France Télécom : procès d’une machine à broyer des vies

Risques psycho sociaux par Evelyne Salamero, FO COM

Didier Lombard, P-DG de France Télécom à l’époque des faits. © Nicolas TAVERNIER/REA

Le procès au pénal pour harcèlement moral de France Télécom et de sept de ses anciens dirigeants, dont l’ex-P-DG Didier Lombard, s’est ouvert le 6 mai et durera jusqu’au 12 juillet. La fédération FO Com figure parmi les parties civiles.

France Télécom (devenue Orange en 2013) est jugée pour « harcèlement moral », qualification juridique que le code pénal définit comme le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le tribunal veut comprendre le fonctionnement d’une entreprise qui à l’époque, en France, comptait près de 100 000 salariés, a notamment déclaré la présidente du tribunal à l’ouverture du procès, devant une salle comble. Le tribunal veut comprendre pourquoi certains salariés se sont suicidés en laissant des mots contre leurs employeurs, a-t-elle ajouté, prévenant : L’émotion va être présente, sourde et violente. Par prévention, une psychologue sera présente tout au long du procès et un bureau d’aide aux victimes a été mis en place.

Didier Lombard en 2006 : je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte

Le procès est aussi intenté contre sept des dirigeants de l’entreprise au moment des faits. Parmi eux figure l’ex-P-DG Didier Lombard. En 2006, après avoir lancé les plans Next et Act dont l’objectif affiché était 22 000 départs en trois ans (sur 120 000 agents) et 10 000 changements de postes, l’ex-P-DG avait déclaré devant les cadres de l’entreprise : je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte ! A l’époque, 80% des effectifs étaient encore des fonctionnaires (contre 38% aujourd’hui) impossibles à licencier...

Treize ans plus tard, l’enjeu du procès est donc de déterminer dans quelle mesure les méthodes managériales utilisées à France Télécom entre 2007 et 2010 ont pu provoquer une vague de dépressions graves parmi le personnel, allant pour certains jusqu’au suicide (35 agents se sont donné la mort entre 2008 et 2009).

Pour ce procès sans précédent, les juges d’instruction ont retenu les cas de 39 salariés : dix-neuf qui se sont suicidés, douze qui ont tenté de la faire et huit qui ont subi un épisode dépression ou un arrêt de travail. Mais au total 167 personnes se sont portées partie civiles. Ce procès n’est pas seulement le procès de suicides mais le procès d’un harcèlement moral à l’échelle d’une entreprise, a justifié l’avocate Sylvie Topaloff, alors que ses confrères de la défense demandaient l’irrecevabilité de la majorité de ces constitutions de partie civile.

Une leçon pour l’avenir, à Orange, comme dans toutes les entreprises

Un point de vue partagé par la fédération FO Com qui s’est aussi portée partie civile et a demandé à être auditionnée. Il est, explique-t-elle, indispensable que soient établies les responsabilités des dirigeants de l’époque comme de l’entreprise en tant que personne morale pour que les victimes et leurs proches puissent retrouver une certaine sérénité.

Au-delà de cet enjeu, souligne-t-elle, une condamnation permettrait de donner un signal positif à l’ensemble du monde du travail afin que les employeurs ne puissent plus agir sans se soucier des conséquences sur leur personnel. Justice doit être rendue aux victimes, insistent les responsables FO, pour que les pratiques de l’époque soient condamnées et pour que cela serve à prévenir les risques à Orange, comme dans toutes les entreprises.

Lors de son audition au premier jour du procès, l’ex-PD-G a nié toute responsabilité dans la souffrance des personnels. Que les transformations imposées n’aient pas été agréables, c’est comme ça, je n’y peux rien. Si je n’avais pas été là, ça aurait été pareil, peut-être- même pire. Le problème était de ramener la maison dans un état normal, a-t-il notamment déclaré.

La baisse des effectifs se poursuit et conduit à des souffrances qui rappellent les années sombres

Mais pour FO, la justification économique des méthodes de management mises en pratique en 2006 ne tient pas la route. Pour preuve, explique Philippe Charry, secrétaire général de FO Com, Quand Didier Lombard est parti en mars 2010, Stéphane Richard, l’actuel P-DG d’Orange, a lancé un plan de recrutement de 10 000 embauches en CDI. Au final on a obtenu le même résultat que si on s’était contenté de laisser faire les départs naturels.

La Fédération FO met en avant l’effondrement des effectifs comme facteur aggravant et peut-être déterminant de la crise sociale de 2007-2010 chez France Télécom et relève qu’aujourd’hui leur diminution se poursuit chez Orange.

Si l’actuel PD-G, Stéphane Richard, a indiqué dans un communiqué que cette époque [celle de la crise sociale NDLR] appartient au passé, la Fédération FO note que la baisse rapide des effectifs, en vue de faire baisser les coûts, elle, appartient bien au présent.

FO tire donc la sonnette d’alarme, soulignant : On ne peut que constater que la baisse continue des effectifs de l’entreprise ces dernières années, 4 à 5 000 départs non remplacés chaque année, conduit aujourd’hui à des difficultés et des souffrances qui nous rappellent les années sombres. Le dernier baromètre social et les alertes lancées régulièrement par FO à la direction du groupe confirment ce diagnostic.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

FO COM Postes et Télécommunications

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