Fonction publique : le jour de carence dangereux pour la santé ?

Etude Insee par Valérie Forgeront

Quelles ont été les conséquences de la création d’un jour de carence dans la fonction publique entre 2012 et 2013 au plan de la durée des arrêts de travail pour maladie ? Alors que le gouvernement a décidé du rétablissement de cette mesure l’an prochain, une enquête de l’Insee publiée en novembre révèle que cette application d’un jour de carence a entrainé une diminution du nombre d’absences courtes et une augmentation du nombre des absences longues dans la fonction publique de l’État. La mesure a pu avoir aussi indirectement des incidences sur une dégradation de la santé de certains agents...

L’existence en 2012 et 2013 d’un jour de carence dans la fonction publique n’a pas significativement modifié la proportion d’agents de la fonction publique de l’État absents pour raison de santé constate l’enquête de l’Insee publiée en ce mois de novembre et portant sur la fonction publique de l’État.

La mesure de jour de carence (non versement d’un revenu pour le premier jour d’absence pour maladie) a eu en revanche des répercutions au plan de la répartition des absences par durée révèle l’enquête. Sur la période 2012-2013, cette mesure a entrainé une diminution du nombre d’absences courtes mais en revanche une augmentation sensible du nombre des absences longues.

Le jour de carence avait été introduit (via un amendement) par la loi de finances pour 2012. L’argument qui avait présidé à cette création consistait à invoquer une mesure d’équité entre le secteur public et le secteur privé. Dans privé, la sécurité sociale prévoit une carence de trois jours pendant laquelle le salarié ne perçoit pas théoriquement d’indemnités journalière. Cette période de carence peut être toutefois compensée partiellement ou complètement par les entreprises précise l’Insee. La notion d’équité entre le public et le privé devient donc toute relative. Et l’avantage ne va pas au secteur public… La mesure de carence dans a été supprimée dans la fonction publique le 1er janvier 2014. Le projet de loi de finances pour 2014 constatait l’absence de réelle efficacité de l’instauration d’un délai de carence dans la réduction de l’absentéisme dans la fonction publique.

Dans son enquête l’Insee qui a étudié l’effet de la mesure de carence sur les absences pour raisons de santé constate que cette mesure en vigueur pendant deux ans n’a pas modifié la part d’agents absents pour raison de santé. Par ailleurs le niveau de la prévalence [nombre de personnes concernées par une absence pour raison de santé sur une période donnée, NDLR] des absences pour raison de santé est plus élevé dans le privé que dans la fonction publique d’État sur la période 2012-2013.

Pas plus d’absences pour maladie dans le public que dans le privé

Au plan de la prévalence temporelle (l’étude de l’Insee porte sur une période allant de 2006 à 2014) les années 2008 et 2009 se sont illustrées dans le privé par une prévalence supérieure des absences pour raisons de santé que dans la fonction publique. Ces années, précise toutefois l’Insee, ont été marquées par la crise économique mais aussi par l’application de l’accord national interprofessionnel (ANI/juillet 2008) qui dans le secteur privé a élargi l’accès en cas d’un arrêt maladie à une indemnisation complémentaire par l’employeur. Ces deux années sont toutefois les seules entre 2006 et 2014 à afficher un cas de figure de prévalence entre le public et le privé indique l’Insee.

Dans la fonction publique de l’État, le dispositif de carence n’a donc pas conduit à une variation significative de la prévalence des absences pour raisons de santé analyse l’Insee.

Au sein même de la fonction publique, l’introduction du jour de carence a eu des conséquences lourdes pour les agents. L’Insee constate qu’il y a eu moins d’absence de deux jours mais davantage d’absences d’une durée d’une semaine à trois mois.

Impact sur les agents les plus modestes

Sur la période 2012-2013, le nombre de personnes concernées dans la fonction publique de l’État par une absence de deux jours pour raisons de santé a ainsi diminué de 50%. Le jour de carence a joué tel un effet dissuasif sur le fait de commencer un arrêt maladie analyse l’Insee précisant que cela a agi surtout en cas d’affection bénigne.

Cette diminution des absences de deux jours a particulièrement concerné les employés jeunes et les personnes travaillant peu de jours par semaine ainsi que les femmes. Concrètement cette diminution des arrêts courts concerne les personnels les plus modestes voire les plus précaires au plan de la rémunération.

La part des absences d’une journée ne change pas remarque encore l’Insee qui explique le phénomène. Pour éviter une retenue de salaire due au jour de carence, les agents peuvent préférer substituer à un arrêt maladie un autre type d’absence (jour de RTT, jour de congé annuel, autorisation d’absence…). Ils sont ainsi doublement perdants.

Un sentiment d’injustice

Sur la période 2012-2013 la prévalence des absences pour maladie d’une durée d’une semaine à trois mois (durée pendant laquelle un agent reçoit son salaire) a augmenté elle de 25%. En 2014 soit après la suppression du jour de carence, le nombre de personnes concernées dans la fonction publique de l’État par de telles durées d’absences a diminué très nettement indique l’Insee.

Comment peut-on expliquer cette forte augmentation des absences de durées plus longues pendant la période d’application du jour de carence ? L’Insee avance trois explications possibles. Sachant qu’un jour de carence engendre un coût fixe pour le salarié à chaque prise d’arrêt maladie, un agent n’a donc pas intérêt à hâter son retour au travail avant d’avoir la certitude d’être guéri. Deuxième explication, le sentiment d’être injustement mis à contribution a pu conduire les agents par réaction à prolonger un arrêt.

Ils ont hésité à s’arrêter et… Leur santé s’est dégradée

La troisième explication est la plus inquiétante au plan de la santé des agents publics. Ainsi analyse l’Insee, le coût fixe dû au jour de carence a pu amener certains fonctionnaires connaissant un problème de santé à cependant hésiter à s’arrêter de travailler pour se soigner. Mais leur état de santé se serait dégradé ce qui les a conduits in fine à des arrêts plus longs.

Qui pourrait s’étonner encore du combat que mènent les organisations syndicales de la fonction publique, dont FO, contre la réinstauration d’un jour de carence l’an prochain ?

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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