Forfaits-jours et temps de repos, une équation non résolue depuis quinze ans

Actualités par Mathieu Lapprand

La Cour de cassation a annulé plusieurs conventions de forfaits-jours en raison de l’insuffisance de garanties concernant le temps de repos des travailleurs. © HAMILTON / REA

En 2014, 1,2 million de salariés travaillaient sous le régime du forfait-jours (un million de cadres et 200 000 non-cadres). Ce régime concernait 47 % des cadres en 2014, soit près de 50 % de plus qu’en 2003.

Le 4 novembre, Myriam El Khomri, ministre du Travail, a remis au Premier ministre ses propositions d’orientation pour un projet de loi visant, selon les termes du président de la République, une « clarification du Code du travail ». Le texte sera présenté début 2016. Ces propositions sont issues d’une première concertation avec les organisations syndicales et patronales, mais également des rapports commandés par l’exécutif ces derniers mois, notamment les rapports Com-brexelle et Mettling.

Or ces deux rapports donnent une place particulière aux conventions de forfait-jours. Le rapport Combrexelle, remis en septembre au Premier ministre, veut « sécuriser les forfaits-jours », quand le rapport Mettling préconise une « adaptation du forfait-jours aux travailleurs du numérique ». Sécurisé ou adapté, le dispositif évoqué dans ces rapports a été créé il y a quinze ans et subit depuis de nombreuses évolutions.

Initialement, ces conventions offraient la possibilité, pour certains cadres, de décompter le temps de travail en jours et demi-journées et non plus en heures de travail. Étaient concernés les cadres, dont la durée du travail ne pouvait être définie par avance en raison de la nature de leurs fonctions, des responsabilités exercées et du degré d’autonomie dont ils bénéficiaient. Un premier élargissement des critères en 2003, l’ouverture de l’accès aux non-cadres en 2005 puis une nouvelle évolution législative en 2008 ont permis l’extension du dispositif.

Face au temps de repos

Pourtant la compatibilité de celui-ci avec les textes européens, notamment la Charte sociale européenne, pose problème. Comme le rappelle le secteur juridique de la confédération, « le Comité européen des droits sociaux a déclaré la non-conformité de la réglementation française sur le forfait-jours au regard de la charte à l’occasion de multiples réclamations collectives ». Ainsi, dans un rapport publié en 2010, le comité rappelle que la réglementation française ne respecte pas l’article 2.1 de la charte au motif que le temps de travail maximum, de 78 heures par semaine, est excessif. Il vise aussi l’article 4.2 au motif que les salariés au forfait-jours ne bénéficient d’aucune majoration de rémunération.

Quelles que soient la place et les évolutions des forfaits-jours envisagées par le gouvernement, plus d’une dizaine de conventions et d’accords ont été invalidés ces dernières années par la Cour de cassation, notamment en raison de l’insuffisance des garanties du temps de repos des travailleurs. Et, travailleurs du numérique ou non, les salariés continueront à avoir besoin de repos. 


Décryptage : Mesurer la charge de travail, innovation ou déresponsabilisation ?
Le ra
pport Mettling propose également de « compléter la mesure du temps de travail par la mesure de la charge de travail ». Si le temps de travail est une notion objective, la charge de travail est, elle, subjective. Or l’employeur est soumis à une obligation de résultat en matière de santé des travailleurs. La référence à une notion de mesure de la charge de travail porte le danger de lui permettre de se déresponsabiliser en transformant cette obligation de résultat en matière de santé en une obligation de moyens : la charge de travail n’était pas excessive mais le salarié n’était pas capable de l’assumer.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante

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