Fiscalité : l’avenir incertain de l’impôt sur les sociétés

Europe par Valérie Forgeront

Où l’on reparle de la fiscalité appliquée aux entreprises françaises et plus particulièrement de l’impôt sur les sociétés, assis sur une partie des bénéfices des entreprises. Un rapport émanant du Conseil des prélèvements obligatoires et rendu public le 12 janvier dernier estime qu’il faut adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte. Cela avant l’arrivée peut-être de nouvelles règles européennes. Décryptage.

En quoi l’impôt sur les sociétés communément appelé IS et créé en 1948 n’est-il pas adapté ? Pour le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO/organisme rattaché à la Cour des comptes), l’impôt sur les sociétés est confronté à un double contexte de mobilité des capitaux, des entreprises et des personnes et de concurrence vive entre les états. Ce contexte étant bien différent de celui qui existait lors de la création de l’IS, il convient donc de revoir les règles de cet impôt.

Ces règles ont d’ailleurs déjà évolué au fil du temps indique le Conseil soulignant qu’aussi bien la construction européenne que la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales sont à l’origine de ces évolutions. Il faudrait toutefois passer à l’étape suivante.

Pour la France, il s’agirait ainsi « d’harmoniser » les règles de cet impôt avec celles des voisins européens. La baisse des taux mise en œuvre par ces derniers principalement à partir des années 1990, d’abord par les petits pays puis par les grands cherchant à ne pas faire les frais du développement d’une concurrence fiscale au sein de l’Union exerce des effets sur la compétitivité et l’attractivité relative des États-membres. Concrètement le taux d’imposition de l’IS pèserait sur la compétitivité et l’attractivité de la France.

Et revoilà le CICE…

Pour le CPO, la décision (actée par la loi de finances de 2017) de ramener le taux d’imposition de l’IS de 33.3% à 28% d’ici 2020 -en commençant par les PME et en conservant par ailleurs au sein du système IS un taux réduit d’imposition à 15% pour les petites entreprises- n’est donc pas suffisante.

Le Conseil préconise d’abaisser encore ce taux, à 25%, et cela pour toutes les entreprises. Pour l’instant analyse t-il, le taux français d’imposition de l’IS est l’un des plus élevé d’Europe. Toutefois si ce taux atteint 38% en incluant la contribution sociale sur les bénéfices et la contribution exceptionnelle, l’assiette de l’IS reconnaît-il est désormais large du fait d’une série de mesures prises depuis 2011. Malgré cela ajoute toutefois le rapport le rendement de cet impôt est limité.

Le rendement brut de l’IS en proportion du PIB reste dans la fourchette basse de l’OCDE (2.6 points de PIB). Cela provient de la profitabilité relativement plus faible des entreprises françaises. Quant au rendement net de l’impôt sur les sociétés, il est fortement affecté par l’utilisation de l’IS comme véhicule d’imputation du CIR [Crédit impôt recherche, Ndlr] et du CICE [crédit d’impôt compétitivité et emploi, Ndlr].

Seulement 27% des entreprises s’en acquittent

L’IS est le premier impôt direct et le deuxième prélèvement obligatoire payé par les entreprises rappelle le rapport. En 2013 on comptait 1,5 million d’entreprises assujetties à l’IS, soit 51% des entreprises. Les autres, soit 49% relèvent du régime de l’impôt sur le revenu. Concernant les entreprises assujettis à l’IS, près d’un million d’entre elles sont des microentreprises et moins de 250 sont des grandes entreprises.

Près de la moitié des entreprises assujettis à l’impôt sur les sociétés ne sont pas imposables du fait d’un résultat négatif relève encore le CPO qui s’interroge… Une part importante des entreprises françaises ont un résultat courant avant impôt proche de zéro. Cette concentration autour de zéro peut indiquer l’utilisation de règles fiscales à des fins d’optimisation. Le conseil pondère son constat : une concentration similaire se retrouve dans la distribution des valeurs ajoutées et des excédents bruts d’exploitation, peu manipulables, a priori.

Quoi qu’il en soit, en 2013 souligne le CPO, seulement 27% des entreprises assujettis à l’IS l’ont effectivement payé. Cette proportion concentre toutefois 62% de la valeur ajoutée produite en France la même année.

Plus largement, l’IS -qui ne représente que 5% de la totalité des prélèvements obligatoires- a affiché un produit net de 33,5 milliards d’euros en 2015. De ce montant sont déjà déduits 17,5 milliards au titre de remboursements divers et dégrèvements, dont 9,5 milliards au titre de crédits d’impôts. A lui seul, le CIR représente 5,3 milliards.

L’objectif d’un taux à 25%

Ce montant net de l’IS s’entend aussi hors impact du CICE… Or, en cinq ans, ce CICE (dont le taux a été relevé à 7% de la masse salariale au 1er janvier) a profité aux entreprises, les grandes notamment, pour plus de 100 milliards.

Pour le CPO, il n’est pas confirmé que les grands groupes parviendraient à alléger considérablement leur impôt grâce aux mécanismes de déductions inaccessibles aux PME. Une fois atteint le stade de la PME, la taille d’une entreprise ne conditionne pas significativement son taux d’imposition assure le CPO pour qui l’existence de taux différenciés selon les strates d’entreprises ne peut pas être justifiée par des taux de marges différents.

