Droit du travail : la preuve peut-elle être déloyale ?

Libertés fondamentales par Patricia Drevon, Secteur des Affaires juridiques

Par principe, la preuve, en matière prud’homale, est libre (Cass. soc., 27-3-07, n°98-44666), sous réserve qu’elle ne soit pas obtenue de manière illicite ou déloyale (Cass. soc., 20-11-91, n°88-43120).

En matière pénale, aucune disposition légale ne permet au juge pénal d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (Cass. crim., 31-1-12, n°11-85464). Par exemple, un enregistrement « clandestin » peut servir de preuve dans un procès pénal s’il a été transmis à la partie adverse dans des délais suffisants pour permettre une discussion contradictoire.

La licéité d’un enregistrement vidéo établissant des violences volontaires reconnue par le juge pénal s’impose au juge prud’homal (Cass. soc., 21-9-22, n°20-16841). Autrement dit, l’autorité absolue de la chose jugée au pénal s’oppose à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud’homal l’illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

Sous l’impulsion de la CEDH, la Cour de cassation a reconnu, assez récemment, qu’une preuve illicite peut être admise dans un procès prud’homal si la production de cette preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et que l’atteinte aux droits est proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 30-9-20, n°19-12058 ; Cass. soc., 25-11-20, n°17-19523).

Toutefois, si la production de la preuve (ex : vidéosurveillance illicite, mail privé ou compte Facebook privé…), considérée comme une preuve illicite, n’est pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur dès lors que celui-ci disposait d’une autre preuve (ex : un audit) qu’il n’a pas versée aux débats, celle-ci ne peut être admise (Cass. soc. 8-3-23, n°21-17802).

Ainsi, si l’employeur dispose d’une autre preuve plus respectueuse de la vie personnelle du salarié, celui-ci ne pourra produire une preuve illicite. La preuve illicite sera considérée comme indispensable à l’exercice du droit à la preuve lorsqu’elle sera la seule dont l’employeur ou le salarié dispose permettant d’appuyer son argumentaire. Dans le cas contraire, elle ne pourra qu’être rejetée.

La Cour de cassation donne un véritable mode d’emploi aux juges du fond en présence d’une preuve illicite : « En présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ».

En conclusion, si la preuve doit toujours être obtenue loyalement pour pouvoir être produite en matière civile, de rares exceptions admettent qu’une preuve illicite puisse être retenue.

En raison de l’inégalité des armes inhérente à la relation contractuelle, il est, tout de même, assez satisfaisant que la Cour de cassation ait ouvert une brèche dans le droit à la preuve en matière prud’homale.

Si jusqu’à présent les seules décisions rendues concernaient la preuve illicite produite par l’employeur, gageons, à l’avenir, que les salariés mobiliseront cette jurisprudence nouvelle pour obtenir gain de cause devant les tribunaux.

Patricia Drevon Secrétaire confédérale au Secteur de l’Organisation, des Outre-Mer et des Affaires juridiques

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.

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