Alerte rouge pour une colère noire
, crie un militant dans le mégaphone. Ces deux couleurs sont visibles de loin, sur le trottoir du boulevard des Invalides, à Paris, en ce jeudi 9 juin. Ça te va bien le gilet rouge
, salue une femme aux cheveux rose à une autre, en agitant son drapeau noir Force Ouvrière. À l’appel de la FNAS FO et de l’UNSFO, une centaine de professionnels visibles et invisibles du secteur social et médico-social
se sont retrouvés à proximité de l’hôtel de Matignon.
183 euros pour tous sans contrepartie
Un chiffre est sur toutes les lèvres : 183. Car près de deux ans après la signature du protocole Ségur, portant la mesure d’augmentation de 183 euros mensuels des métiers demeurent exclus de cette disposition salariale, notamment des professions techniques et administratives. Aujourd’hui, ce sont 240 000 professionnels qui sont exclus de cette hausse salariale
, souligne Jacques Tallec, (Fnas-FO) d’Ille-et-Vilaine. Au mégaphone, il interpelle la nouvelle Première ministre. Madame Borne, nous voulons les 183 euros pour tous !
Catherine Rochard, de l’UNSFO, ne comprend pas cette distinction entre les professions. On nous a expliqué que ces professions ne sont pas en contact direct avec les usagers. Mais tous ces métiers demandent quand même des formations particulières pour répondre aux besoins spécifiques de chaque public, explique-t-elle. Ce n’est pas la même chose d’être réceptionniste dans une grand entreprise que de l’être dans un Ehpad.
Pour une augmentation générale des salaires
Pour les militants, ces 183 euros supplémentaires sont indispensables aux salariés et ce complément salarial serait pour le moins un geste de reconnaissance au regard de l’engagement des professionnels sociaux et médico-sociaux qui ont assuré la continuité des interventions et des soins durant toute la crise du Covid-19. Et qui plus est, souligne Catherine Rochard face à l’inflation actuelle, ce montant ne représente plus grand-chose, à peine deux pleins d’essence. Cette augmentation demeure insuffisante
insiste t-elle, martelant l’exigence d’une augmentation immédiate des salaires au minimum à hauteur de l’augmentation du coût de la vie
et le rattrapage des années de blocage de salaires. Depuis les quarante dernières années, les travailleurs sociaux ont perdu 40 % de leur pouvoir d’achat
, assure Véronique Menguy (Fnas-FO) des Côtes d’Armor.
La précarité de nos rémunérations fait de nous des travailleurs pauvres
, poursuit la militante. Au sein du groupe rassemblé près de Matignon, les militants acquiessent. Catherine Jaegle, de la Fnas FO du Bas-Rhin pense à son collègue, jeune diplômé. Faute d’un salaire suffisant pour trouver un logement, il dort dans sa voiture. Une situation horrible
et d’autant plus choquante que le travail de ce jeune professionnel consiste à s’occuper et prendre soin de personnes qui vivent dans la rue...
. Catherine s’est levée aux aurores et a fait le trajet depuis Strasbourg pour venir manifester à Paris. Autour d’elle, certains sont venus de Lille ou de Dax. Tous sont déterminés et l’affirment : le combat doit être mené... et surtout aboutir.
Un projet de convention unique introduisant le salaire au mérite
Une autre revendication, tout aussi essentielle à faire aboutir pour ces militants est celle du maintien et de l’amélioration des conventions collectives. La Fnas-FO et l’UNSFO s’opposent fermement à la mise en place d’une Convention Unique Étendue, ce qui implique la destruction des CCNT 66 et 51. La convention unique revient à Une convention de caniveaux dictée par les patrons
, dénonçait Jacques Tallec, tenant le mégaphone. Pour les employeurs et le gouvernement, cette convention est la solution miracle à tous les problèmes, grince Murat Berberoglu de l’UNSFO. Or, non. La solution, on la connaît tous : c’est de donner davantage de moyens pour améliorer les rémunérations et les conditions de travail. Mais personne ne veut mettre l’argent sur la table.
Ce projet de convention collective unique, auquel Force Ouvrière s’oppose depuis le début, a été présenté par les employeurs (Axess) en février. Il introduit notamment la prise en compte des compétences
, dans les grilles salariales. Une mesure effrayante, jugent les militants. Nos professions sont normées, elles exigent des diplômes spécifiques. Or là, on nous parle plus de diplôme mais de compétences, observe Catherine Rochard. Ce n’est ni plus ni moins que du salaire au mérite et, avec cela, la remise complète et profonde de nos secteurs professionnels.
Dans ces secteurs qui manquent d’attractivité, l’été inquiète
Pour Force Ouvrière, seule une augmentation générale des salaires, et l’amélioration des conditions de travail peuvent solutionner le problème de fond que connaissent les secteurs sociaux et médico-sociaux, soit un manque criant d’attractivité. Une délégation a été reçue par la direction du cabinet de Damien Abbad, ministre des Solidarités. Nous avons porté nos revendications, mais également alerté sur la détérioration des conditions de travail, aggravée par les difficultés de recrutement que connaissent nos secteurs
, indique Catherine Rochard.
Par leurs salaires faibles, les secteurs du sanitaire et du social souffrent effectivement d’un manque d’attractivité évident. Chez les soignants, on compte 15 % à 30 % de postes vacants. Comment s’en étonner... En début de carrière, les éducateurs spécialisés ne gagnent ainsi que 1 300 euros par mois, et le salaire net médian s’affiche à 1 770 euros. Ces professionnels voient arriver l’été, soit la période de congés, avec inquiétude. Car les absences des collègues ne seront pas forcément comblés par des contrats de remplacement. Les structures ont des gros problèmes à recruter, même en CDI !
, observe Catherine Jaegle.