En jugeant que les salariés des sociétés sous-traitantes et les intérimaires seraient désormais considérés comme des salariés de l’entreprise donneuse d’ordre, le National Labour Relations Board (NLRB, bureau national des relations de travail qui gère les conflits de travail) a fait un grand bond en avant. Cette décision fait rentrer de facto les salariés dans le giron des protections garanties à tous les travailleurs, en redéfinissant le lien de droit entre le travailleur externalisé ou franchisé et l’employeur, et celui qui unit l’entreprise donneuse d’ordre ou mère à l’entreprise sous-traitante ou filiale.
Dans cette affaire, le litige opposait une entreprise californienne Leadpoint à son prestataire, une agence d’intérim, qui lui fournissait des services de recyclage. Le NLRB a jugé que la société cliente exerçait suffisamment de contrôle sur les travailleurs mis à sa disposition – elle fixait les rémunérations, le temps de travail et assurait le recrutement - pour la qualifier de co-employeur. Cela signifie que l’entreprise donneuse d’ordre ou la maison-mère partage la responsabilité d’employeur avec son prestataire ou son franchisé. Elle est ainsi tenue d’accorder les mêmes droits (primes, congés, protection sociale, etc.) à l’ensemble des salariés.
Cependant, cette nouvelle jurisprudence ne pourra s’appliquer que si les salariés employés par les entreprises sous-traitantes sont représentés par un syndicat. Dans le modèle américain de relations collectives, les protections juridiques au travail découlent du lien syndical. Le jugement du NLRB ouvre dès lors la porte aux syndicats qui souhaitent s’implanter dans l’entreprise donneuse d’ordre pour représenter ces salariés intérimaires et négocier de nouveaux droits. Il incite donc indirectement les syndicats des entreprises donneuses d’ordre à représenter les intérimaires et les « externalisés », pour leur négocier de nouveaux droits. Le périmètre de la représentation collective s’élargit ; les possibilités de négociation et d’amélioration des droits de tous les travailleurs aussi, ce qui est une bonne nouvelle, car jusqu’ici les salariés précaires restent très peu syndiqués. Concrètement, cette décision permettra aux salariés américains les plus éloignés du droit de bénéficier – sous condition de syndicalisation – d’une véritable protection juridique (limitation des heures supplémentaires, salaires égaux, etc.).
L’AFL CIO s’est félicitée de cette décision qui « contribue à faire entrer le droit du travail dans le XXIe siècle et reflète la véritable nature de l’économie actuelle » - en redéfinissant les frontières de l’entreprise et des protections dues aux salariés.
A l’inverse le patronat y voit la destruction de l’avantage comparatif du recours à une main d’œuvre externalisée. Pour la National Federation of Independant Business en effet « si le jugement est maintenu, il n’y a plus de raison de faire appel à un sous-traitant. Il entraîne la suppression des avantages financiers et remet en cause toutes les protections réglementaires et légales qui protégeaient l’entreprise cliente ».
Le débat américain nous rappelle qu’en France nombre de travailleurs restent en droit ou en fait écartés des protections du droit syndical et du droit social, qu’il s’agisse des « auto-entrepreneurs », « vrais-faux » indépendants, des franchisés qui ressemblent étrangement à des salariés ou des salariés externalisés.