La France a transposé la directive très – voire trop – rapidement, rendant impossible une consultation effective des organisations syndicales. La transposition s’est faite, dans un premier temps, par l’intermédiaire de quatre instruments juridiques différents limitant la possibilité de produire une analyse d’ensemble sur les différentes dispositions :
- Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel
- Ordonnance n°2019-116 du 20 février 2019
- Décret du 4 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au détachement de travailleurs et au renforcement de la lutte contre le travail illégal
- Arrêté du 4 juin 2019.
Prétextant des difficultés d’applications du fait de la pandémie de coronavirus, le 14 avril 2020, Business Europe a demandé un report de l’entrée en vigueur des dispositions de la directive au Commissaire européen chargé de l’emploi et des affaires sociales. FO, avec la CES et des fédérations européennes (IndustriAll, EFBWW, EFFAT et UNI Europe), s’était opposée à un tel report, souhaitant que les nouveaux droits pour les travailleurs détachés entrent en vigueur à la date prévue. La Commission européenne a finalement décidé qu’aucun report n’était possible, tout en reconnaissant que les États membres pourraient rencontrer des difficultés dans la mise en œuvre totale de la directive.
Les dispositions sont donc entrées en vigueur le 30 juillet 2020, avec en France, la publication de deux nouveaux textes : un décret n°2020-916 du 28 juillet 2020 relatif aux travailleurs détachés et à la lutte contre la concurrence déloyale et l’arrêté du 28 juillet 2020 établissant la liste des informations mentionnées au IV de l’article L. 1262-2-1 du Code du Travail. Un projet de circulaire est également en cours est également en préparation.
Par ailleurs, lors de la réunion du 4 juin, le Président de la République a annoncé son souhait de revenir sur la question du travail détaché : « l’objectif serait de parvenir à un dispositif garantissant « à travail égal – coût égal », signifiant l’intégration des cotisations sociales ou de leur équivalent. Cette question suppose cependant un accord au niveau européen.
Les principales mesures pour les travailleurs
Modification du noyau dur des règles applicables au salarié détaché : alors qu’auparavant, les travailleurs détachés en France devaient être rémunérés a minima à hauteur du salaire minimum, la directive prévoit une égalité de traitement avec les travailleurs « locaux » de la même branche d’activité en termes de rémunération (salaire de base, autres avantages et accessoires). Les allocations de détachement sont considérées comme faisant partie de la rémunération.
- L’égalité de traitement doit être appliquée également pour le remboursement des frais professionnels engagés du fait du détachement (transport, repas et hébergement). L’employeur les prend en charge lorsque les conditions suivantes sont remplies :
- Leur prise en charge est prévue par la loi ou par un accord collectif
- Lorsque le salarié détaché doit se déplacer vers ou depuis son lieu de travail habituel ou lorsqu’il est temporairement envoyé par l’employeur de ce lieu de travail habituel vers un autre lieu de travail.
- A noter que si l’employeur ne verse pas toute l’allocation propre de détachement, la somme versée sera considérée comme des frais professionnels. Cela signifie donc que l’employeur ne pourra pas dire que cette somme constitue du salaire.
Limitation de la durée du détachement à 12 mois (au-delà, ce qui veut dire à partir du 13e mois, l’employeur doit respecter toutes les dispositions du code du travail, exceptions faites de certaines dispositions, notamment celles relatives à la conclusion et la rupture du contrat de travail). L’employeur peut néanmoins étendre cette durée à 18 mois en adressant une déclaration motivée à l’administration avant la fin des 12 mois. Cette déclaration doit mentionner le motif de la prorogation et sa durée. Si l’employeur n’effectue pas cette déclaration, il pourra être sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 8000€ par travailleur détaché en cas de récidive dans un délai de 2 ans.
Renforcement des obligations d’information pour les entreprises de travail temporaire :
- Lorsque des travailleurs, mis à disposition par une entreprise de travail temporaire (ETT) basée dans un autre État membre que la France pour une entreprise utilisatrice basée dans un autre État membre, sont détachés en France, l’entreprise utilisatrice doit prévenir l’entreprise de travail volontaire du détachement des salariés en France ainsi que des règles qui leur sont applicables (le décret du 28 juillet 2020 précise les informations à transmettre).
- Si cette obligation d’information est nouvelle, la nouvelle législation française vient supprimer une obligation pour l’entreprise utilisatrice : désormais, elle n’aura pas besoin de déclarer à l’Inspection du travail que l’employeur (l’entreprise de travail temporaire) a bien connaissance du détachement de ses salariés.
- Lorsque l’entreprise utilisatrice est basée en France, et que l’entreprise de travail temporaire est basée dans un autre État membre, l’entreprise utilisatrice doit informer l’ETT des règles applicables en matière de rémunération pendant le détachement.
Durcissement des sanctions et augmentation des amendes ; la loi Avenir professionnel a ouvert la possibilité d’ordonner l’interdiction à une entreprise d’avoir recours à des travailleurs détachés en cas de non-paiement d’une amende administrative prononcée en cas de non-respect du droit des travailleurs des détachés ou des règles propres au détachement.
Si FO salue ces différentes mesures, permettant de lutter contre le dumping social et d’assurer de meilleures conditions de travail aux travailleurs détachés, la question reste de savoir ce qu’il adviendra de leur mise en œuvre. Sans renforcement des moyens matériels, humains et financiers de l’Inspection du travail, ces mesures n’ont qu’une portée limitée. FO appelle au renforcement de la coordination au sein de l’Autorité européenne, qui devait lancer deux inspections conjointes cette année (retardées du fait de la pandémie de Covid-19). Dans un rapport de 2019, la Cour des comptes souligne les problèmes posés par le manque de moyens adaptés à la lutte contre le travail détaché. Elle met en avant le fait que malgré l’évolution du cadre juridique, les fraudes au détachement restent nombreuses.
Travail détaché et pandémie du Covid-19
La pandémie de Covid-19, qui a entrainé la fermeture des frontières, a engendré de nombreuses difficultés de déplacement pour les travailleurs détachés. Une instruction du Premier ministre a été publiée le 20 mai 2020 sur le travail détaché, détaillant les conditions d’entrée sur le territoire français des travailleurs détachés dans les secteurs où la main d’œuvre manquait (secteur agricole notamment). Cela a abouti à de nombreux foyers de contamination, notamment du fait des conditions d’hébergement (souvent collectifs), fréquemment précaires, voire insalubres, mais également de l’absence de mesures prises par les employeurs pour permettre un respect des gestes barrière.