Fausto Coppi, premier maître à l’Alpe d’Huez

Le Tour de France

Les 21 lacets de l’Alpe d’Huez. Le vendredi 4 juillet 1952, Fausto Coppi s’impose au sommet de la station iséroise à l’issue d’une course de côte. Après la longue ascension des 21 lacets, il déclare : « J’ai grimpé sans forcer. » © photos PRESSE SPORTS

En 1952, la toute première arrivée au sommet de l’histoire du Tour eut lieu à l’Alpe d’Huez. Pour l’une des plus grandes démonstrations du champion italien sur la Grande Boucle.

C’est la Mecque des grimpeurs. L’Alpe d’Huez n’est pas l’ascension la plus difficile de la planète, ni même de France, mais la Grande Boucle y a écrit quelques-unes des plus belles pages de son histoire et ses vingt et un lacets figurent parmi les lieux les plus emblématiques du cyclisme. Le jeudi 19 juillet, le Tour y installera sa ligne d’arrivée pour la trente et unième fois, ce qui fait de « l’Alpe » l’arrivée au sommet la plus récurrente de l’histoire de l’épreuve, et d’assez loin. Pourtant, ce total a été obtenu en à peine quarante ans, car ce n’est qu’en 1976 que la montée s’est installée dans le paysage de la Grande Boucle, au point de devenir le classique des classiques en montagne. Auparavant, le Tour de France n’avait rendu visite à la station iséroise qu’à une seule reprise, en 1952, avant de la bouder pendant vingt-quatre ans. Peut-être parce que le choc fut si rude cette année-là que les organisateurs voulurent d’abord oublier, voir autre chose. Ce choc portait un nom : Fausto Coppi.

Le Tour de France 1952 est celui des grandes premières. Cinq ans après son redémarrage après-guerre sur des routes défoncées par le conflit, le Tour entre de plain-pied dans la modernité : pour la première fois, la télévision diffuse la course. Le parcours propose pour la première fois des arrivées au sommet dans les grands massifs. Jusqu’ici, les étapes se contentaient de franchir les cols mais arrivaient systématiquement en vallée, se terminant donc par une descente ou du plat. Pour cette édition 1952, les organisateurs décident d’innover en proposant trois arrivées en montée : l’Alpe d’Huez sur la 10e étape, Sestrières pour la 11e étape et le Puy-de-Dôme pour la 21e étape, à deux jours de Paris.

Un faucon qui fond sur ses proies

Ce vendredi 4 juillet 1952, l’Alpe d’Huez est donc la toute première arrivée au sommet de l’histoire du Tour de France. Pour l’occasion, le profil proposé est celui d’une course de côte : partie de Lausanne, l’étape est longue de 266 kilomètres mais elle est toute plate jusqu’au pied de l’ascension finale, à Bourg-d’Oisans. Sous un soleil de plomb, le goudron fond sous les roues des coureurs et la journée semble bien longue tant la course est atone avant l’ascension finale. Tout le monde attend la seule difficulté du jour pour s’expliquer, ce qui attriste les observateurs. Le lendemain, l’envoyé spécial de L’Équipe, Claude Tillet, résumera ce sentiment dans les colonnes du journal : Cette journée se traduisit par 15 kilomètres de course et ne milita donc pas en faveur des arrivées en haut.

Le Tour est parti depuis neuf jours et Fausto Coppi a déjà eu l’occasion de marquer les esprits en remportant le contre-la-montre de 60 kilomètres entre Metz et Nancy. Mais c’est son habituel gregario, Andrea Carrea, qui porte le maillot jaune sur la route de l’Alpe d’Huez, après s’en être emparé la veille à Lausanne au terme d’une échappée. Coppi, lui, attend son heure. Il n’a pas très bien dormi et il voudrait bien que son habituel équipier, Carrea, que les Italiens surnomment « Sandrino », profite un peu plus de son maillot jaune. Il a donc plutôt prévu de passer à l’offensive deux jours plus tard, sur la grande étape des Alpes qui franchira quatre cols avant d’arriver à Sestrières, chez lui, en Italie.

Mais le plan du Campionissimo est contrarié dès les premiers lacets de l’Alpe d’Huez – à l’époque pas encore goudronnés – par les coureurs de l’équipe de France. Jean Robic passe à l’offensive en compagnie de Raphaël Géminiani : un duo de grimpeurs redoutables dont l’attaque semble surprendre tout le monde. Il a bien fallu que je les ramène à la raison, dira Coppi après l’arrivée. Alors l’Italien part à leur poursuite. Bien vite, il rejoint puis lâche Géminiani ; puis à huit kilomètres du sommet, le voilà aux côtés de Robic. Les Français sont repris comme les proies d’un faucon pour les journalistes du quotidien italien Tuttosport, tombés amoureux de leur champion : Nous ne nous souvenons pas l’avoir déjà vu pédaler avec une telle légèreté et à ce rythme vertigineux.

Une domination sans appel

Robic, vainqueur du Tour 1947, éternelle tête de mule du peloton, est dans un grand jour. Mais Coppi est irrésistible. Sans porter d’attaque – il ne se mettra jamais en danseuse tout au long de l’ascension –, le coureur transalpin finit par faire décramponner le Breton à six bornes de l’arrivée. Jusqu’au bout, il ne se retournera pas. Tout juste Jacques Goddet, le patron du Tour séduit par la magnificence de l’envolée de Fausto Coppi, se souvient-il avoir vu l’aigle italien darder son regard vers la vallée lointaine.

À l’arrivée, les écarts sont gigantesques. Seul Robic s’en tire avec les honneurs : il est deuxième à 1 minute 20 secondes. Le troisième est à plus de 3 minutes, le septième à 4 minutes… J’ai grimpé sans forcer, se contente pourtant de déclarer Coppi après son exploit, qui lui permet d’ailleurs de chiper le maillot jaune à son compatriote Andrea Carrea pour cinq petites secondes. Ah, j’aime mieux ça, réagira Sandrino en apprenant la nouvelle. Ce n’était pas juste qu’un soldat lâche son capitaine.

Le lendemain, jour de repos, les organisateurs de la Grande Boucle décident de revaloriser le prix attribué au deuxième du classement général, afin de motiver les adversaires de Coppi, qui semble déjà imbattable. Leur intuition est bonne : dès l’étape suivante, le Campionissimo poursuit sa démonstration à Sestrières où il relègue l’ensemble de ses adversaires à 7 minutes minimum. Il gagnera encore au Puy-de-Dôme, s’imposant ainsi sur les trois arrivées au sommet de ce Tour 1952, mais aussi à Pau, pour rallier Paris avec plus de 28 minutes d’avance sur son premier dauphin, le Belge Stan Ockers !

Trop d’un coup ? Fausto Coppi ne remportera plus jamais le Tour de France, où il ne remettra d’ailleurs jamais les pieds. Et l’Alpe d’Huez devra donc attendre vingt-quatre ans pour revoir ses vingt et un lacets mis à l’honneur par la Grande Boucle, en 1976.