Emprunts toxiques : le poison sévit encore

Collectivités par Valérie Forgeront

Où l’on reparle de ces emprunts toxiques qui ne cessent de distiller un venin produit par la perversité même de leur fonctionnement. Depuis l’abandon de la parité entre l’euro et le franc suisse, décidée le 15 janvier dernier par la Banque nationale suisse, quelque 600 collectivités locales, hôpitaux et office HLM scrutent avec émoi l’envolée des cours du franc suisse, monnaie sur laquelle sont indexés nombre de leurs emprunts à risques.

Contractés dans les années 2000, ces prêts ont déjà amené plus de 5 500 entités locales à s’endetter pour des dizaines d’années et souvent pour des centaines de millions d’euros. En 2010, sur fond de scandale avec la faillite de la banque franco-belge Dexia, spécialiste des collectivités, ces dernières découvraient en effet l’étendue des dégâts des emprunts toxiques, contractés auprès des banques et notamment de Dexia, sur leurs finances locales. L’endettement total des collectivités dû à ces emprunts est ainsi estimé à près de 20 milliards d’euros.

Les prêts en question, servant à financer la plupart des investissements d’entités territoriales en manque de fonds propres pour autofinancer des projets, sont assortis de taux d’intérêt adossés à des monnaies étrangères dont les cours fluctuent. Or ces cours se sont envolés, ce qui a entraîné une flambée des taux d’intérêt des emprunts et par conséquent des sommes devant être remboursées par les collectivités.

Depuis la mi-janvier, l’envolée de près de 20 % des cours du franc suisse affole les collectivités concernées, lesquelles constatent une hausse fulgurante du niveau de remboursement des intérêts de leurs emprunts. L’affaire du franc suisse pourrait induire un surcoût total d’endettement de un à dix milliards d’euros pour les collectivités.

L’envolée des taux d’intérêt

Parmi celles-ci, la ville de Perros-Guirec (Côtes-d’Armor). Pour cause d’emballement de la monnaie suisse, la commune balnéaire subirait un doublement de ses remboursements d’emprunts cette année. De 600 000 euros à payer initialement, la commune devrait s’acquitter d’environ 1,2 million d’euros. La collectivité a dû décider d’ores et déjà un plan d’économies de 150 000 euros. Or rien ne dit si ce plan de restriction drastique des moyens de fonctionnement, forcément préjudiciable aux conditions de travail des agents et aux missions publiques à destination des usagers, sera le seul et suffira.

À Vesoul (Haute-Saône), un emprunt assorti d’un taux d’intérêt de 4,5 % en 2007 se retrouve aujourd’hui, pour cause d’envolée du franc suisse, avec un taux de 28 %. Un véritable taux d’usure en somme. Déjà fortement endettée par la toxicité de ses emprunts, la ville devrait rembourser 320 000 euros d’intérêts en plus cette année.

Face à ces situations qui aggravent davantage encore la fragilité des budgets locaux, les collectivités, qui subissent par ailleurs la baisse des dotations de l’État (-11 milliards d’ici à 2017), s’inquiètent de l’avenir de leurs capacités financières alors même que nombre d’entre elles finalisent actuellement leurs plans budgétaires pour l’année.

Pour certaines, la perspective d’un nouveau plongeon vers un grave endettement se conjugue sur le mode de la colère. À Montoire (Loir-et-Cher), élus et citoyens ont manifesté le 31 janvier contre les « banquiers vampires ». La ville a vu le taux de son emprunt passer de 5 % en 2007 à 30 % depuis l’affaire du franc suisse.

En difficulté, les collectivités se tournent donc vers l’État et lui demandent d’agir. Or, rien n’est acquis pour l’instant. L’affaire du franc suisse renvoie en effet aux relations conflictuelles entre l’État et les collectivités à propos de la méthode récemment adoptée et censée aider les entités locales face à leur endettement dû aux emprunts toxiques.

Un fonds sous-dimensionné

Alors que depuis le scandale médiatisé des emprunts toxiques en 2010, nombre de collectivités ont mené des actions en justice afin d’obtenir réparation, soit l’annulation de leurs dettes contractées auprès des banques, ce que certaines ont obtenu, l’État, via la loi de finances de 2014, a décidé de la mise en place d’un fonds de soutien aux collectivités impactées par ces emprunts.

Pour autant cette décision n’a pu satisfaire les entités locales. Et pour cause. Pour avoir accès à ce fonds doté de 1,5 milliard d’euros sur quinze ans et abondé à 40 % par les banques et à 60 % par l’État, les collectivités doivent, selon une loi adoptée en juillet dernier, renoncer à toute action en justice contre ces banques. Elles doivent en revanche renégocier leur dette auprès des banques et accepter de payer des pénalités.

Ce fonds, doté d’un budget jugé largement insuffisant par rapport à l’ampleur du désastre financier des emprunts toxiques, ne permet d’ailleurs de prendre en charge le financement des pénalités des collectivités qu’à hauteur de 25 %. Cette situation, qui mécontente déjà les entités territoriales, vient encore de s’aggraver avec l’envolée du franc suisse et donc l’augmentation de l’endettement local. L’aide du fonds ne représenterait plus que 20 % environ. Cela signifie donc que ces collectivités auraient à supporter 80 % de ces pénalités bancaires.

Alors que la date butoir pour avoir accès au fonds d’aide a été repoussée par le Parlement (via la loi de finances rectificative du 29 décembre 2014) au 30 avril 2015, les collectivités en colère menacent de bouder ce soutien et de mener des actions en justice contre les banques, comme elles entendaient le faire au départ. Plus de deux cents dossiers de collectivités endettées font déjà l’objet d’une action en justice.

Le gouvernement promet « d’agir vite » pour aider les collectivités impactées. L’aide pourrait consister à mobiliser le fonds pour soutenir en priorité des entités locales victimes de l’affaire du franc suisse. Il ne serait en revanche pas question d’abonder ce fonds, notamment en sollicitant les banques, grandes responsables de ce marasme du fait de leurs méthodes spéculatives.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante