Aujourd’hui, Place Vauban, à quelques encablures des ministères et de Matignon, Force Ouvrière lance un avertissement au gouvernement.
La crise n’en finit plus. Démarrée à la fin des années 70, avec des hauts et des bas, elle s’est profondément aggravée à partir de l’été 2007, il y a donc maintenant plus de 7 ans. Il ne sert à rien de tourner autour du pot : c’est une crise du système capitaliste avec une captation des richesses produites, une capitulation des pouvoirs publics qui ont favorisé libéralisation, privatisation et déréglementation, un recul de la démocratie et une montée de la ploutocratie.
De renoncement en renoncement les gouvernements successifs au plan européen ont instauré l’austérité comme la solution unique, celle qui en fait protège la rente et fragilise celles et ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre.
J’entends déjà ceux qui vont dire que le secrétaire général de Force Ouvrière a quelques références marxistes. Et oui mes chers camarades, je n’en ai pas honte, je pense même en être fier car, quoi qu’en disent les bien-pensants, les tenants de la pensée unique, des libéraux cathodiques ou le président du Medef, la lutte des classes est une réalité quotidienne que seuls les aveuglés ne peuvent voir ou constater.
Cela fait deux ans que nous expliquons que pratiquer une politique de rigueur ou d’austérité est triplement suicidaire, socialement, économiquement et démocratiquement.
Socialement parce qu’en France comme ailleurs cela remet en cause ou écorne les droits sociaux.
Economiquement parce que le résultat c’est l’absence de croissance, une augmentation de la dette publique, une explosion du chômage et des inégalités, un risque de déflation.
Démocratiquement parce que presque partout se développent des mouvements de rejet de l’autre, comme c’est toujours le cas dans les périodes de crise profonde qui leur servent de terreau.
Alors oui, il est plus que temps qu’au niveau européen soit mis fin aux dogmes stupides et que l’Europe apparaisse non comme la fiancée des marchés financiers mais comme la compagne du progrès social, économique et démocratique.
Européens nous le sommes, très critiques aussi – cela va de pair. C’est ainsi qu’avec nos camarades des autres pays nous revendiquons chaque année pendant 10 ans un plan de relance d’au moins 260 milliards d’euros par an.
De ce point de vue le plan dit Juncker est très largement insuffisant et essentiellement basé sur les capitaux privés, c’est-à-dire sur un rendement des placements guidant les choix à opérer.
Avoir accepté le pacte budgétaire européen – sans même rechigner – est une faute lourde qui corsète la politique économique et sociale suivie.
Comment expliquer autrement l’absence de coup de pouce au Smic, le gel du salaire des fonctionnaires, l’appel aux rémunérations hors salaires, par nature aléatoires et flexibles ?
Comment expliquer autrement le recul incessant du service public républicain dans son rôle et ses missions ?
Comment expliquer aussi, au-delà des critères politiques, la réforme territoriale en cours qui affaiblit les collectivités tout en remettant en cause l’unité républicaine ?
Tout cela confirme une seule logique : accepter une politique économique libérale conduit à l’autoritarisme social.
Tout en se disant partisan de la formule floue du dialogue social, le gouvernement la pratique à l’économie. Ainsi va-t-il réunir les interlocuteurs sociaux pour faire le point sur la loi dite de sécurisation de l’emploi qui a fait suite à l’ANI de 2013 que Force Ouvrière a combattu.
Quand on sait ce qu’il y a dans les tuyaux (2 ans de maintien dans l’emploi c’est trop long et il faut plafonner les indemnités de licenciement dans les jugements) on mesure qu’une loi déjà très libérale ne l’est pas encore assez et qu’il faut aujourd’hui ajouter de la flexibilité à la flexibilité, de la précarité à la précarité.
Pour donner des gages, conformément aux pactes signés, à la commission européenne il faut dès lors s’engager sur des réformes dites structurelles qui ne sont que des contre réformes sociales.
