EDF : le bras de fer entre les agents et le projet Hercule se poursuit

InFO militante par Evelyne Salamero, L’inFO militante

© F. BLANC

La troisième grève en moins d’un mois chez EDF a été fortement suivie ce 17 décembre, à l’instar des deux précédentes des 26 novembre et 10 décembre, à l’appel des quatre organisations syndicales du secteur, dont la fédération FO Énergie et Mines. Les grévistes (40% en moyenne) n’en démordent pas : le projet de réorganisation de l’entreprise publique, dit projet Hercule, doit être selon eux abandonné. Les organisations syndicales dénoncent un plan de « démantèlement » de l’entreprise ouvrant la voie à sa privatisation. Explications.

À ce jour, malgré la transformation d’EDF en société anonyme en 2004, l’État détient toujours 83,68 % de l’ensemble du capital de l’entreprise. La part du capital privé reste donc limitée à environ 16 % et les actionnaires institutionnels du groupe tels que Natixis, la Société générale ou la BNP doivent se contenter chacun de quelques dixièmes de cette petite part du gâteau. Mais cet équilibre entre les forces en présence pourrait être prochainement bouleversé…

Fin 2018, lors de la présentation de la loi de programmation pluriannuelle de l’Énergie (PPE), l’Élysée a demandé à EDF de mener une réflexion sur l’organisation du groupe afin de renforcer sa contribution à la transition énergétique et de mettre en œuvre les orientations définies par la PPE.

L’entreprise serait scindée en deux entités…

Répondant au souhait de la présidence, en juin 2019, la direction du groupe a présenté un projet de réorganisation, dit projet Hercule, en vertu duquel le groupe serait scindé en deux entités, chacune étant dotée de son propre bilan financier : la maison mère (baptisée EDF bleu) qui serait détenue à 100 % par l’État et EDF vert dont le capital serait ouvert au secteur privé.

Si le projet indique que la maison mère (Edf bleu), à 100% publique donc, détiendrait une large majorité du capital d’EDF vert, rien ne précise jusqu’à quel niveau. Autrement dit, rien ne fait barrage à un accroissement rapide des capitaux privés dans EDF Vert, bien au-delà de la part actuelle de capitaux privés dans EDF, soit 16%.

La version 2019 du projet Hercule prévoyait que l’entité exclusivement publique regroupe la production et l’ingénierie nucléaire et thermique, Framatome et l’activité hydraulique. De son côté, EDF Vert inclurait le distributeur Enedis, les activités de commercialisation, SEI & PEI (production et distribution dans les territoires ultra-marins) et les énergies renouvelables.

… Ou trois entités

D’emblée, les organisations syndicales ont rejeté ce démantèlement de l’entreprise publique qui fait courir le risque de voir la part de l’État peu à peu diminuer dans le capital d’EDF vert au profit du secteur privé, à l’instar de ce qui s’est passé pour Gaz de France (GDF devenu GDF-Suez puis Engie). L’État n’en détient plus aujourd’hui que 23,64%, malgré les promesses gouvernementales -faites lors de sa transformation en société anonyme en 2004- qu’il resterait toujours majoritaire. Les mobilisations provoquées à l’automne 2019 par le projet ont été si importantes que la direction du groupe avait annoncé son report de plusieurs mois.

Un an plus tard, Hercule refait surface, avec une modification qui ne fait qu’empirer les choses : l’activité hydraulique ne serait plus intégrée à la maison mère. Deux scénarios ont émergé. Soit elle dépendrait d’EDF Vert, soit elle serait isolée dans une troisième entité créée spécialement et baptisée Azur. Cela satisferait sans aucun doute la commission européenne qui fait depuis longtemps pression pour ouvrir à la concurrence les 300 barrages (sur les 400 que compte le pays) concédés par l’État à EDF. Pour rappel, en mars 2019, Bruxelles a mis en demeure la France (ainsi que sept autres États membres de l’UE) de revoir leurs règles d’attribution et de renouvellement des marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique dans le respect du droit de l’Union européenne.

De plus en plus « Inacceptable »

La commission européenne, le gouvernement et EDF ont profité de la crise sanitaire pour avancer à pas feutrés sur le dossier Hercule sans, bien entendu, en faire part aux représentants du personnel, dénonce la Fédération FO, pour qui les dernières évolutions rendent le projet plus inacceptable encore.

Il serait de surcroît question de créer une Holding financière pour chapeauter les trois entités qui seraient dès lors totalement indépendantes les unes des autres, ce qui, alerte FO, empêcherait toute stratégie industrielle d’ensemble et faciliterait la vente à la découpe de ces entités.

Répondant aux questions des députés, le Premier ministre Jean Castex a encore assuré le 15 décembre que le gouvernement, loin d’avoir l’intention d’affaiblir ou de démanteler cette grande entreprise nationale qu’est EDF, entend bien au contraire l’adapter et lui donner les armes pour remplir sa mission historique. Et d’insister : Nous n’avons, je le répète, nullement l’intention de démanteler EDF qui restera un grand groupe public, les statuts des personnels des industries énergétiques et gazières seront préservés.

Des propos qui n’ont visiblement pas convaincu les personnels encore massivement en grève deux jours après cette déclaration. Pour la Fnem-FO, « Couper EDF en deux ou trois et prétendre maintenir un groupe intégré sont deux affirmations totalement incompatibles ! Tous les scénarios ont le même objectif : le démantèlement d’EDF pour des intérêts financiers et donc une désintégration totale d’EDF. Le projet Hercule sonnerait le glas du service public républicain et de ses missions déjà bien mis à mal ces dernières années..

Repères
 EDF est le premier producteur d’électricité en France et en Europe, le deuxième du monde, et l’électricité étant l’énergie la plus utilisée sur la planète, elle est donc celle qui peut rapporter le plus.
 La libéralisation du secteur de l’Énergie a été lancée par la directive européenne du 19 décembre 1996, complétée par celle du 26 juin 2003.
 Fin 2004, l’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) EDF, né en 1946 de la nationalisation des biens de 1450 entreprises privées de production, de transport et de distribution d’énergie électrique, devient une société anonyme à capitaux publics. Il fait son entrée en bourse un an plus tard, en novembre 2005.
 Depuis, EDF doit verser des dividendes à ses actionnaires. Ces dernières années, ces dividendes ont représenté en moyenne 60% des bénéfices réalisés par l’entreprise. L’État, le plus important des actionnaires en recueille la plus grosse partie, aux alentours de deux milliards chaque année. Et cela représente la moitié environ du montant total des dividendes perçus par l’État via les ponctions qu’il effectue dans les caisses des entreprises publiques (Engie, SNCF, La Poste… ).
 En 2010, la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) oblige EDF à vendre sa production d’électricité d’origine nucléaire à ses concurrents à un prix fixe. Ce tarif (42 euros par mégawatt-heure), souvent inférieur au prix du marché qui lui fluctue, n’a pas augmenté depuis 2012.
 Depuis 2019, la France tente d’obtenir de la commission européenne une révision de ce mécanisme dit de régulation du marché du nucléaire pour le rendre plus favorable à EDF. Mais en échange, la Commission européenne entend obtenir une séparation des activités de production et de fourniture d’électricité… Ce qui est entrepris dans le cadre du projet Hercule.
 Fin 2019, l’endettement net d’EDF s’élevait à 41 milliards d’euros. Une dette due aussi à des politiques énergétiques irraisonnées depuis le début des années 80, obéissant davantage à des intérêts politiciens français et internationaux qu’à des objectifs industriels, explique Serge Gianorsi, secrétaire fédéral FO.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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