Focus sur la jurisprudence européenne

Europe par Secteur International Europe

Cour de justice de l’Union européenne. Harald Deischinger (CC BY 2.0)
Lettre électronique n°38

• Un revers pour les accords de libre-échange ? : avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 décembre 2016

Dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et Singapour (ALEUES), un recours a été déposé devant la CJUE contre les dispositions de l’accord qui prévoient sa conclusion sans la participation des États membres. Cet accord de libre-échange ne fait pas l’objet de la même attention médiatique que le Ceta ou TTIP.

Aujourd’hui, l’Union Européenne est toujours en négociation avec le Japon et devrait obtenir un mandat en juin 2017 pour conclure des accords de libre-échange avec la Nouvelle- Zélande et l’Australie. Les clarifications de la CJUE sont nécessaires pour éviter les déboires du Ceta, autant l’opacité que le déni démocratique qui s’en est suivi, et pour définir le rôle de chacun dans les négociations.

L’avis de l’avocat général, qui ne lie pas la Cour de Justice, va tout de même dans le bon sens et encadre le pouvoir de la Commission Européenne en le tempérant par la nécessaire participation des États membres. Ainsi, sa conclusion devrait faire l’objet d’une compétence exclusive de l’Union pour certains points et d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres sur d’autres points.

On peut se féliciter que parmi les points faisant l’objet d’une compétence partagée, on retrouve les dispositions qui fixent des normes de base en matière de travail et d’environnement et qui relèvent soit de la politique sociale soit de la politique de l’environnement. Mais on peut regretter que la compétence exclusive de l’Union soit réservée aux investissements directs étrangers, à la définition des objectifs ou bien encore aux aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle.

L’avocat général rappelle entre autres que les difficultés que soulèvent la procédure de ratification par tous les États membres ne peuvent avoir une incidence sur la compétence dans la conclusion de l’accord de libre-échange. Ainsi, l’Union Européenne et les États membres devraient agir de concert – on ne peut que saluer ces conclusions qui permettraient d’éviter toute dérégulation intempestive des normes sociales et encore environnementales au sein de l’Union Européenne qui serait désastreuse pour les droits des travailleurs.

On ne peut qu’espérer que la Cour de Justice de l’Union Européenne suive un tel avis…

• La Cour de Justice de l’Union Européenne revient-elle dans le giron social ? : CJUE, 21 décembre 2016 AGET Iraklis, C-201/15

La dernière décision de la CJUE sur la conformité de la législation grecque avec la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements économiques, s’inscrit dans une tendance récente assez positive pour la protection des droits sociaux au sein de l’Union Européenne (Martínez Andres, CJUE, 14 sept. 2016, C-184/15 ; Pérez López, CJUE, 14 sept. 2016, C-16/15 ; Diego Porras, CJUE, 14 sept. 2016, C-596/14).

Dans cet arrêt, la CJUE précise que le droit de l’Union n’empêche pas, en principe, un État membre de s’opposer, en certaines circonstances, à des licenciements collectifs dans l’intérêt de la protection des travailleurs et de l’emploi. Ainsi, la CJUE semble retourner vers un juste équilibre entre les droits sociaux et les droits économiques et évite de sanctionner des législations nationales au nom de la sempiternelle liberté d’établissement et d’entreprise des employeurs.

Plus précisément, un régime national peut donner le pouvoir à une autorité publique d’empêcher des licenciements collectifs tant que la directive n’est pas privée de son effet utile par une telle législation – ainsi, le simple fait de prévoir que les projets de licenciement collectif doivent faire l’objet d’une notification préalable à une autorité nationale dotée de pouvoirs de contrôle pouvant in fine s’opposer à un tel projet au nom de la protection des travailleurs et de l’emploi n’est pas contraire à la liberté d’établissement et d’entreprise consacrées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cependant, les critères légaux utilisés pour s’opposer à un tel projet ne doivent pas être formulés de façon générale ou bien être imprécis.

Finalement, la CJUE surprend positivement en déclarant que l’existence éventuelle d’un contexte caractérisé par une crise économique aigüe et un taux de chômage particulièrement élevé ne permet pas de déroger à la directive précédemment citée et au TFUE. Ces dernières années, on avait tendance à douter d’un tel principe à cause de décisions de la CJUE qui ne cessaient de favoriser les droits économiques au détriment des droits sociaux.

Le départ « programmé » des britanniques après le Brexit et le début de reprise économique au sein de l’Union Européenne semblent détendre les positions de la CJUE qui pourrait être prête à retourner dans le giron social. Il est encore tôt pour l’affirmer et il faudra prêter une attention particulière à ses prochaines décisions.

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