Qui peut croire sérieusement un seul instant que :
– La remise en cause des seuils et des IRP favorisera l’emploi ;
– Que pour embaucher il faut d’abord licencier allègrement et en toute liberté patronale ;
– Qu’élargir le travail le dimanche ou le soir créera de l’emploi et émancipera les salariés ?
– Que les heures supplémentaires sont trop payées et qu’il faut donc pouvoir remettre en cause les 35 heures ?
– Qu’il faille remettre en cause la justice prud’homale.
Nous pourrions allonger la liste.
Ce sont là des erreurs économiques, sociales et historiques. Ce sont des renoncements démocratiques et républicains.
Considérer que l’orientation économique prioritaire c’est l’allègement du coût du travail et la réduction systématique des dépenses publiques et sociales, c’est commettre le même type d’erreur et de faute que dans les années 30.
Le succès de Force Ouvrière aux élections dans la Fonction Publique est aussi, mes chers camarades, un succès pour les valeurs républicaines.
Nous gardons et renforçons notre première place dans la Fonction Publique d’État avec des progressions notables dans différents secteurs tels l’Education Nationale, les Finances, l’Ecologie, la Défense ou La Poste. Nous progressons dans l’Hospitalière et dans la territoriale.
Force Ouvrière est la seule des trois grandes confédérations à progresser dans les 3 Fonctions Publiques.
C’est le fruit de nos positions et de la campagne menée par les militantes et militants, un vrai travail de terrain qui est la base existentielle de syndicalisme.
C’est aussi la cohérence depuis années de nos positions, analyses et revendications à la fois vis-à-vis des agents publics mais aussi des usagers citoyens avec la défense du service public républicain.
Et ce combat pour la république sociale ne s’est pas arrêté le jour des élections le 4 décembre 2014. Nous allons le poursuivre tant il est essentiel.
Au cours des nombreuses visites de sites ces dernières semaines, nous avons pu mesurer nombre de disfonctionnements ou reculs préjudiciables :
– Des soignants contraints de travailler 3 week-ends sur 4 ;
– Des contrôleurs sanitaires qui ne sont plus en mesure de contrôler la qualité des viandes, ce qui augure de nouveaux scandales à venir.
Des fermetures nombreuses de sites publics, par exemple dans les Finances :
– des réductions drastiques dans la Défense ;
– des inquiétudes fortes dans l’Education Nationale avec la territorialisation ou des problèmes de sécurité possibles pour les enfants avec la pétaudière des rythmes scolaires.
Les exemples de remise en cause pullulent malheureusement.
Les bons résultats dans le privé nous confortent également sur le bien-fondé de nos analyses et revendications, celles du syndicalisme libre et indépendant. Je ne citerai qu’un exemple, celui d’Airbus où nous avons fortement progressé à Nantes, Saint-Nazaire et Toulouse, Toulouse où Force Ouvrière a accru son score de 11,8 points pour atteindre aujourd’hui plus de 57% !
Mes chers camarades, à l’heure où le patronat descend dans la rue en posant des cadenas à Bercy, le cadenas étant, je le rappelle, une preuve d’amour, à l’heure où pourtant le gouvernement répond largement à ses attentes il est plus que temps de rappeler quelques positions et revendications fondamentales.
Mettre fin à l’austérité est aujourd’hui une ardente obligation. Aujourd’hui cela doit passer prioritairement par une augmentation du Smic et du point d’indice et, dans la foulée, une renégociation des minima conventionnels, des classifications et des grilles. Refuser le coup de pouce au Smic sous prétexte que la politique menée est celle de l’allègement du coût du travail et que compte tenu des exonérations de cotisations patronales, toute augmentation du Smic coûte cher à l’État est inadmissible et c’est un véritable mépris pour les salariés.
Je rappelle la revendication de Force Ouvrière : un Smic à 80% du salaire médian, soit aujourd’hui, 1 780 euros bruts/mois.
Une remise à plat de toutes les exonérations de cotisations patronales dont la pertinence n’est pas démontrée et qui transfère le coût des entreprises vers les ménages.
La mise en place d’une grande réforme fiscale basée sur la justice et l’équité tant pour les citoyens que pour les entreprises.