Le Conseil propose donc de supprimer le taux réduit de l’IS et de voguer vers un taux d’impôt sur les sociétés ramené à 25% pour toutes les entreprises. Il suggère une trajectoire pour cet objectif. S’il ne s’agit pas dans un premier temps de se lancer dans une course préjudiciable en allant vers un moins disant fiscal, la France doit tendre vers une imposition à 25%.

Pour le Conseil cet effort pourrait être en partie gagé par des évolutions de l’assiette et des modalités de calcul de l’impôt. Quoi qu’il en soit, et dans le cadre du « soutien » que la France apportera au projet d’assiette européenne de l’IS il faudra étudier l’impact de cette assiette européenne et prévoir la mise en place d’un tunnel de taux analogue à celui en vigueur pour la TVA.

Le projet d’une directive européenne ACCIS

Le projet d’assiette européenne dit ACCIS (assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés) n’a pas encore vu le jour. Le projet –articulé par une directive européenne- se propose de simplifier l’imposition des entreprises et de lutter contre l’optimisation fiscale en créant dans un premier temps une assiette d’impôt sur les bénéfices des sociétés commune à tous les états membres de l’Union.

Proposé une première fois en 2011 et abandonné, ce projet a ressurgi en octobre dernier. La directive a été présentée par le commissaire européen et ancien ministre français Pierre Moscovici. Après consultation du Parlement européen, le texte devra toutefois être adopté par le conseil de l’Union européenne.

Pour que ce système fiscal puisse s’appliquer, il faudra qu’il soit approuvé par l’ensemble des 28 pays de l’Union. Ce qui n’est pas gagné.

En quoi consiste l’ACCIS ? Il s’agit de créer une règle commune à l’Europe pour déterminer l’assiette d’imposition des bénéfices des entreprises ayant des activités sur le territoire européen.

Les entreprises, leurs filiales et succursales ne déposeraient alors qu’une déclaration de bénéfices pour l’ensemble des activités qu’elles exercent sur ce territoire.

Une assiette commune européenne

Lorsque l’assiette d’imposition européenne aura été déterminée, les bénéfices imposables de l’entreprise seront répartis entre les états au sein desquels elle exerce une activité.

Cette répartition se fera selon trois critères : les actifs (bâtiments, machines…) que l’entreprise détient sur un territoire national, la main-d’œuvre (nombre de salariés, coût salariaux…) dont elle dispose et enfin les ventes effectuées par l’entreprise sur ce territoire national.

Chaque état pourra alors imposer la part des bénéfices qui lui revient en utilisant le taux national en vigueur.

Le projet ACCIS prévoit aussi un volet « consolidation ». Les entreprises pourront compenser les pertes subies dans un état membre par les bénéfices réalisés dans un autre. La commission européenne explique que les entreprises bénéficieront ainsi du même traitement que celles dont l’activité est exclusivement nationale.

Avec le système ACCIS assure-t-elle encore il sera plus facile, moins coûteux et plus attrayant pour les entreprises d’exercer des activités au sein du marché unique.

Le système ACCIS concernerait dans un premier temps et de manière obligatoire les groupes dont le chiffre d’affaires total excède 750 millions d’euros par an.

Toutefois prévoit le projet les entreprises qui n’atteignent pas le seuil auront toujours la possibilité d’appliquer l’ACCIS en vue de bénéficier de ses avantages, à savoir une simplicité et une sécurité juridique accrues et des économies plus importantes.

L’ACCIS prévoit ainsi par exemple de fortes déductions d’impôts pour les entreprises ayant réalisé des dépenses en matière de recherche et de développement.

Avantage aux entreprises…

La commission prévoit que ces règles fiscales communes entraînent une hausse des investissements dans l’Union de près de 3,4% et participe à une hausse de près de 1,2% de la croissance européenne.

Elle évalue aussi entre autres que l’impact négatif de l’ACCIS sur les recettes de l’impôt sur les sociétés pourrait être pour la France de l’ordre de 0,13% du PIB.

Une étude réalisée au printemps dernier par un cabinet d’avocats experts en politique fiscale souligne elle l’impact budgétaire négatif –en termes de recettes- qu’entraineraient ces changements fiscaux sur certains pays de l’Union.

La France serait notamment impactée de part « un assouplissement » des règles fiscales européennes touchant le financement (dette ou capital) et les pertes des entreprises.

L’étude portant sur quatorze pays s’est penchée aussi sur la compétitivité des différents États en cas d’assiette commune. L’Irlande, le Royaume-Uni et la Suisse disposant de taux d’imposition bas garderaient leur domination en matière d’attractivité de l’impôt sur les sociétés.

La Belgique, la Grèce et le Luxembourg seraient les grands perdants. La France, au 9e rang, se situe plus près des perdants que des gagnants.

En revanche en ce qui concerne l’impact qu’aurait une telle réforme sur le traitement fiscal réservé aux entreprises dans chaque pays, la France gagne deux positions et se situe au 7e rang.

Les entreprises seraient ainsi particulièrement favorisées en Grèce. Suivraient la Pologne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Italie et la France…

C’est au Royaume-Uni, en Irlande et au Luxembourg –pays réputés pour constituer des destinations favorites aux entreprises pratiquant l’optimisation fiscale- que l’impact de cette réforme serait le plus « négatif » pour les entreprises.

Grâce à l’assiette commune globalement les entreprises apparaissent gagnantes dans la plupart des pays européens conclut l’étude.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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