà, la baisse de la fiscalité concerne principalement les entreprises et les ménages aisés, cela entre autres à travers une nouvelles baisse de l’impôt sur les sociétés, la poursuite de l’application du crédit d’impôt CICE, la suppression de l’ISF ou encore la création du prélèvement forfaitaire unique. Rien que ces deux dernières mesures doivent entraîner un manque à gagner d’environ cinq milliards d’euros sur l’année.

Pour 2019, l’État fait donc le choix de se priver une fois de plus de recettes quitte à soumettre les dépenses à une diète de plus en plus sévère. L’année prochaine serait donc sur le même mode que 2018. Le ministre de l’Action et des Comptes publics, M. Gérald Darmanin faisait part le 7 juillet dernier de sa satisfaction : l’an prochain la progression de la dépense publique se situera « en dessous de 0,8% »…

Le 9 juillet, le président de la République annonçait quant à lui l’arrivée imminente de mesures visant à participer à un nouveau recul de la dépense publique.

De prochaines mesures pour réduire davantage encore les dépenses publiques

Le Premier ministre, indique M. Emmanuel Macron « présentera dans les prochaines semaines les nouvelles décisions permettant de tenir les engagements de baisse de nos dépenses publiques », cela « avec des choix forts et courageux ». D’ici 2022, l’Exécutif entend en effet que la dépense publique recule de 3 points de PIB, soit environ 60 milliards d’euros. Certains analystes économiques estiment que le recul atteindrait plutôt les 80 milliards d’euros.

Le président de la République ajoute une seconde annonce. « D’ici la fin de l’année, le Premier ministre présentera l’ensemble des décisions pour la transformation de l’action publique ». Par « décisions » il faut comprendre des mesures d’économies auxquelles s’ajouteront des annonces qui concerneront une « réorganisation de l’État ».

Les propositions de réformes qui agrémentent le rapport du Comité action publique 2022 (CAP22) ne sont pas évoquées. Ce rapport récemment transmis au gouvernement sera publié lorsque l’Exécutif aura annoncé ses décisions de mesures de réformes indiquaient les services du Premier ministre le 13 juillet. Les annonces doivent avoir lieu entre juillet et octobre. La publication du rapport aura lieu alors. D’ici là, le gouvernement aura puisé des idées de réformes dans ce rapport. Et pour cause. Selon le cahier des charges transmis à l’automne dernier par le gouvernement aux membres de ce comité, CAP22 devait présenter des mesures de réformes structurelles concernant l’organisation et les missions de la sphère publique. Des mesures porteuses d’économies, au besoin en supprimant ou en externalisant des missions publiques…

Pour FO « l’attaque est majeure »

En avril dernier à Lille, lors du XXIVe congrès confédéral FO, les délégués ont inscrit dans la Résolution générale leur opposition à cette philosophie de réformes nuisibles. « Les quatre chantiers pour « refonder le contrat social avec les agents publics » et son programme « Action Publique 2022 » sont une attaque majeure contre le Service public et ses agents, tout autant que contre les citoyens eux-mêmes. Ils s’inscrivent dans les réformes précédentes dont l’objectif est (…) la remise en question voire la suppression de missions publiques et leur cortège de nouvelles destructions de postes. Cela remet non seulement en cause le statut général (de la Fonction publique, Ndlr) mais prépare aussi, via la mise en place de primes de départ, un véritable plan social d’ampleur. »

Le 9 juillet dernier, le président de la République a indiqué que la « réorganisation de l’État » doit signifier « plus de présence sur les territoires, plus de souplesse de gestion ». Il faut précise-t-il « enrayer un mode d’action publique qui a toujours procédé aux économies en réduisant la présence sur les territoires ».

Depuis une dizaine d’années en effet, moult réformes appliquées aux services publics ont entrainé un recul de la présence de l’État sur le territoire.

L’alibi du diktat européen

Au fil de la RGPP (2007-2012/révision générale des politiques publiques) puis de la Reate (2010/réforme de l’administration territoriale de l’État), de la réforme territoriale (depuis 2014) apportant notamment la loi Maptam (modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles) ou encore la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République), les services restructurés maintes fois ont perdu des implantations locales et départementales selon une philosophie de fusion/regroupement des services au plan régional, échelon devenu majeur dans le cadre de la réorganisation de l’État et sur la base d’un découpage administratif (en 2016) en treize régions contre vingt-deux auparavant.

Dans ce mouvement de re-concentration des services au niveau de la « grande région », les services publics ont subi la suppression de milliers d’emplois publics et perdu des missions. Depuis une dizaine d’années, les différents gouvernements ont justifié cette volonté de réduire la voilure de l’État et de ses services déconcentrés par la nécessité d’un recul –à marche forcée- de la dépense publique, cela afin d’enregistrer un recul rapide du déficit public… L’objectif étant de se plier aux engagements de la France vis-à-vis de l’Europe dans le cadre du « programme de stabilité » des finances publiques.

Les projets actuels de l’Exécutif seraient-ils donc différents ? Difficile de le croire. Selon la trajectoire des finances publiques prévue d’ici 2022, la visée reste la même. Ainsi le gouvernement prévoit que le déficit public devrait s’établir à 2,3% du PIB en 2019 puis à 1,1% en 2020 puis à 0,6% en 2021. En 2022, le solde des comptes publics devrait revenir à l’équilibre. Cette marche forcée vers l’équilibre des comptes sera assortie d’un recul massif de la dépense publique.

Vers une nouvelle restructuration dévastatrice aux finances publiques

« Le président de la République assume le choix d’une domination de l’économique sur le social. (…) Il affiche que le volet social pourra attendre encore longtemps avant d’avoir voix au chapitre » s’indignait le 9 juillet le secrétaire générale de la Confédération FO, Pascal Pavageau.

Dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2019, le gouvernement programme ainsi une diminution des crédits pour neuf missions ministérielles. Les secteurs du Travail et de la Cohésion des territoires verraient par exemple leurs budgets reculer de 2,07 milliards d’euros pour le premier et de 1,16 milliards pour le second. Par ailleurs si, en volume, les budgets de certains secteurs ministériels (Défense, Solidarité…) bénéficieraient l’an prochain d’une évolution de crédits à la hausse, c’est sans compter avec l’impact de l’inflation qui, selon les prévisions, pourrait s’élever à 1,75% en 2019…

Certains secteurs tels les finances publiques ou encore les douanes sont eux d’ores et déjà prévenus que l’année 2019 sera rude. Et celles qui suivront, aussi. Le 11 juillet, le ministre de l’Action et des comptes publics, M. Darmanin a annoncé en effet une « réorganisation territoriale entière » des services du ministère de l’Economie et des Finances d’ici 2022.

La crainte d’un nouveau massacre des emplois

Il s’agit selon le ministre d’effectuer un « mouvement de déconcentration de proximité d’une partie des services de l’Ile-de-France vers les régions et des métropoles vers les territoires ruraux ou périurbains ». Il faut selon lui pallier les problèmes des « territoires délaissés », « des territoires les plus touchés par le manque de services publics ». Doit-on croire à un revirement de tendance après, par exemple, la fermeture massive de nombreuses trésoreries depuis une dizaine d’années ? Au contraire.

Le ministre s’est empressé d’expliquer, mais sans donner de chiffres, qu’une telle réforme induirait des suppressions de postes. Peu importe semble-t-il si le secteur des finances publiques (DGFIP) a perdu déjà plus de 30 000 postes en quinze ans et si le secteur des douanes a perdu lui plus de 6000 postes en vingt ans et subi aussi moult restructurations qui ont supprimé les implantations locales.

« Il serait illusoire de croire que ces transformations ne s’accompagneront pas d’une baisse de l’emploi public » assène M. Darmanin. Certains médias évoquent 20 000 suppressions d’emplois dans les ministères économies et financiers d’ici 2022. Pour FO finances, qui redoute le nombre de suppressions de postes qui seront inscrites fin septembre dans le cadre du projet de loi de finances 2019, tout reste à préciser.

FO s’opposera toujours aux « offensives frontales et dénaturations sournoises »

La Résolution générale du XXIVe congrès confédéral FO, les délégués résumaient la nature des attaques contre la sphère publique et réitéraient les revendications.

« Depuis de nombreuses années, le Service Public et ses agents publics sont la cible favorite des politiques de réduction des budgets publics, concentrant sur eux fantasmes et démagogies pour faire du fonctionnaire un prétendu privilégié afin de protéger les vrais privilégiés, ceux du capital. D’offensives frontales en dénaturations sournoises, les attaques contre le statut général et les statuts particuliers n’ont jamais cessé. Or, les besoins publics explosent, aggravés par les conséquences des politiques de rigueur menées depuis des dizaines d’années, elles-mêmes amplifiées par les conséquences de la crise mondiale de 2008. Leurs effets dévastateurs se font désormais ressentir dans l’ensemble des services, administrations et établissements, quand ces derniers ne sont pas fermés, conduisant à toujours plus de désertification des services publics. A l’aube des élections dans la Fonction publique du 6 Décembre 2018, Force Ouvrière entend défendre avec force et détermination les agents publics, le statut ainsi que les droits et garanties collectives afférents. Dans un tel contexte de menaces sur la République, il est grand temps que, face aux attaques des exécutifs successifs, les fonctionnaires et agents publics bénéficient d’une véritable reconnaissance ».