La fin des réductions de dépenses dans le service public qui pénalisent à la fois les fonctionnaires et les usagers. Il n’y a pas de république sans service public et de service public sans agents du service public.
L’arrêt des réformes telles que la réforme territoriale qui de la constitution de grandes régions au découpage surprenant, à la remise en cause des départements et de nombreuses communes va éloigner le service public des usagers et accroître le sentiment d’abandon républicain.
Le renforcement de la politique industrielle qui, à l’opposé de l’erreur sur l’allègement du coût du travail, doit mettre l’accent sur l’innovation, l’investissement, la recherche et l’éducation.
La réorientation de toutes les aides publiques aux entreprises.
S’agissant d’argent public, l’existence de contreparties impose des aides ciblées avec engagement réciproque et contrôle, ce que ne sont bien entendu ni le CICE, ni le pacte de responsabilité.
Un pacte de responsabilité et d’austérité dont nous demandons le rejet ou le retrait.
Dès le début nous avons expliqué qu’il n’y aurait pas de contreparties, que les 41 milliards d’euros d’aides aux entreprises sur 3 ans, financés par 50 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques et sociales, étaient un gaspillage et une erreur économique.
Tout miser sur l’allègement du coût du travail et s’inscrire dans la marche infernale du dumping social, c’est remettre son avenir dans la main des marchés et attendre de l’extérieur, c’est-à-dire des autres, une clémence et une relance.
L’ancrage dans le libéralisme économique, la dérive vers le système anglo-saxon sont contraires aux valeurs républicaines et à la république sociale. C’est la primauté de la liberté individuelle contre la liberté collective, c’est la liberté du renard dans le poulailler.
Quelle est la position du gouvernement dans les négociations internationales comme le TTIP ou l’accord UE/Canada ? Va-t-il accepter la remise en cause de normes sanitaires, sociales et environnementales et donner, d’une certaine manière, aux multinationales le pouvoir de sanctionner les États ?
Pour le moment c’est plus que flou et quand c’est flou, il y a un loup !
Et que penser du projet de loi de M. MACRON, un projet de loi mêle tout qui contient des dispositions socialement inacceptables et dont le Conseil d’État déplore l’absence sérieuse d’étude d’impact. Ce n’est pas un projet de progrès et de liberté mais de régression et de libéralisme !
C’est notamment le cas s’agissant du travail le dimanche. Penser un seul instant que cela créera de nombreux emplois relève de l’aveuglement et de l’idéologie. Non seulement le pouvoir d’achat n’est pas extensible en fonction des heures d’ouverture, mais un magasin crée éventuellement de l’emploi si ses concurrents sont fermés. Cela s’appelle capter la clientèle.
Dans le projet de loi en discussion, non seulement on passerait de 5 à 12 dimanches par an, mais on passerait de dérogations sectorielles – condamnés par le BIT – à des dérogations géographiques aux contours aussi flous que la réforme territoriale. Et le projet en cours n’est toujours pas, selon nous, conforme à la convention 106 de l’Organisation Internationale du Travail.
Au final, ce serait une marche de plus vers la banalisation et un frein à l’émancipation et à la vie privée.
Dire, par ailleurs, qu’il doit y avoir compensation pour les salariés sans fixer le plancher cela risque de s’appeler de la compensation virtuelle ou à minima.
Quant au volontariat, qui peut penser qu’on est libre de refuser quand on cherche un travail ?
Il faut franchement vivre en dehors du temps et de l’espace, hors de la vie de tous les jours, pour prôner l’extension du travail du dimanche.
Ce projet de loi qui risque d’agir comme une bombe à fragmentation traite aussi de l’épargne salariale (ce qui privera la Sécurité sociale de recettes), de la privatisation du permis de conduire et d’aéroports, des procédures de plans sociaux.
Par ailleurs, pour un gouvernement qui se dit soucieux de la transition énergétique, il faudra que le Ministère de l’Ecologie étudie le bilan carbone du projet de loi Macron avec la multiplication des autocars et l’extension de l’ouverture des magasins.
Dernier point que je veux souligner : l’avenir de la protection sociale collective. Celle-ci répond aux valeurs républicaines d’égalité et de fraternité.
Elle organise la solidarité en ne se contentant pas de l’émotion.
Amortisseur social, elle est aussi facteur d’emplois directs et indirects tant elle assure à nombre de professions et d’activités des débouchés en grande partie socialisés au plan financier.
Préserver et consolider la Sécurité sociale, l’esprit et les objectifs de 1945 est aujourd’hui aussi un objectif qui vient en contradiction avec le libéralisme économique.
C’est le cas quand le gouvernement veut remettre en cause l’universalité des Allocations familiales, ce qui peut par ailleurs servir de cheval de Troie à tous ceux qui veulent faire la même chose avec l’Assurance maladie.
Ce jour-là ce sont les assureurs qui auront gagné, les inégalités qui se développeront et la Sécurité sociale qui sera assassinée. Jamais Force Ouvrière ne l’acceptera.
Allocations familiales, Assurance maladie, retraites, tous les risques sont concernés.
43 ans pour la génération 73 pour avoir une retraite à taux plein est inacceptable.
Les tendances à remettre en cause le paritarisme sont tout aussi inacceptables.
Si demain le patronat n’envisage le maintien des retraites complémentaires qu’en diminuant les prestations et en augmentant l’âge, c’est qu’il n’est plus attaché au paritarisme. Le fait que les représentants du Medef dans les retraites complémentaires soient issus du monde des assurances privées est d’ailleurs en soi inquiétant et révélateur.
Confier la protection sociale au secteur privé, c’est tuer la Sécurité sociale ou en faire un minimum, c’est laisser les inégalités exploser, c’est faire de l’assistance ou de la charité la bonne conscience du profit.
Les négociations, sur ce qu’on appelle la modernisation du dialogue social, se heurtent aujourd’hui à un double diktat patronal : l’inversion de la hiérarchie des normes et la fusion des institutions représentatives du personnel, sans pour autant prévoir un mécanisme simple pour améliorer les droits des salariés des TPE.
Politique économique, république, démocratie, pouvoir d’achat, emploi, stratégie industrielle, principe de faveur, protection sociale collective, les menaces ne manquent pas.
Le mano à mano du gouvernement et du Medef, au-delà des soubresauts de communication, est de ce point de vue révélateur.
Oui l’existence des classes sociales est une réalité.
Oui quand la négociation n’aboutit pas, c’est l’action qu’il faut envisager.
C’est aussi ce qui se passe au Royaume-Uni, en Italie ou en Belgique récemment.
Aujourd’hui 16 décembre 2014, au nom de Force Ouvrière, j’adresse un avertissement au gouvernement. La politique économique menée est éloignée des besoins et attentes des salariés actifs, chômeurs ou retraités.
Les revendications sont connues mais non entendues.
Il arrive un moment où la démocratie peut être en danger. Nous ne sommes pas devins, nous sommes réalistes.
Si nous en sommes conscients, d’autres le sont, au plus haut niveau.
La seule question qu’il faut alors se poser, en France comme ailleurs : c’est pourquoi continuent-ils cette politique économique, démocratiquement mortifère ?
Dire les choses et faire ce que l’on dit est notre règle à Force Ouvrière.
Pour une confédération fondamentalement libre, indépendante, attachée aux valeurs républicaines et à la démocratie, la responsabilité est de dire stop. Ce que les femmes et les hommes font, ils peuvent aussi le défaire et faire autre chose.
Si cet avertissement au gouvernement comme au Medef n’est pas entendu, nous n’en resterons pas là.
Aujourd’hui 16 décembre 2014 c’est une étape dans la construction du rapport de forces.
Nous n’excluons rien pour les semaines et les mois à venir et notre congrès confédéral sera un moment important.
De l’avertissement à la préparation d’une journée de grève interprofessionnelle il n’y a qu’un pas.
Si nécessaire, nous sommes prêts à la préparer, dans l’action commune si possible.
Vive la liberté.
Vive l’indépendance.
Vive la république sociale.
Vive Force Ouvrière