Le 27 avril, Yannick Farré, secrétaire général du syndicat FO de Fibre Excellence Tarascon, était convoqué par la direction à un entretien préalable à sanction autre qu’un simple avertissement
. Quelques jours plus tôt, dénonçant un acharnement
à l’encontre du militant, l’union départementale FO des Bouches-du-Rhône avait lancé une pétition de soutien qui a récolté 4500 signatures en ligne ainsi que des centaines de signatures sur papier. Les signataires exigeaient le retrait de toutes les menaces et sanctions contre Yannick Farré et l’arrêt des pressions contre le syndicat FO, dont les représentants font l’objet de sanctions depuis des mois.
Cette pétition a notamment été paraphée par le secrétaire général de la confédération Yves Veyrier, et par plusieurs unions départementales et fédérations FO. Le matin même de la convocation, 120 militants ,de divers horizons ou salariés du comité de défense de l’usine, se sont rassemblés devant l’entreprise à l’appel du syndicat FO pour apporter leur soutien à Yannick Farré, également secrétaire général de l’union locale FO de Tarascon.
La mobilisation a fait reculer la direction,
se félicite le militant, salarié de l’usine depuis 17 ans et élu dans le collège ouvrier depuis 2006. Je pense qu’elle avait prévu de me mettre plusieurs jours de mise à pied, la convocation était explicite. Finalement, la sanction sera au pire un avertissement. Si c’est le cas, je la contesterai.
Un pouvoir d’achat en baisse de 10 à 20% pour les salariés
La direction lui reproche d’avoir fait entrer le 7 avril un huissier de justice dans cette usine classée Seveso. Ce jour-là, la CGT et la CFDT avaient organisé une consultation des salariés portant sur la signature d’un accord destructeur réduisant fortement la masse salariale. Nous avons fait venir un huissier pour nous assurer de la régularité de la consultation,
explique Yannick Farré. Mais elle est passée comme tous les visiteurs par le poste de contrôle, je ne l’ai pas fait entrer de force
.
A l’issue de la consultation, malgré certaines irrégularités
relevées par le syndicat FO et une propagande de la direction pour minimiser l’impact de l’accord
, une majorité des salariés s’est opposée à la signature : 148 salariés contre, 128 pour et 5 nuls. Bien qu’ayant promis de respecter le résultat de la consultation, les deux syndicats CGT et CFDT ont signé le 13 avril cet accord dit de révision
.
Une trahison des salariés
pour Yannick Farré qui dénonce une bombe atomique sur le social
et le pire accord jamais signé dans l’industrie
. Selon lui, l’accord entraînera une baisse de 25 à 30 % de la masse salariale. Il détruit plusieurs dizaines d’accords historiques négociés par le passé. Le pouvoir d’achat des salariés va baisser de 10 à 20%. Outre une baisse de salaire, les frais de mutuelle santé seront doublés pour des prestations moindres. L’accord prévoit également de diviser par deux l’indemnité versée aux œuvres sociales. Le temps de travail va augmenter, selon les salariés, de 4 à 12 jours par an. Une quarantaine de postes en CDI sur 270 vont être supprimés, essentiellement parmi les ouvriers. L’employeur pourra aussi modifier à sa guise les horaires de travail et le temps de travail en cas de nécessité, alors que les conditions sont déjà extrêmement difficiles avec du travail de nuit, des roulements en 4x8 ou 5x8, la présence d’amiante, de produits chimiques…
L’entreprise est en redressement judiciaire depuis octobre 2020
Les salariés auraient fait quelques efforts, mais un accord dévastateur à un tel niveau, c’est du jamais vu dans le privé
, poursuit Yannick Farré. Pour les futurs embauchés, les salaires pourront être au Smic, malgré les 3x8 et tous les risques encourus. On les formera mais ils partiront au bout de 6 mois, dès qu’ils auront rechargé leurs droits au chômage. Je suis très inquiet pour l’avenir de l’usine
.
Cela faisait plus d’un an que la direction poussait pour obtenir des syndicats la signature d’un accord socialement destructeur. En septembre dernier, selon le syndicat FO, elle avait conditionné l’arrêt de l’usine pour les travaux annuels de maintenance à la signature de plusieurs accords de régression sociale. Les salariés s’étaient mis en grève dix jours. Le protocole de sortie de grève imposait à la direction d’abandonner son projet d’accord et de s’engager à réaliser les travaux indispensables au bon fonctionnement de l’usine. Si les salariés l’ont respecté, ce n’est pas le cas de la direction, qui est revenue à la charge en mars dernier.
Cette fois, en cas de non signature de l’accord dit de révision
, la direction faisait planer la menace d’une fermeture de l’usine qui compte près de 300 salariés et fait vivre des milliers d’exploitants forestiers. Or l’entreprise, qui appartient depuis 2010 au groupe canadien Paper Excellence, est en redressement judiciaire depuis octobre 2020. Ce groupe canadien appartient lui-même à la famille Widjaja, géant indonésien du papier carton avec le groupe Asia Pulp and Paper.
Aucun repreneur ne s’est officiellement manifesté pour l’usine de Tarascon, qui fête cette année ses 40 ans. Toutefois, la direction a déclaré avoir eu des offres, mais conditionnées au versement de 30 millions d’euros de goodbye money
. Or l’actionnaire ne veut pas payer pour céder le site.
Des millions d’euros d’aides d’État versés sans contreparties
Le 23 février, l’actuel propriétaire a finalement présenté au tribunal de commerce de Toulouse une offre de reprise sous condition par l’une de ses filiales. Il serait prêt à investir 20 millions d’euros pour les besoins de trésorerie. Mais il exigeait notamment en contrepartie une réduction du coût de la main-d’œuvre. D’où l’accord destructeur porté par la direction. La justice a prolongé la période d’observation jusqu’en octobre 2021.
Ces derniers mois, l’État a mis la main à la poche en accordant à l’usine 8,5 millions d’euros de prêt garanti par l’État. Le site a également bénéficié d’exonérations de cotisations fiscales. Comme pour Alinea, le propriétaire liquide et reprend l’entreprise, avec là en plus une casse sociale au passage
, dénonce Yannick Farré. L’actionnaire est prêt à remettre 20 millions d’euros pour effacer une dette de près de 100 millions d’euros. Derrière, ce sont des petits forestiers et d’autres entreprises qui ne seront pas payés. Et tout ça se fait avec l’accord de l’État qui met des millions d’euros depuis plusieurs mois sans exiger aucune contrepartie sur l’emploi ou le salaire, c’est inadmissible
. Le militant FO se dit très inquiet pour l’avenir de l’usine. Il y aura une perte de compétences énorme car il faut au moins cinq ans pour former un ouvrier polyvalent autonome, et beaucoup de salariés veulent partir
, explique-t-il. On ne sait vraiment pas où on va
.