Les agents poussés vers la sortie ?

Le ministre de l’Action et des comptes publiques, M. Darmanin, précise lui qu’à l’occasion de cette nouvelle restructuration, il faudra « parler de l’accompagnement social des agents qui pourraient voir dans ces relocalisations une grande opportunité de changement de vie »… Par ces « relocalisations » qui ressemblent fort plutôt à des délocalisations de services sans pour autant que de nouveaux services soient créés, le ministre envisagent donc que les agents « délocalisés » puissent changer de vie… On peut comprendre qu’ils quittent la Fonction publique.

Le concept des départs volontaires des agents est d’ailleurs un des quatre axes de réforme présenté actuellement aux personnels par le ministère dans le cadre de chantiers de « concertations ». Cet axe comme les trois autres (développement des emplois contractuels, du salaire au mérite, restructuration des IRP) est totalement rejeté par les organisations syndicales, notamment par l’Iinterfédérale des fonctionnaires FO (UIAFP-FO).

Pour FO ce sont des gages donnés aux marchés financiers

Lors du dernier Congrès confédéral FO encore, les délégués ont souligné dans la résolution générale combien ils s’élevaient contre les attaques menées par les récents gouvernements contre les missions publiques et les agents. « En réduisant les moyens publics, en multipliant les suppressions de postes, en détruisant les services publics et en transférant les missions publiques au secteur privé, les gouvernements de ces dernières décennies ne cessent de se conformer à l’idéologie libérale et dérégulatrice, afin de donner des gages aux marchés financiers. Pénurie d’agents, dégradation des conditions de travail, perte conséquente de pouvoir d’achat, mobilités forcées fonctionnelles ou géographiques, complexité accrue des tâches, remplacements insuffisants voire inexistants : à force de déverser des missions supplémentaires dans les établissements qui sont déjà au bord de l’asphyxie, la mise en danger des agents est plus que jamais prégnante. Le Congrès exige les recrutements nécessaires à l’exercice des missions et rappelle que, conformément au Statut général des fonctionnaires, les emplois permanents doivent être systématiquement pourvus par des fonctionnaires titulaires ».

La solution du gouvernement ? La privatisation !

Pour l’actuel gouvernement, au-delà des suppressions de postes dont le nombre sera « précisé » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, cette restructuration territoriale des secteurs de Bercy aurait un autre avantage…. Elle permettrait « des économies d’échelles importantes sur l’immobilier » explique-t-il sachant que le prix de l’immobilier est moins cher hors des grandes métropoles. Les agents goûteront l’humour. Le 13 juillet, la direction générale des finances publiques (DGFIP) indiquait par la voix de son directeur que le mouvement de fermeture des trésoreries serait "accéléré" ces prochaines années sur l’ensemble du territoire. L’objectif est "de resserrer très significativement le nombre de nos implantations" précise le directeur. On ne peut être plus clair.

Cette restructuration annoncée au sein des finances publiques serait donc de grande ampleur et impacterait les missions. Les douanes perdraient certaines de leurs missions (par exemple le recouvrement des taxes sur le carburant ou sur le tabac) transférées aux services de la DGFIP. Par ailleurs, les services des impôts devraient eux bientôt ne plus accepter de réaliser l’accueil des usagers ne disposant pas de rendez-vous.

Sans en préciser la date, le ministre annonce aussi la création d’une « agence unique de recouvrement ». Elle serait censée regrouper les missions différentes de recouvrement assurées actuellement par les Urssaf qui prélèvent les cotisations sociales, par la DGFIP et les douanes qui s’occupent, elles, des impôts et taxes.

Le ministre annonce par ailleurs que d’ici 2022, l’administration fiscale n’acceptera plus les encaissements d’argent liquide pour le paiement de petites sommes d’impôt. Le ministère a exposé la solution : l’externalisation, la privatisation de la mission. Selon l’issue d’un appel d’offre, cette mission publique d’encaissement sera confiée à La Poste ou à des buralistes.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante