Finances publiques : chères entreprises...

InFO militante par Valérie Forgeront, L’inFO militante

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle. Gabriel Attal, ministre délégué en charge des Comptes publics. © Come SITTLER/REA

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 sera présenté au conseil des ministres le 26 septembre, cela sur fond d’inflation forte liée notamment à la crise énergétique. Le gouvernement prévoit des mesures, ponctuelles, dans ce cadre. L’axe du projet dévoilé pour l’instant reste un soutien massif aux entreprises via la poursuite de l’allègement de leur fiscalité et des exonérations. Cela alors que les comptes publics souffrent de plus en plus d’un manque à gagner au plan des recettes. Cela aussi alors que l’exécutif, visant à ramener le déficit public dans les clous du pacte européen de stabilité en 2027, entend engager des réformes structurelles (assurance chômage, retraite, etc) qu’il élève au rang d’outils budgétaires pour abaisser la dépense publique. Des réformes toujours plus menaçantes pour les droits des travailleurs.

Dès la fin août, la Première ministre, Elisabeth Borne, brandissait la menace, en cas de difficulté, d’un recours à l’outil constitutionnel du 49.3 pour faire adopter par le Parlement le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, qui sera présenté le 26 septembre en conseil des ministres (ainsi que le projet de finances pour la sécurité sociale).

Après le projet de loi de finances rectificative adopté à la mi-août et portant diverses mesures, pour 44 milliards d’euros dont 20 milliards pour le plan sur le pouvoir d’achat, le PLF qui s’annonce aura toujours en toile de fond la crise qui perdure. Une crise faite d’une inflation forte —l’Insee vient de l’annoncer pour août à 5,9% sur un an— due en partie à la hausse des prix des énergies fossiles lesquelles, par la crise internationale née de la guerre sur le sol ukrainien, conduisent les états, dont la France, à des incertitudes concernant les réapprovisionnements en énergie

Dans ce contexte garni d’inconnues, le gouvernement a annoncé la prolongation en 2023 des mesures de bouclier tarifaire sur l’énergie (gaz et électricité). La hausse de prix de ces énergies sera toutefois de 15%. Le gouvernement qui appelle tant les ménages que les entreprises et les collectivités locales à de la sobriété dans leur consommation d’énergie, en réduisant celle-ci de 10%, prévoit par ailleurs l’octroi de mesures « exceptionnelles » à un public ciblé. Ainsi en est-il du relèvement jusqu’à 200 euros (contre 100) du chèque énergie à destination de quelque douze millions de foyers modestes. Pour FO, ce genre de dispositions, décidées dès août via le paquet de mesures pour le pouvoir d’achat, procède du ponctuel et ne résout en rien les difficultés structurelles grandissantes des travailleurs. Face à l’inflation, leur pouvoir d’achat est en berne, d’autant plus plombé par des dépenses supplémentaires (pour l’énergie, l’alimentaire...) que leurs salaires sont peu ou pas revalorisés. En juillet, la consommation des ménages, moteur essentiel de la croissance, accusait ainsi un recul de 0,8%. L’Insee estime que sur 2022, le pouvoir d’achat individuel (calculé en unité de consommation) diminuerait, en moyenne, de 0,5%.

Au nom de la compétitivité des entreprises

Le gouvernement avait construit initialement le PLF sur une croissance de 1,4% en 2023 (contre 2,5% cette année), prévision que les observateurs économiques, donc certains évoquent déjà le risque de récession, estimaient très optimiste. Le 13 septembre, le gouvernement a révisé à la baisse, soit à 1%, sa prévision de croissance pour l’an prochain.

Dans ce contexte de crise et malgré les dépenses publiques supplémentaires décidées et se faisant fort d’y faire face, le projet de loi, par ses axes déjà dévoilés, souligne la volonté du gouvernement de surtout conserver le cap : l’allègement toujours plus important de la fiscalité des entreprises, au nom de l’amélioration de leur compétitivité. Et cela assorti de la poursuite de la politique des exonérations sur les cotisations sociales, autrement dit d’abaissement du coût du travail. Au prix d’un manque à gagner de plus en plus grand pour les comptes sociaux.

Le gouvernement semble ainsi vouloir proposer pour 2023 le maintien de la réforme de l’impôt sur les sociétés (au taux maximal de 25% contre 33% auparavant) ou encore la suppression définitive de la CVAE, impôt payé par les entreprises aux collectivités territoriales et qui apportait en moyenne 7 à 8 milliards d’euros par an de recettes aux entités locales.

Selon les récentes déclarations gouvernementales, il n’est pas envisagé d’imposer les bénéfices supplémentaires confortables engrangés par certaines grandes entreprises depuis la crise. Je ne sais pas ce que c’est qu’un superprofit a déclaré, sous les applaudissements, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 30 août devant le Medef réuni pour son université d’été (la REF22).

