Discours d’Yves Veyrier à Chauny pour l’inauguration du monument élevé en hommage et pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914–1918

Discours par Yves Veyrier

Discours d’Yves Veyrier, secrétaire général de la CGT Force Ouvrière, à Chauny, lors de l’inauguration du monument élevé en hommage et pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914 – 1918

Monsieur le maire,
Mon cher Marcel, camarade et ami,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Chers camarades,

En tant que Secrétaire général de la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière, je tiens à remercier chaleureusement les organisateurs, et particulièrement la Libre Pensée avec qui nous entretenons depuis toujours de bonnes et solides relations, de nous avoir invités aujourd’hui.

Le syndicalisme ouvrier, le syndicalisme aujourd’hui comme hier, est par essence pacifique parce qu’internationaliste.

Dès ses origines, le mouvement syndical s’est organisé au niveau international. Les fédérations syndicales internationales ont le même âge très souvent que les confédérations nationales.

Deux slogans, deux mots d’ordre ont fondé nombre d’engagements militants, dont le mien qui m’a conduit à la fonction de secrétaire général.

Le premier, non pas chronologiquement, « Pain – Paix – Liberté ». Il est celui du Front populaire mais il fut aussi celui de la CISL, la Confédération internationale des syndicats libres, à sa fondation en 1949.

D’une certaine façon il était continuateur de l’affirmation du préambule de la constitution de l’OIT, l’Organisation internationale du travail – dont on célèbre le centenaire cette année – qui affirmait : « attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ».

L’OIT s’est assignée l’objectif d’établir des normes internationales du travail visant justement à établir le progrès vers la justice sociale.

Ce n’est donc pas un hasard si l’on trouve Léon Jouhaux, alors secrétaire général de la vielle CGT, à l’origine de l’OIT. Léon Jouhaux qui, devenu président de Force Ouvrière en 1947, recevra en 1951 le prix Nobel de la Paix.

Et Jaurès, bien sûr, qui, jusqu’à son dernier souffle – et c’est pour cela « qu’ils l’ont tué » – voulait la Paix, éviter la guerre.

Malheureusement ils n’y parvinrent pas.

Léon Jouhaux et son homologue des syndicats ouvriers allemands s’étaient encore rencontrés dans les derniers moments, en vain !

La masse de la classe ouvrière et paysanne a été envoyée au front, trompée par la propagande.

Cette guerre fut terrible, les uns et les autres, avant moi, l’ont rappelé.

Pour qui désormais n’en entendra plus parler par ses arrière-grands-parents ou grands-parents, il faut impérativement l’apprendre, lire « Ceux de 14 », « A l’ouest rien de nouveau », Apollinaire et ses « poèmes à Lou », « Le feu » …

Henri Barbusse nous dit : « Attention ! Par terre, à droite, quelque chose s’étend. C’est une rangée de morts. Instinctivement, en passant, le pied l’évite et l’œil y fouille. On perçoit des semelles dressées, des gorges tendues, le creux de vagues faces, des mains à demi crispées en l’air, au-dessus du fouillis noir. »

Alors, oui ! Ils avaient peur, ils ne voulaient pas mourir, ils voulaient revenir, revoir père, mère, femme, l’enfant qu’il n’avaient pas vu naître…

Ceux-là ont refusé.

Ils n’étaient pas moins courageux que leurs camarades qui – à plus d’un million – « aux ordres de quelques sabreurs sont allés ouvrir au champ d’horreur leurs vingt ans qui n’avaient pu naître » chantait Jacques Brel.

Ceux, militants, qui ont voulu, par leur geste, réveiller les consciences, s’engager pour mettre fin à l’horreur, méritent autant, à nos yeux, la reconnaissance.

J’en viens justement aux militants, aussi fusillés pour l’exemple, ceux de la CGT d’alors, massivement fichés à travers le carnet et me réfère à ce que m’a appris Christian Eyshen .

Le Carnet B, de sinistre mémoire, était l’instrument de surveillance des suspects, français ou étrangers, sous la Troisième République en France. Il a été créé en 1886 pour lutter contre les activités d’espionnage et fut étendu à tous les individus susceptibles de troubler l’ordre public ou antimilitaristes.

A partir de 1907 ce fichier fut aussi utilisé pour surveiller les anarchistes et antimilitaristes et, en 1909, furent ajoutés les Français soupçonnés d’entreprendre des actions antimilitaristes pouvant troubler l’ordre public ou gêner la mobilisation.
Le Carnet B ne fut pas utilisé officiellement en 1914-1918, mais il était sans doute dans la tête et dans les fichiers de l’armée. Quand dès décembre 1914, les premières fraternisations apparurent dans les tranchées, il fallait trouver des « meneurs ». On alla donc chercher dans les archives de police. Dès le début de la guerre, on fusilla des poilus qui refusaient de mourir pour rien. On chercha encore des « meneurs ».

Quand les mutineries éclatèrent en 1917, surtout après l’échec sanglant du bourreau Nivelle, un régiment sur deux se mutina. Ils mettaient « crosses en l’air », ce qui signifiait que les soldats ne refusaient pas de défendre, mais qu’ils refusaient de monter à l’assaut pour gagner quelques mètres, aussitôt reperdus.

Parmi tous les fusillés pour l’exemple, 639 ont été recensés par les services officiels pour « désobéissance ».

Sur les 639 fusillés pour l’exemple, une quarantaine furent réhabilités entre les deux guerres. Il en reste donc 600 à qui justice doit être rendue.

C’est le sens de notre présence ici aujourd’hui.

Ce combat pour la réhabilitation collective est l’un des derniers combats de mon camarade Marc Blondel. Il fut, comme chacun le sait, un de mes prédécesseurs comme Secrétaire général de la Confédération Force Ouvrière. Il fut aussi, comme Léon Jouhaux, membre du Conseil d‘administration de l’Organisation internationale du travail, au sein duquel je siège comme vice-président travailleurs du Comité de la liberté syndicale.

Marc Blondel continua son combat militant comme Président de la Libre Pensée. Et ce monument érigé et inauguré aujourd’hui lui doit beaucoup.

Combattre l’injustice est dans l’ADN, comme on dit aujourd’hui, de Force Ouvrière. Contre l’injustice sur tous les terrains où les droits de l’Homme, du travailleur sont bafoués et où leur dignité n’est pas respectée.

C’est donc tout naturellement que la Confédération Force Ouvrière est présente à vos côtés aujourd’hui.

Nous voulons que l’inauguration de ce monument, par ses souscripteurs, soit la marque d’une nouvelle étape pour que justice soit rendue aux 600 fusillés pour l’exemple qui n’ont pas été encore réhabilités.

Vive la Paix !

Vive le syndicalisme libre et indépendant !

Réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple !

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière