La Lettre de lʼUCR-FO : Force Ouvrière, artisan et acteur majeur des régimes de retraite complémentaire Arrco et Agirc depuis leur origine, a toujours été attachée au paritarisme de gestion. Quel a été lʼélément majeur qui a conduit à un avis négatif de FO ?
Philippe Pihet : Dès le début de ces négociations qui ont duré plusieurs mois, nous avions clairement exprimé notre souhait de consentir les efforts nécessaires et utiles pour pérenniser les régimes, mais nous avions bien fait entendre que ce ne pourrait être à nʼimporte quel prix ! Il faut, au demeurant, comprendre que les pressions politiques ont été fortes (le Président de la République avait exprimé lʼexigence dʼun accord lors de son discours à lʼoccasion du 70e anniversaire de la Sécurité sociale) et que notre revendication dʼallouer aux régimes de nouvelles ressources, via une hausse des cotisations, sʼest heurtée à la fois à lʼhostilité du Medef et à celle du pouvoir exécutif. Avec la mise en place dʼune contribution dite de solidarité, cʼest-à-dire dʼun abattement de 10% pendant trois ans sur le montant des retraites, une ligne rouge a été franchie. Cʼest la disposition majeure que nous contestons. Ce nʼest ni plus ni moins qu’un mécanisme qui conduit à un recul de lʼâge de départ à retraite, cʼest-à-dire à une remise en cause implicite de lʼâge légal ouvrant droit à la retraite à taux plein. Cʼest un recul social que Force Ouvrière ne pouvait en aucune façon accepter. Nous craignons aussi que cet accord ne serve de tête de pont, après les prochaines élections présidentielles, pour un nouveau recul de lʼâge légal de départ en retraite ou pour une nouvelle augmentation de la durée de cotisation pour tous les salariés des secteurs privé et public.
La Lettre de lʼUCR-FO : Pouvez-vous expliquer le système dʼabattement que vous dénoncez ?
Philippe Pihet : Dans la pratique, pour inciter les salariés à travailler plus longtemps, un bonus malus est mis en place. La mesure consiste à imposer, à dater de 2019, à tous les salariés nés à partir de 1957 qui remplissent les conditions de départ à la retraite à lʼâge légal (62 ans) et disposent de tous leurs trimestres auprès du régime de base pour bénéficier du taux plein, un abattement de la retraite de base de 10 % pendant trois ans (dans la limite de 67 ans). Ceux assujettis au taux réduit de CSG se verront appliquer un abattement de 5 %. Pour échapper à cette pénalité financière, le salarié devra décider de prolonger son activité durant quatre trimestres supplémentaires. Les catégories de salariés les plus fragiles, cʼest-à-dire, les invalides selon leur catégorie, les chômeurs, les salariés en situation de pénibilité, ne seront pas épargnées ; ce sont tous ceux qui nʼauront pas le choix dʼopter pour « lʼencouragement » à travailler plus longtemps. Les femmes, dont la retraite sʼavère inférieure de 20 % à 30 % à celle des hommes, ainsi que les salariés à carrières longues, seront aussi automatiquement durement pénalisés. Lʼabattement ne sʼappliquera pas aux retraités exonérés de CSG et aux retraités placés dans des situations spécifiques (assurés handicapés et aidants familiaux notamment). Lʼapplication de ce mécanisme introduit la prise en compte de la situation fiscale des retraités avec le renvoi au montant du « revenu fiscal de référence » du foyer pour déterminer les modalités dʼapplication (totale ou partielle) de la CSG. Cʼest un changement dans les critères de calcul des retraites au détriment de lʼaspect strictement contributif qui le caractérisait. Je considère que cette mesure nʼa pour seule justification quʼune valeur de symbole politique pour inciter à repousser lʼâge de la retraite. Elle ne rapportera quʼun dixième des 6 milliards dʼéconomies attendus en 2020.
La Lettre de lʼUCR-FO : Parallèlement à ce malus, y aura-t-il un bonus pour les salariés qui décideront de travailler plus longtemps ?
Philippe Pihet : Un bonus est effectivement mis en place pour les salariés qui travailleront plus longtemps. Il sera versé pendant un an et sera de 10 % pour les salariés qui prolongent leur activité pendant au moins huit trimestres, de 20 % sʼils travaillent au moins douze trimestres de plus et de 30 % sʼils quittent leur entreprise au moins seize trimestres plus tard.
La Lettre de lʼUCR-FO : Certains considèrent que cet accord permet de créer un dispositif de « retraite à la carte ». Partagez-vous cette opinion ?
Philippe Pihet : On pourrait, au premier abord, en effet penser que cet accord institue un premier dispositif de « retraite à la carte ». Il convient toutefois de préciser que, dans le langage des assureurs, cela signifie la possibilité dʼune individualisation dont on comprend aisément qu’avec le mécanisme de bonus-malus, les plus aisés tireront toujours leur épingle du jeu. Mais il faut prendre en considération la réalité du marché de lʼemploi qui est, qu’aujourd’hui, 47% des retraités ne sont plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite. Cela signifie qu’ils nʼauront pas dʼautre choix possible que de subir lʼabattement de 10 % sur leur retraite complémentaire pendant trois ans. Pour eux, le système nʼa rien dʼun système à la carte, cʼest le régime de restriction imposé !
La Lettre de lʼUCR-FO : Les salariés subiront les conséquences de lʼaccord à partir de 2019. Comment les retraités vont-ils, quant à eux, être mis à contribution ?
Philippe Pihet : Je considère que cet accord est un tour de vis supplémentaire infligé au pouvoir dʼachat des retraités et de leurs ayants droit dès 2016. Dʼune part, il reporte la date dʼindexation annuelle du 1er avril au 1er novembre, ce qui entraînera un gel des retraites complémentaires durant sept mois supplémentaires. Dʼautre part, il prolonge en 2016, 2017 et 2018 la sous-indexation des retraites complémentaires y compris des pensions de ré-version versées aux veuves et veufs, de un point par rapport à lʼinflation subie depuis 2013. Cela signifie un blocage programmé des retraites et des pensions de réversion pendant 3 années supplémentaires. Au total 3,4 milliards dʼeuros vont être ponctionnés sur les retraités, qui sʼavèrent les principaux contributeurs des efforts financiers demandés. Sur les 6,1 milliards dʼeuros dʼéconomies attendues dʼici 2020, plus de la moitié, seront ainsi prélevés directement dans le porte-monnaie des retraités !
La Lettre de lʼUCR-FO : Quels sont les efforts demandés aux entreprises ?
Philippe Pihet : Pour les entreprises, cʼest une hausse des cotisations ainsi que des modifications dʼassiette à la marge qui sont mises à la charge des entreprises. On sait dʼores et déjà que les 700 millions (seulement !) de cotisations supplémentaires attendus seront intégralement compensés par un allégement des cotisations sur les cotisations accidents du travail et maladies professionnelles. Autrement dit, pour les entreprises, il sʼavère que lʼaccord du 30 octobre 2015 est une opération blanche ! Comment ne pas sʼindigner devant ce partage déséquilibré et inéquitable des efforts imposés entre les parties à la négociation ! Je considère que cet accord est un recul social.
La Lettre de lʼUCR-FO : Lʼaccord programme la fin des régimes Arrco et Agirc pour une fusion de ces deux régimes. Approuvez-vous cette fusion ?
Philippe Pihet : Sur ce point, il nous faut être pragmatiques et rappeler qu’au fil des années, les deux régimes se sont déjà très sensiblement rapprochés. En matière de réglementation des retraites, force est de constater que peu de différences demeurent. Sur le plan administratif, ils sont aussi regroupés depuis de nombreuses années dans un même Groupement dʼintérêt économique. Jʼai eu lʼoccasion, à maintes reprises, dʼexpliquer que nous ne sommes pas hostiles à la fusion des régimes et qu’en tout état de cause Force Ouvrière ne voulait qu’en aucune façon, le gouvernement puisse arguer des difficultés de lʼAgirc pour justifier de prendre le contrôle de ces régimes. Lʼidée dʼune fusion sʼest imposée au regard de la situation financière dégradée de lʼAgirc. Si rien nʼétait fait, on estime que les réserves actuelles de lʼAgirc (9 milliards dʼeuros) seraient épuisées dès 2018, ce qui signifie que le régime ne pourrait plus régler lʼintégralité des retraites dues mais se trouverait dans lʼobligation de ne distribuer quʼà hauteur des cotisations encaissées. Pour lʼArrco, lʼurgence nʼest pas de même nature puisque, à législation inchangée, ses 55 milliards de réserves ne seraient épuisés que dans plus de dix ans. En revanche, les conséquences de lʼaccord pour les cadres sont plus hasardeuses car elles ont pour enjeu, lʼavenir du statut de cadre. Jusqu’alors, lʼaffiliation à lʼAgirc a été la composante déterminante du statut de cadre. Les organisations signataires de lʼaccord se sont engagées à ouvrir une négociation sur lʼencadrement en vue de la signature dʼun accord national interprofessionnel avant le 1er janvier 2018. Cʼest la raison pour laquelle la décision de la CFECGC dʼhypothéquer le statut de cadre, est difficilement compréhensible. Une chose est certaine, la disparition de lʼAgirc entraînera un profond changement de lʼarchitecture générale de notre système de protection sociale.
La Lettre de lʼUCR-FO : Les difficultés financières auxquelles sont confrontés les régimes ne sont pas contestées. A législation inchangée, les réserves de lʼAgirc seraient arrivées à épuisement en 2018 et celles de lʼArrco en 2027. Peut-on considérer que lʼaccord qui a été trouvé permet dʼassurer la pérennité des régimes de retraites complémentaires ?
Philippe Pihet : Ma réponse est clairement non. Lʼaccord ne règle nullement tous les besoins de financement sur le moyen terme. On estime à 6,1 milliards dʼeuros les économies qui seront réalisées dʼici 2020 grâce aux mesures mises en place par lʼaccord Agirc-Arrco. Le besoin de financement des deux régimes complémentaires étant évalué à 8,4 milliards dʼeuros à cet horizon, il manquera donc 2,3 milliards dʼeuros pour assurer lʼéquilibre technique des régimes. Le compromis qui a été arrêté dans cet accord va provoquer une baisse du niveau des pensions pour tous et une remise en cause profonde du système de retraite complémentaire contributif par répartition.
La Lettre de lʼUCR-FO : Peut-on considérer que le prix à payer par Force Ouvrière pour sa non-signature de lʼaccord national interprofessionnel relatif aux retraites complémentaires, a été la perte de la présidence de lʼArrco ?
Philippe Pihet : Effectivement, lors du Conseil dʼadministration de lʼArrco qui sʼest tenu le 21 octobre 2015, Force Ouvrière a pris la décision de ne pas présenter de candidature à la présidence paritaire de lʼArrco. En cohérence avec le refus de Force Ouvrière dʼaccepter la trame de lʼaccord qui avait été proposé préalablement, lors de la cinquième séance de négociation le 16 octobre dernier, nous ne pouvions accepter dʼen être les promoteurs. Pour ma part, je réitère les propos que jʼai tenus lors de cette décision difficile : « Ma confédération ne sʼabaissera pas à échanger le sort de 30 millions de personnes contre un mandat de président ».