Du sursis pour les anciens dirigeants de France Telecom-Orange

InFO militante par Sandra Déraillot, L’inFO militante

© DENIS/REA

Condamnés en première instance fin 2019, les cadres supérieurs du groupe de télécommunications français ont vu leur peine allégée en appel. Chez FO Com, on est inquiet du message délivré.

Des peines amoindries et deux cadres relaxés. La décision de la Cour d’appel de Paris à l’endroit des anciens dirigeants de France Télécom-Orange a été rendue vendredi 30 septembre. Pour Didier Lombard, président directeur général de France Télécom (de 2005 à 2010), condamné en première instance à un an de prison dont huit mois avec sursis, la sanction est ramenée à un an de prison, intégralement couverte par le sursis et assortie d’une amende d’un montant de 15 000 euros. Même chose pour son numéro 2, Louis-Pierre Wenès, président d’Orange France, directeur exécutif délégué et directeur des opérations France au sein de France Télécom.

Tous deux demeurent coupables d’un « harcèlement institutionnel caractérisé » dans le cadre de plans de restructuration mis en place à partir de 2006 et qui visaient notamment au départ de 22 000 employés du groupe et à la mobilité de 10 000 autres.

En dépit d’alertes multiples, les agissements harcelants induits par l’objectif de déflation des effectifs imposé par les dirigeants ont créé un climat d’insécurité permanent pour tout le personnel, avec des conséquences en cascade, aboutissant pour un certain nombre de salariés à des dépressions, des tentatives de suicide et des suicides, a confirmé la cour, dans un communiqué.

L’évocation des mauvais traitements

Dans les faits, au cours de ce second procès, les témoins et victimes avaient rapporté : des collègues (qui) sortaient du bureau des managers en pleurant, des responsables (qui) surveillaient de près leur travail, émettait des commentaires jugés désobligeants et des lettres de recadrage pour non-respect des quotas d’appel, des courriers proposant des emplois qui n’avaient aucun lien avec le domaine d’activité, des employés qui se sont retrouvés sans aucune activité, un agent isolé en se voyant contraint d’occuper un bureau au bout du couloir et sans qu’aucune promotion ne lui soit jamais proposée. Et aussi : des cadres à qui l’on demande de faire partir un maximum de collaborateurs le plus vite possible, des employés qui se retrouvent sans travail à accomplir, des mutations forcées, des postes de travail déménagés jusqu’à 8 fois en trois ans, des messages hors temps de travail rappelant que le salarié n’avait pas atteint ses objectifs, des employés privés de leur clientèle habituelle, répartie entre leurs collègues, etc.

Un message choquant pour les familles des victimes

Nous avons été particulièrement surpris que les peines d’emprisonnement soient intégralement transformées en sursis, observe Sylvie Frayssinhes, déléguée syndicale centrale FO Com. Et inquiets du message délivré. C’est très choquant pour les familles des victimes. Les juges, eux, ont considéré que le risque de réitération des faits est inexistant, compte-tenu tant de la médiatisation de l’affaire que de la sensibilisation aux risques psycho-sociaux qui a suivi. Ils ont également tenu compte de l’âge des deux hommes (respectivement, 80 et 73 ans aujourd’hui) et de leur état de retraité, ne justifiant pas, selon eux, un emprisonnement ferme. Pas davantage la douleur verbalisée par les victimes blessées ou par leurs proches endeuillés ne justifie à elle seule la nécessité de l’emprisonnement, ont-ils précisé.

Deux autres cadres sont reconnues coupable de complicité et ont vu leur peine modifiée. La directrice du développement et des opérations ressources humaines du groupe France Telecom, voit sa peine aggravée, passant de 4 à 6 mois d’emprisonnement avec sursis. Pour la directrice des actions territoriales France, un sursis simple est prononcé, d’une durée totale de trois mois en lieu et place des quatre mois prononcés en première instance. Pour toutes deux les peines d’amendes sont supprimées, eu égard à leurs ressources et charges familiales, le prononcé de l’emprisonnement apparaissant suffisamment dissuasif et sévère à la fois indique la cour.

Les salariés disposent d’une décision pénale emblématique

Tous quatre demeurent redevables (en solidarité avec France Télécom, condamné en première instance) de dommages et intérêts à l’égard des quelques 174 parties civiles de ce procès. Deux autres prévenus, ont été totalement relaxés des chefs de complicité initialement retenus contre eux en raison de l’inexistence d’éléments de nature à asseoir avec certitude la déclaration de culpabilité quant à une ou des participations personnelles consistant à encourager des procédés visant à créer une instabilité pour les agents et salariés ou à mettre en place des outils de pression sur les départs et intervenir dans les décisions de mobilité forcée. Une relaxe douloureuse à entendre pour FO Com.

France Télécom-Orange, qui qui n’avait pas fait appel, est la première entreprise à avoir été condamnée pour du harcèlement moral institutionnalisé, souligne Sylvie Frayssinhes. Pour la militante, grâce à ce jugement qui fera jurisprudence, les salariés disposent maintenant au sein d’Orange et dans toute autre entreprise, d’une décision pénale emblématique. Ce verdict doit servir à briser l’omerta qui règne dans les petites et grandes entreprises. Il doit libérer la parole des victimes pour construire une résistance au harcèlement, sous toutes ses formes.

Sandra Déraillot Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération