Force Ouvrière réaffirme son opposition à la retenue à la source

Économie par Pascal Pavageau, Secteur Économique

Article publié dans l’action Dossier fiscalité

InFOéco n°110 – 2 décembre 2015

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Sans aucune concertation préalable, la mise en place d’une retenue à la source de l’impôt sur le revenu à partir du 1er janvier 2018 a été décidée et annoncée par le Président de la République le 14 juin 2015.

La définition des modalités concrètes de cette réforme du recouvrement de l’impôt sur le revenu implique que les pouvoirs publics arbitrent entre différentes options, notamment le champ des revenus concernés, le tiers qui sera en charge de la collecte de la retenue à la source, les modalités de calcul de celle-ci et les mesures à prendre pour l’année de transition. Dans ce contexte, le gouvernement a demandé à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) de mener une analyse, intégrant des consultations, en vue d’expertiser la faisabilité et les problématiques des scénarios envisagés.

De fait, le Président de la République décide puis le gouvernement cherche à vérifier la faisabilité de la décision… Qui, en l’occurrence, est loin d’être évidente.

Dans le cadre de ses concertations, la DGFIP a consulté Force Ouvrière le 2 novembre dernier [1].

Selon la DGFIP, avec cette retenue à la source, il s’agirait d’assurer la « contemporanéité » des impôts aux revenus, c’est-à-dire de supprimer le décalage existant aujourd’hui entre la perception du revenu et sa taxation qui intervient un an plus tard. L’objectif avancé étant de garantir aux contribuables une plus grande facilité de gestion du paiement de l’impôt [2].

Notre délégation a rappelé l’opposition constante de Force Ouvrière au projet de retenue à la source, comme le stipulent les résolutions des derniers congrès confédéraux ou encore le Guide FO Pour l’Impôt : républicain, juste, progressif, redistributif  diffusé en mai 2014. Au préalable, elle a souligné son étonnement de voir ce sujet remis à l’ordre du jour alors que les Assises de la fiscalité réunies en début d’année 2014 avaient abouti à un constat unanime contre la retenue à la source – un constat auquel l’argumentaire de Force Ouvrière avait d’ailleurs largement contribué [3].

Force Ouvrière a fait valoir que le bénéfice réel pour le contribuable et l’administration fiscale était en réalité nul alors que les risques sont importants, à la fois en termes de pertes de recettes fiscales, d’augmentation du coût de la collecte de l’impôt, de constitutionnalité liés à la rupture d’égalité entre contribuables, et enfin du point de vue de ses conséquences potentiellement très importantes sur la relation salariale s’il était finalement décidé que l’employeur devienne le tiers collecteur.

Globalement, trois arguments principaux ont fondé notre opposition à la retenue à la source, arguments auxquels la DGFIP n’a pas pu offrir de réponses ou de garanties suffisantes :

1) En premier lieu, il convient de regarder et d’apprécier le mode de recouvrement actuel de l’impôt sur le revenu. Celui-ci est très satisfaisant si l’on en juge à la fois, par l’importance du taux de recouvrement (94% à l’échéance et 99,4% au 31 décembre de l’année N+1, c’est-à-dire après la phase de contentieux) et par le caractère contenu des frais de gestion [4].

Le caractère très élevé de ce taux de recouvrement s’explique par tous les efforts qui ont été entrepris ces dernières années pour moderniser et dématérialiser l’acte déclaratif du contribuable et le paiement de l’impôt. Rappelons ainsi que la déclaration pré-remplie est généralisée, que la mensualisation concerne plus de 71% des contribuables et que le prélèvement automatique à l’échéance concerne plus de 80% d’entre eux – au total, le taux de recours aux moyens de paiements dématérialisés atteignait 87% en 2013 [5].

2) Comme de nombreux rapports l’ont déjà souligné, il est impossible que la retenue à la source puisse être appliquée à tous les revenus de façon uniforme. Si elle peut l’être pour les salariés, les chômeurs ou les retraités car ils en remplissent les conditions [6], la retenue à la source ne peut pas ou que très imparfaitement être mis en place sur les revenus des indépendants compte tenu à la fois de la méconnaissance de leurs revenus mensuels réels, de la variabilité de ceux-ci et compte tenu enfin de l’absence de tiers collecteur (ou tiers payeur) en mesure de calculer et de précompter l’impôt autre que la banque – sans compter l’impact différencié de cette réforme sur le niveau de vie mensuel des salariés, contrairement aux indépendants qui vont pouvoir bénéficier financièrement de ce différé de versement. En d’autres termes, le risque qui se pose est celui de la rupture d’égalité entre contribuables qui pourrait être rejetée constitutionnellement.

Au-delà, pour Force Ouvrière, mettre en place la retenue à la source supposera d’accepter des modes de recouvrement différents selon les différents types de revenus et des modes de recouvrement se juxtaposant pour des contribuables qui percevraient des revenus de nature différente. Ainsi, on arriverait à un système plus complexe et incompréhensible pour le contribuable – il aurait en particulier beaucoup de mal à évaluer son taux d’imposition global annuel.

3) L’argument d’une relation du contribuable à l’administration fiscale qui serait, grâce à la retenue à la source, facilitée, sans démarche de sa part, est faux. Pour ce dernier en effet, subsisteront toujours des démarches déclaratives et des démarches de régularisation annuelles compte tenu du caractère très personnalisé de l’impôt sur le revenu qui prend en compte un grand nombre de données liées à la configuration familiale, à la perception d’autres sources de revenus ou encore au bénéfice d’un grand nombre de dépenses fiscales.

Ce sont des données que le contribuable devra toujours porter à la connaissance du tiers collecteur ou plus vraisemblablement de l’administration et qui par ailleurs, pour une partie d’entre elles, ne pas sont connues en temps réel mais seulement à la fin de l’année. Une réalité que la DGFIP n’a pas contestée. Dès lors, l’argument d’une synchronisation en temps réel de l’impôt aux variations de revenus est largement théorique, sauf à modifier en profondeur l’IR, c’est-à-dire en le simplifiant (en supprimant par exemple son caractère familial), ou à confier aux tiers-collecteurs le soin de calculer eux-mêmes les taux d’imposition sur la base des informations fournies par le contribuable ! Ce sont naturellement deux options inenvisageables pour Force Ouvrière.

S’agissant du choix du tiers collecteur, Force Ouvrière a donc rappelé son opposition à voir l’employeur devenir le tiers collecteur compte tenu des conséquences que cela aurait sur la relation entre le salarié et l’employeur, compte tenu des risques de dégradation du recouvrement de l’impôt en cas de défaillance de l’entreprise ou simplement d’erreurs de sa part. Force Ouvriere a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas envisageable que la réforme permette à des tiers de disposer d’une avance de trésorerie gratuite avec les impôts de ses salariés !

Force Ouvriere a fait valoir que le choix de la banque comme tiers collecteur porterait, quant à lui, atteinte au consentement à l’impôt.

Au final, le modèle de prélèvement à la source tel qu’il semble être envisagé actuellement par la DGFIP serait la transmission par l’administration fiscale aux tiers payeurs d’un taux d’imposition individualisé assis sur les seuls revenus d’activité. La personnalisation de l’impôt via notamment la prise en compte de la configuration familiale du contribuable et de ses dépenses fiscales interviendrait alors dans un second temps, à la fin de l’année. Pour Force Ouvrière, c’est une solution qui supposera donc toujours des régularisations en n+1 et des démarches déclaratives pour les contribuables, qui impliquera des coûts de gestion supplémentaires et importants à la fois pour l’administration fiscale et les tiers collecteurs [7], qui fera peser des risques importants sur les recettes fiscales, qui nécessitera de définir la responsabilité juridique des tiers collecteurs en cas d’erreurs de calcul de transmission, d’insolvabilité ou de défaillance, ce qui placera les contribuables dans une situation d’inégalité, et qui présentera sur le plan de la synchronisation très peu d’intérêt par rapport à ce qui existe aujourd’hui [8].

Fort de ce constat largement en défaveur de la retenue à la source et très largement admis, Force Ouvrière a toujours craint que les motivations réelles de ce projet soit la préparation à une réforme importante de l’IR dans le sens d’une individualisation de celui-ci, c’est-à-dire d’une suppression du quotient familial et d’une fusion de l’IR avec la CSG !

En conclusion, Force Ouvrière a dénoncé le sens et l’objectif de cette réforme qui, par ailleurs, tend à remettre en cause le travail des agents de la DGFIP et s’apparente à un véritable transfert de la mission recouvrement de l’administration fiscale à des tiers. Force Ouvrière a rappelé que cette réforme pourrait être le vecteur de conflits sociaux si elle occasionnait des suppressions d’emplois au sein de la DGFIP alors même que celle-ci demeurera un intermédiaire indispensable pour le suivi, le recoupement d’informations, le recouvrement, mais également le contrôle et le contentieux, deux missions appelées à s’intensifier si la réforme était mise en œuvre.

A l’issue de cette étude, dans le prolongement de la publication par la DGFIP d’un libre blanc sur la retenue à la source, Force Ouvrière a demandé au gouvernement une concertation préalable à toute prise de décision politique en la matière.

Achevé de rédiger le 2 décembre 2015

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Secteur Économique

Notes

[1La délégation FO était composée de Pascal Pavageau, Secrétaire confédéral, Philippe Grasset, Secrétaire général de FO Finances, Hélène Fauvel et Frédéric Liautaud pour le syndicat FO DGFIP et de Sophie Tasqué, Cécile Potters et Yves Giquel, assistants confédéraux au secteur Economie.

[2Il s’agit de faire en sorte que les revenus de l’année N soient taxés mensuellement au cours de l’année N et non plus en N+1.

[3Voir l’inFoéco n° 77 du 3 février 2014 : composé de représentants de groupe parlementaires, des cinq organisations syndicales et d’un collège d’experts, le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, installé par le Premier ministre, s’est livré de février 2014 à avril 2014 à une remise à plat de la fiscalité portant sur les ménages. La Confédération Force Ouvrière était représentée par Pascal Pavageau, Secrétaire confédéral, Sophie Tasqué et Yves Giquel, assistants confédéraux du secteur économique.

[4Chiffres issus du rapport du Conseil de prélèvements obligatoires, 2012, Prélèvement à la source et impôts sur le revenu.

[5Source DGFIP.

[6Il ne peut y avoir de retenue à la source que dans deux circonstances particulières : il faut que la base taxable soit connue au moment même où se forme le revenu et il faut en plus que ce revenu soit versé par un tiers payeur en mesure de calculer et/ou de précompter l’impôt. Ce sont des conditions qui excluent ou limitent fortement l’applicabilité de la retenue à la source aux revenus des indépendants et à un grand nombre de revenus financiers.

[7Pour les tiers payeurs en effet, les coûts de gestion pourront être importants : coûts liés à la collecte et à l’intégration des taux d’imposition, coûts liés au rapprochement nécessaire entre les taux d’imposition et la situation administrative des salariés compte tenu de la rotation de ceux-ci (saisonniers, intérimaires …), de la diversité des situations de rémunération de certains salariés dans l’entreprise (ex : cas d’un salarié en congé maladie longue durée …).

[8Comme Force Ouvrière l’a souvent rappelé, il existe déjà de nombreuses possibilités offertes au contribuable pour lui permettre de mieux ajuster le montant de son impôt aux variations de ses revenus.