La crise sanitaire a percuté un marché de l’emploi déjà affaibli sur toute la planète. L’impact a été particulièrement brutal pour les plus jeunes, dont le taux de chômage était déjà supérieur à la moyenne, et qui sont toujours les plus exposés en cas de crise. La France ne fait pas exception.
Le plan gouvernemental « Un jeune, une solution » n’a rien de très original. FO appelle à une réflexion globale sur l’emploi et refuse de maintenir les jeunes dans la précarité.
« Systématique, profond et disproportionné. » C’est ainsi que l’Organisation internationale du travail (OIT) qualifie l’impact de la crise sanitaire sur les jeunes. Un impact qui a « exacerbé les inégalités et [qui] risque d’affaiblir le potentiel productif de toute une génération », précise son rapport « Les jeunes et la Covid-19 : impacts sur les emplois, l’éducation et le bien-être mental », publié le 11 août. Dès le mois de mai, l’OIT avait lancé l’alerte : « Les jeunes sont les principales victimes des conséquences socio-économiques de la pandémie. Il existe donc un risque que leurs vies professionnelles soient marquées à jamais, conduisant à une “génération du confinement”. » L’OCDE a dressé un diagnostic comparable. « Partout le confinement a renforcé les inégalités entre les autres travailleurs et les jeunes, et les moins qualifiés sont souvent en première ligne », déclarait sa chef économiste à la mi-juin.
L’effet aggravant de la pandémie
Les chiffres sont effectivement imparables : partout, le taux de chômage des 16-25 ans a progressé plus vite encore que celui du reste des salariés (lire encadré page 13). Le phénomène n’a rien de nouveau, mais la crise sanitaire l’a aggravé de façon particulièrement intense et rapide. « Déjà avant l’arrivée de la Covid-19, les jeunes avaient la vie difficile sur le marché du travail. Les jeunes âgés de 15 à 24 ans avaient environ trois fois plus de chances de se retrouver au chômage que ceux de 25 ans et plus », rappelle l’OIT.
En France, depuis 1975, le taux de chômage des 15-24 ans a toujours été nettement supérieur à la moyenne nationale. À chaque crise (chocs pétroliers de 1973 et 1979, éclatement de la bulle financière en 2008) l’histoire se répète : la courbe du chômage des plus jeunes grimpe en flèche, toujours plus brutalement que la courbe générale. Et près de cinquante ans de politiques de l’emploi spécifiquement dédiées aux jeunes n’ont pas inversé le cours des choses : le taux de chômage des 16-24 ans est passé de 7,7 % en 1975 à 19,6% en 2019 (alors que le taux global est passé de 3,8 % à 8,1 % sur la même période.)
Cette année, par le confinement, le taux de chômage des moins de 25 ans a de nouveau franchi la barre des 20 %, ce qui n’était pas arrivé depuis 2017, bondissant à 21,2 % en juin contre 18,4 % en mars. Le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) de moins de 25 ans a augmenté de 34 % entre le premier et le deuxième trimestre, contre une hausse de 26 % pour les 25-49 ans et de 16,3 % pour les 50 ans et plus. La situation est d’autant plus inquiétante que 700000 à 800000 nouveaux entrants sont attendus sur le marché du travail en cette rentrée.
En France, un nouveau « plan jeunes » qui n’a rien d’original
Le 23 juillet, le gouvernement a donc présenté son plan jeunes, baptisé « Un jeune, une solution », pour un coût de 6,5 milliards d’euros. Il comprend une incitation financière aux entreprises pour l’embauche d’un jeune âgé de 18 à 26 ans, une aide aussi pour les contrats d’apprentissage et de professionnalisation, ainsi que la relance des contrats aidés.
La recette et ses ingrédients n’ont rien d’original. Depuis près de cinquante ans, l’action publique pour l’emploi des jeunes repose essentiellement sur la réduction du coût du travail. En 1975, les employeurs qui embauchent des jeunes ayant suivi un stage Granet (du nom du secrétaire d’État à la formation professionnelle) ont droit à des exonérations de cotisations sociales. En 1977, le premier pacte pour l’emploi des jeunes est lancé, toujours en échange d’exonérations de cotisations patronales. Depuis, on a connu les SIVP, les TUC, les contrats d’avenir, le contrat unique d’insertion… Et il aura fallu d’historiques mobilisations étudiantes, soutenues par les confédérations syndicales de salariés, dont FO, pour échapper en 1993 au CIP (Contrat d’insertion professionnelle) et en 2005 au CPE (Contrat première embauche). Le premier permettait de ne payer les jeunes qu’à 80 % du Smic et le deuxième autorisait leur licenciement à tout moment et sans justification pendant les deux années du contrat.
