Deux mauvaises nouvelles pour des centaines de salariés à quelques heures d’intervalle. L’une a été annoncée aux syndicats dont FO le jeudi 21 février par le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises : la direction du site de Ford Blanquefort en Gironde rejetterait l’offre de reprise de l’usine (850 salariés) par le français Punch, lui aussi spécialiste de boîtes de vitesses.
Autre annonce -pour le moins inattendue- faite elle aussi le 21 février à des centaines de kilomètres de là : alors que son projet avait été validé par la justice en décembre dernier, le groupe franco-belge Altifort, repreneur déclaré de l’aciérie Ascoval (281 salariés) de Saint-Saulve (Nord), a soudainement annoncé qu’il ne disposait pas pour l’instant des moyens financiers nécessaires à la reprise du site. Et le patron d’Altifort d’assurer qu’il était en recherche de financements jusqu’au 27 février, date de l’audience devant le tribunal de grande instance de Strasbourg du nouvel examen du plan de reprise.
Autant dire qu’à Blanquefort comme à Saint-Saulve, ces annonces constituent de véritables douches froides pour les salariés et leurs syndicats, dont FO, qui depuis de longs mois luttent pour le maintien de ces sites industriels et de leurs emplois.
La grande responsabilité de Ford
« Immense tristesse », « colère »… Jean-Marc Chavant, le secrétaire adjoint du syndicat FO du site Ford de Blanquefort est sous le choc, comme ses collègues de l’usine. « Après dix-huit mois de galère », d’efforts des salariés, de travail des syndicats, de FO notamment cela « avec le soutien de la fédération FO Métaux et de la confédération » précise le militant, cette annonce ne passe pas. « Ford refuse pour la 3e fois le plan de reprise présenté par Punch » indique Jean-Marc Chavant notant que la direction de Ford n’a pas confirmé pour l’instant elle-même ce refus.
Alors que le 28 janvier, la Direction interministérielle régionale (Direccte comprenant les secteurs du Travail et de l’Emploi) avait refusé le PSE présenté par la direction de Ford Aquitaine Industries -ce qui laissait le temps à Punch d’améliorer son plan de reprise- ce délai n’aura donc servi à rien. « Le PSE devrait suivre son cours » indique Jean-Marc Chavant craignant que cette fois la Direccte décide le 4 mars de valider le PSE.
A Blanquefort, les salariés ne mâchent pas leurs mots et pointent les responsables. Ford qui avait annoncé en février 2018 sa décision de fermer d’ici un an ce site historique créé en 1972 est bien sûr en tête de liste. « C’est le premier responsable » indique le syndicat FO. Le constructeur automobile souffle depuis un an le froid et le chaud concernant son acceptation de la vente du site et a montré à diverses reprises au cours de cette période sa volonté de ne pas s’investir financièrement dans le cadre de l’organisation d’une transition avec un repreneur.
« L’État refuse de prendre des risques »
« Au total, Ford aura perçu plus de 150 millions d’euros en aides publiques au cours de ses quarante-trois années de présence sur le site » s’indigne Jean-Marc Chavant. Pris au milieu de ce fiasco industriel, les salariés rappellent les efforts qu’ils avaient accepté de fournir dans le cadre de cette hypothétique reprise.
Ainsi, ils avaient accepté, suite à un vote massif le 11 décembre en assemblée générale, l’accord de principe demandé par Punch. Le repreneur n’aurait conservé que 400 emplois et prévoyait, entre autres, de geler les salaires pendant trois ans ou encore de rogner les jours de RTT. Autant dire que les salariés et leurs syndicats -dont FO qui avait beaucoup travaillé lors des négociations de cet accord- ne voyaient pas ces perspectives avec réjouissance mais ils avaient concédé cela afin de préserver l’existence du site. « Personne aujourd’hui ne peut dire que les syndicats n’ont pas fait d’efforts pour que cette reprise se fasse ! » insiste Jean-Marc Chavant, inquiet comme ses collègues de son avenir professionnel. « J’ai 49 ans et il faut que je rebondisse ».
Pour les salariés du site, l’État n’est pas non plus exempt de reproches. Pour le syndicat FO, « l’État qui devrait être le garant du maintien des sites industriels » n’agit pas dans ce sens. « Que deviennent les annonces fracassantes faites en décembre par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, concernant un possible rachat provisoire du site par l’État le temps de trouver un repreneur à Ford ? Rien ! » s’indigne Jean-Marc Chavant. Le syndicat FO de Ford-Blanquefort « dénonce » ainsi l’attitude de l’État qui « refuse de prendre des risques, de créer un précédent » de nationalisation même a priori provisoire pour sauver l’usine. « Au final, s’irrite le militant FO, on est dans l’ultra-libéralisme. Ford fait totalement ce qu’il veut ».
Chez Ascoval c’est la sidération
A des centaines de kilomètres de la Gironde, dans le département du Nord, le choc est tout aussi sévère pour les salariés de l’aciérie Ascoval (créée par le groupe sidérurgiste Vallourec dans les années 1970) de Saint-Saulve. Des salariés dont le degré d’inquiétude sur l’avenir du site et de ses emplois avait légitimement diminué depuis décembre dernier, date de l’acceptation par la justice du plan de reprise de l’aciérie par le groupe franco-belge Altifort.
Le syndicat FO se réjouissait alors de cette issue heureuse, cela après un placement en redressement judiciaire d’Ascoval en janvier 2018 et de longs mois de luttes pour préserver le site. Dans ce plan de reprise (fixée en ce mois de février) l’ensemble des emplois (281) étaient conservés et le carnet de commandes était rempli.
Une nouvelle attente douloureuse débute
Ce plan avait été échafaudé dans la douleur. En effet, Vallourec (dont l’État est actionnaire à 16% via PBI France) qui est le principal client d’Ascoval et son actionnaire à 40% a toujours refusé de s’investir financièrement et en termes de volumes de commandes pendant une période transition dans le plan de reprise présenté par Altifort. Il a donc fallu concevoir un nouveau plan apportant le soutien financier de l’État et de plusieurs collectivités territoriales (pour un total de 47 millions d’euros) mais sans celui de Vallourec.
Depuis décembre tout se présentait bien… Jusqu’à l’annonce ce 21 février par le repreneur en titre Altifort de son problème de financement insuffisant pour la reprise. Inutile de dire que la stupeur doublée de colère est d’actualité à Saint-Saulve tandis qu’Altifort explique que « les financements externes n’ont pas pu être mis en place à ce jour ».
Bilan ? Si Altifort assure se démener pour trouver des solutions d’ici le 27 février, les salariés qui pour beaucoup expriment un ressenti de trahison sont dans la crainte de revivre les angoisses et incertitudes des mois passés. Les pouvoirs publics semblent, eux, songer au remplacement du repreneur ou espèrent trouver des partenaires supplémentaires pour cette reprise. Les 281 salariés sont une nouvelle fois plongés dans l’attente.
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