Enseignes de bricolages : des profits records qui ne bénéficient pas aux salariés

InFO militante par L’inFO militante, Maud Carlus

© Laurent MAYEUX/REA

Les magasins de bricolage sont sortis largement gagnants de la crise du coronavirus. Malgré deux confinements, la branche connaît une augmentation d’environ 6% de son chiffre d’affaires pour l’année 2020. Mais la redistribution de ces profits records aux salariés tarde à venir, alerte la Fédération des Employés et Cadres FO. Un manque de reconnaissance d’autant plus regrettable que les grandes enseignes de bricolage ont bénéficié des aides de l’État depuis le début de la crise sanitaire.

En termes d’achat, on est passé de la simple colle à bois à la tondeuse, lance Bernard Vigouroux, délégué syndical central FO chez Leroy Merlin. Après le confinement strict de mars et avril 2020, les Français se sont précipités vers les magasins de bricolage dès que ces derniers ont rouvert, via le fameux « click and collect », mis en place dès la mi-avril dans certaines enseignes, ou par livraison. Entre volonté de faire des travaux de rénovation et création d’espaces de télétravail, ça a été la ruée dans les magasins.

Aujourd’hui, après un second confinement, les enseignes de bricolage sont définitivement rassurées. La pandémie n’a pas affecté les chiffres d’affaires en 2020 dans la branche, bien au contraire. Avec une progression de son chiffre d’affaires de 5 à 6,5 %, le secteur a fini l’année 2020 en beauté. 

Un chiffre d’affaires qui fait tourner la tête 

Chez Leroy Merlin, le e-commerce a généré 546 millions d’euros en 2020, en augmentation de 60% par rapport à 2019. Le site Internet a de son côté enregistré 562 millions de visites, un record également. Bilan : Leroy Merlin affiche un chiffre d’affaires d’environ 7,345 milliards d’euros (+5,2% par rapport à 2019).

Côté Castorama, l’autre géant du secteur, le CA a grimpé de 6,5 % et atteint plus de 2,5 milliards d’euros pour l’année 2020. Et tout cela dans un contexte de sortie d’un plan social (PSE) qui a impacté 800 salariés en 2019. Pour rappel, le groupe Kingfisher qui détient Castorama et Brico Dépôt, a fermé 9 magasins Castorama et 2 Brico Dépôts en janvier 2020, jugés  peu rentables

De maigres retombées pour les salariés

Ces chiffres exceptionnels ont de quoi faire sourire les directions des magasins, mais beaucoup moins les salariés, alerte Gérald Gautier, Secrétaire de la Section fédérale du Commerce et VRP FO. Les retombées salariales pour cette année exceptionnelle sont quasi inexistantes. Ainsi, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) qui viennent de s’achever, les enseignes de bricolage ont proposé une augmentation générale de salaire d’environ 0,6%. Une hausse d’autant plus ridicule selon Gérald Gautier, quand on sait que cette année, le Smic augmente de 1%. Pour le militant, cette proposition du patronat de la branche est à la limite de l’indécence.

Jean-Paul Gathier, délégué syndical central chez Castorama, rappelle, lui, que cela correspond à une augmentation d’environ 9 euros par mois,  ce qui, chez nous, ne couvrirait même pas les augmentations de mutuelle qui sont de l’ordre de 15 euros environ cette année ! 

Certains salariés sont venus travailler pendant le premier confinement, sur la base du volontariat. Ces derniers ont reçu une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, mais pas tous, comme le regrette Jean-Paul Gathier. Il fallait être volontaire et que l’employeur ait besoin de nous. Certains n’ont pas pu le faire car ils avaient leurs enfants à garder, ou des problèmes de santé. 

De même chez Leroy Merlin, où de nombreux salariés n’ont pas eu la possibilité de venir travailler pendant le premier confinement, 10% seulement des effectifs étant nécessaires sur place, et aussi sur la base du volontariat. Les salariés ont certes perçu un intéressement valorisé de 3,75%, mais chacun sait que l’intéressement peut avoir un montant variable en fonction des résultats. C’est pourquoi FO revendique une véritable hausse générale de salaire de 60 euros par mois.

Et pour cause. Chez Castorama, par exemple, il a fallu 5 jours de grève en juillet 2020 et des mois de lutte pour que l’intéressement soit indexé sur les profits de l’année et non pas du trimestre. Si pour cette année, l’intéressement a explosé, au vu des résultats annuels 2020 il équivaut à 2,4 mois de salaire, en temps normal, précise Jean-Paul Gathier, c’est un demi-mois de salaire. Le combat a toutefois été remporté et l’intéressement de 2020 sera versé cette année. 

Mais attention, ce ne sont pas les salariés placés en première ligne depuis le début de la crise qui perçoivent le plus. Sur un effectif de 24 000 salariés, seuls 670 reçoivent les plus grosses primes d’intéressement, en moyenne 14 857 euros.

Travailleurs invisibles et sans reconnaissance

Pourtant cette année 2020 a été particulièrement éprouvante pour les salariés des enseignes de bricolage. De véritables invisibles et oubliés de la crise, mais, sans qui ce chiffre d’affaires n’existerait pas, martèle Jean-Paul Gathier. Les salariés ont mouillé leur chemise, ils étaient en première ligne alors qu’il y avait beaucoup de peur. Quand on a rouvert après le premier confinement, on était obligé de porter le masque mais les clients non ! Et il ne s’agissait pas de tomber malade chez Casto. Cas de Covid avéré, dans le cadre d’un arrêt de travail, vous subissez 3 jours de carence avant indemnisation, voilà la reconnaissance. 

A cette situation difficile pour les salariés du bricolage, il faut ajouter le travail supplémentaire, sans aucune compensation, que constitue la mise en place de nouveaux services comme le « click and collect » et le « drive ». FO demande donc un « rattrapage salarial », des revalorisations de salaires dignes de ce nom mais aussi la garantie qu’il ne sera procédé à aucun licenciement dans les enseignes aidées par l’État, indique Gérald Gautier. 

Pour un contrôle de l’utilisation des aides de l’État

En effet, à l’instar d’autres secteurs, les enseignes du bricolage ont bénéficié, dès le premier confinement, du dispositif de prise en charge de l’activité partielle (financement de 84% du salaire) par l’État (et l’Unédic). Leroy Merlin et Castorama ont profité de ce soutien qui laisse à l’employeur la liberté de compenser, ou pas, la partie restante du salaire non prise en charge. Le groupe qui détient Castorama et Brico Dépôt a par ailleurs contracté un prêt garanti par l’État (PGE) à hauteur de 600 millions d’euros dès le début de la crise. Nous exigeons de pouvoir contrôler l’utilisation de ces aides de l’État, pour qu’elles ne servent pas à verser des dividendes aux actionnaires, insiste Gérald Gautier de la Fédération des Employés et Cadres FO. 

Les responsables syndicaux seront plus que vigilants, d’autant que si pour l’instant, le regain d’activité semble se poursuivre dans le secteur en ce début 2021, ils craignent des jours plus maussades. En cas d’amélioration de la situation sanitaire, les gens auront plutôt envie de s’évader loin de chez eux plutôt que d’aller acheter de quoi repeindre la chambre du petit dernier, lance avec humour Bernard Vigouroux le DSC FO de Leroy-Merlin. Et de souligner plus sérieusement On redoute une baisse de l’activité dans le futur, avec toutes les conséquences que cela peut induire pour les salariés.

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

Maud Carlus