Pour FO, « l’enjeu est de ne pas maintenir la jeunesse dans la précarité »
Cette fois encore, « comme d’habitude, on donne de l’argent aux entreprises sans réelle contrepartie », dénonce Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi et de la formation professionnelle. De fait, la prime à l’embauche, même si elle consiste en une compensation par l’État des cotisations sociales patronales plutôt qu’en une pure exonération (ce qui a été obtenu par les confédérations syndicales), peut être perçue par l’employeur pour un simple CDD de trois mois, ce qui ne correspond même pas à la définition européenne de l’emploi durable qui est de six mois. Elle peut être renouvelée trois fois, ce qui, dans le meilleur des cas, porte la durée de l’emploi à un an au maximum. Et ensuite ? Aucune obligation n’est faite à l’employeur de garder le jeune salarié. « On nous dit qu’il ne faut pas sacrifier une génération aujourd’hui mais ce sera le cas dans un an, quand le contrat prendra fin », résume Michel Beaugas.
Pour FO, explique-t-il, « l’enjeu est de ne pas maintenir la jeunesse dans la précarité. Il est donc nécessaire de se projeter à plus long terme. Les mesures d’urgence ont leur utilité pour ne pas laisser les jeunes sans perspectives immédiates, aussi bien en termes d’emploi que de formation. Mais elles doivent permettre de déboucher sur un véritable emploi ».
Mais pour cela, il faut aussi une reprise de l’activité économique. Au-delà des rustines ponctuelles que sont les mesures de soutien à l’emploi, la confédération FO demande donc à l’État de prendre ses responsabilités en rompant avec les politiques qui ont mené à la désindustrialisation et à la délocalisation des emplois. Une revendication portée lors de la réunion entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux du 17 juillet. Une revendication dont dépend l’avenir des plus jeunes, comme celui des moins jeunes.|
Covid-19 : l’emploi des jeunes impacté sur toute la planète
À l’échelle mondiale, depuis la crise de la Covid-19, un jeune sur six (17 %) a dû arrêter de travailler. Quant à ceux qui ont gardé leur emploi, près de la moitié (42 %) font état d’une baisse de leurs revenus due à la diminution de leur temps de travail (23 % d’heures en moins en moyenne). Tel est le bilan dressé par l’OIT. Et il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg. L’enquête, menée entre le 21 avril et le 21 mai 2020 dans 112 pays, concerne en effet essentiellement de jeunes travailleurs ayant un niveau d’études supérieures et des étudiants ayant un accès à Internet. Elle a de plus été réalisée principalement dans des pays à revenu intermédiaire. Seulement 1,3 % des jeunes interrogés vivent dans des pays à faible revenu. L’importance des dégâts est plus visible dans certains pays que dans d’autres. Aux États-Unis, le taux d’emploi des moins de 25 ans a perdu plus de 12 points de pourcentage, contre 8,6 points pour les 25-54 ans et 6,5 points pour les 55-64 ans. En Europe, le taux de chômage des moins de 25 ans, déjà élevé avant la pandémie, a fortement augmenté dans la plupart des pays de l’Union européenne (23 sur 27), atteignant au total 16,8 % en juin contre 14,7 % en mars (17 % contre 15,3 % en zone euro). Près de 3 millions de jeunes étaient concernés contre 2,7 millions avant l’épidémie.
Après la crise de 2008…
La situation est particulièrement critique dans les pays de la zone euro les plus fragilisés par la crise de 2008. Et là encore, les jeunes sont en première ligne. En Espagne, où un million d’emplois ont disparu en un trimestre, « pratiquement 50 % de la destruction d’emploi qui s’est produite depuis le début de la crise s’est concentrée sur des personnes qui ont moins de 35 ans », alertait le ministre de la Sécurité sociale, José Luis Escriva, à la mi-juin. Dans ce pays, le taux de chômage des moins de 25 ans a bondi de 32% en février à 34% en mars, puis à 41% en juin. En Grèce, il avait grimpé à 37,5 % en mai (dernier chiffre connu) contre 32,7 % au premier trimestre. Les pays plus au nord ne sont pas épargnés non plus. En Belgique, en un an, le nombre de demandeurs d’emploi de moins de 25 ans a bondi dans la région de Bruxelles et en Wallonie. En Suède, où le taux de chômage global a bondi en juin à un niveau sans précédent depuis 1998, le taux de chômage des 16-24 ans a atteint, lui, son plus haut niveau depuis 1993, à savoir 28 % en juin contre 20,4 % en janvier.
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FO appelle à une réflexion globale sur l’emploi en France
« Un jeune, une solution », tel est l’objectif affiché du plan pour l’emploi des jeunes, présenté le 23 juillet par le Premier ministre Jean Castex. Le chef de l’État en avait déjà dévoilé les grandes lignes lors de son intervention du 14 juillet. Doté d’un budget de 6,5 milliards d’euros sur deux ans, ce plan a été intégré au troisième projet de loi de finances rectificative adopté le 23 juillet par le Parlement. La mesure phare concerne les aides financières à l’embauche. Une prime sera versée pour le recrutement d’un jeune de moins de 26 ans – en CDI ou en CDD d’au moins trois mois – pour un contrat signé entre le 1er août 2020 et le 31 janvier 2021. Le salaire doit être inférieur ou égal à deux Smic (3000 euros brut), un montant revu à la hausse pour satisfaire le patronat. Cette prime était initialement prévue sous forme d’exonérations de cotisations sociales. À la demande des syndicats, elle consistera finalement en une compensation de ces cotisations. Pour limiter les effets d’aubaine, elle sera versée chaque trimestre à hauteur de 1000 euros pour une durée maximale d’un an, soit jusqu’à 4000 euros. L’exécutif table sur 450000 embauches d’ici fin janvier. Une aide exceptionnelle sera également versée pour le recrutement d’un jeune en alternance (contrat d’apprentissage ou de professionnalisation) : 5000 euros pour un mineur et 8000 euros pour un majeur. L’exécutif attend la signature de 230000 contrats d’apprentissage et 100000 contrats de professionnalisation. Par ailleurs, le gouvernement prévoit de créer 100000 places supplémentaires en service civique, dont 20000 dès 2020. Deuxième axe, orienter et former 200000 jeunes vers les secteurs et métiers d’avenir (transition écologique, santé, numérique…). L’exécutif annonce notamment 100000 nouvelles formations qualifiantes ou pré-qualifiantes dès 2020 dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences.
Donner accès à des formations qualifiantes et certifiantes
Dernier axe, créer 300 000 parcours d’insertion pour accompagner les jeunes les plus éloignés de l’emploi. Cela passera par 150 000 entrées en Garantie jeunes en 2021 (indemnisée 497 euros par mois par les missions locales). C’est aussi la relance des contrats aidés dans le secteur marchand – avec 60 000 Parcours emploi compétences – dispositif qui avait été supprimé en 2017 par l’exécutif. La mise en place du plan sera différenciée selon les territoires, en fonction de secteurs prioritaires définis dans chaque région conjointement par le conseil régional, l’État, les interlocuteurs sociaux et les acteurs économiques. « Faire un plan pour aider toute la cohorte de jeunes qui vont arriver en septembre sur le marché du travail, c’est bien sûr nécessaire, explique Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi et de la formation professionnelle. Le début de carrière est le plus important. S’ils commencent par une période de chômage, il y a un réel risque pour eux d’être mis sur la touche, et pour longtemps. En période de crise, les contrats aidés permettent d’être en emploi au lieu de dépendre des minima sociaux ou du chômage. » Mais, « ces dispositions d’urgence doivent déboucher sur un véritable emploi. Plutôt qu’une politique par à-coups, nous voulons une réflexion globale sur la structuration de l’emploi en France, une sorte de GPEC nationale ». Sur les aides à l’embauche, la confédération appelle aussi à un contrôle pour éviter tout effet d’aubaine. Cela concerne notamment la transformation d’un emploi en
contrat d’apprentissage, pour lequel la prime est plus élevée. FO revendique aussi la mise en oeuvre d’un dispositif favorisant l’emploi de jeunes dans le cadre de départs anticipés de seniors, du type Allocation de remplacement pour l’emploi (ARPE). Pour les apprentis qui ne trouveraient pas d’employeur au bout de six mois, FO demande à faciliter leur passage du CFA vers le lycée professionnel, afin qu’ils ne restent pas sur le carreau. Pour un réel accompagnement des publics en formation, FO revendique également davantage de moyens et d’effectifs pour Pôle emploi et les missions locales. Elle insiste aussi sur la nécessité de donner accès à des formations de qualité, qualifiantes et certifiantes. Clarisse Josselin
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