Par ailleurs, les entreprises bénéficieraient donc, toujours sans contreparties en termes d’emplois et de salaires, des multiples exonérations qui leur sont accordées depuis des années. Et cela alors que la loi de finances rectificative d’août dernier a étendu la portée de certaines et en a créé de nouvelles.

Entre aides directes et exonérations diverses, cela représente au total désormais par an pour les comptes publics plus de 300 milliards d’euros en termes de dépenses et manque à gagner remarquait cet été le vice-président de la commission des affaires économiques du Sénat.

L’IS, un bon baromètre de santé

Mais  quand on baisse les impôts sur les entreprises, on constate que les recettes fiscales [qu’elles apportent, NDLR] augmentent se plaisent à déclarer les ministres de Bercy depuis la rentrée, indiquant qu’au plan fiscal global, l’embellie des recettes est  en lien avec la reprise de l’activité économique. Or, cette reprise concerne bien sûr aussi les entreprises, lesquelles affichent de confortables bénéfices, dont une part, plus faible qu’avant la réforme de 2019, est imposée via l’impôt sur les sociétés (IS).

Les recettes fiscales nettes enregistrées globalement par l’État fin juin étaient en hausse de 28 milliards d’euros sur un an, et les recettes de l’IS y prennent leur part. Celles-ci étaient de 48,2 milliards d’euros en 2019, après le début de la réforme engagée sur l’IS et le basculement du crédit d’impôt CICE en allègement pérenne de cotisations. Elles étaient ensuite en recul, à 36,3 milliards en 2020, pendant la crise Covid, avant de remonter à 46,3 milliards en 2021.

Cet été, elles s’affichaient déjà sur l’année en cours à 56,8 milliards, soit près de 17 milliards d’euros de plus que prévu par la loi de finances initiale de 2022. Le sénat précisait que cette réévaluation du montant des recettes s’explique par les remontées comptables constatées sur les paiements du solde 2021, encaissé en mai 2022.

Si les recettes dues à l’IS, dont le taux est en baisse, augmentent à ce point, cela signifie notamment que les bénéfices depuis la sortie de crise Covid sont effectivement à l’embellie. Mais de ces réjouissances concernant les bénéfices, les salariés n’ont pas profité. Pas de coup de pouce du Smic décidé par l’exécutif et pas de hausses de salaires au moins à hauteur de l’inflation annuelle galopante dans les entreprises et dans les branches, s’insurge FO.

La redistribution des richesses est en panne et certains chiffres donnent le vertige. Au premier semestre 2022 ; les entreprises du CAC40 affichaient déjà sur l’année en cours 73 milliards d’euros de bénéfices. L’an dernier, il s’agissait sur l’année de 160 milliards d’euros de bénéfices. Le record de 2007 avec ses 100 milliards était ainsi pulvérisé. Quant au montant des dividendes versés aux actionnaires, on apprenait en août dernier, qu’il avait pulvérisé une nouvelle fois un record, augmentant de près de 33% au second trimestre, à 44,3 milliards d’euros.

Des contre-réformes comme outils budgétaires

Pour l’an prochain, le gouvernement annonçait dès la fin août sa volonté d’une réduction de 2,5% en volume des crédits de l’État par rapport à la loi de finances rectificative adoptée le 16 août. La baisse pour l’ensemble de la dépense publique serait de 1,3%. Le plafond de dépenses des différentes missions ministérielles, dévoilé cet été montre une stagnation pour la grande majorité de ces missions, hormis pour certaines (défense, sécurités). Et parmi celles-ci, le gonflement des crédits sera en trompe-l’œil. Ainsi les crédits supplémentaires accordés à la mission enseignement scolaire seront absorbés par des mesures de revalorisations salariales déjà actées. Quant à ceux de la mission travail et Emploi, ils iront en grande partie au financement des mesures sur l’apprentissage.

En ce qui concerne les perspectives dans le temps, le gouvernement qui a transmis cet été la trajectoire budgétaire 2022-2027 de la France à la Commission européenne, réaffirme l’objectif de ramener le déficit public (État, collectivités locales et protection sociale) à 2,9% (du PIB) en 2027. Attendu à 5% cette année, le gouvernement estime qu’il sera du même niveau l’an prochain et semble concevoir une accélération des « efforts » sur les comptes, particulièrement à partir de 2024.

Pour réaliser cette trajectoire impliquant donc notamment des économies sur les dépenses publiques, il table entre autres sur la mise en œuvre de réformes « structurelles ». Le ministre des comptes publics Gabriel Attal confirmait le 3 août devant le Sénat : nous voulons poursuivre les réformes. Et de citer la réforme de l’assurance chômage, celle des retraites ou encore celle du lycée professionnel... En cette rentrée, le gouvernement met effectivement tout cela sur la table. Les syndicats, FO en tête, ont dit leur refus de ces réformes détruisant des droits.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération