Grèce, de Charybde en Scylla, du Grexit à la tutelle

Europe par Mathieu Lapprand

Jean-Claude Mailly à la manifestation de soutien au peuple grec, le 2 juillet à Paris. © Y. Veyrier

A la veille de la commémoration d’une révolution qui permit aux Français de s’émanciper de leur roi, les dirigeants de la zone Euro ont choisi de mettre sous tutelle une démocratie. C’est à une improbable synthèse qu’ont abouti les chefs des gouvernements des pays de l’Eurozone lundi 13 juillet.

Les grecs sont en passe de payer au prix fort leur volonté de sortir démocratiquement d’une austérité qui ruine leur pays depuis cinq ans. Face à une dette que chacun sait insoutenable, l’un des objectifs du référendum du 5 juillet 2015 était de permettre aux dirigeants grecs de disposer de marges de manœuvres pour en négocier la restructuration. Dix jours après ce référendum et l’opposition massive (61,3 %) à de nouvelles mesures d’austérité, force est de constater que le troisième plan d’aide qui est proposé à la Grèce… ressemble furieusement à ses deux prédécesseurs. Prédécesseurs qui ont obtenu les résultats que l’on connait en seulement cinq années : baisse des salaires, des retraites, du PIB, explosion du chômage, du taux de pauvreté… et de la dette qui est passée de 300 milliards d’euros à 322 milliards d’euros aujourd’hui soit 177% du PIB du pays.

Un accord, des humiliations

Et le nouveau plan imposé aux Grecs poursuit la même orientation, en y ajoutant au passage quelques mesures humiliantes. Tout d’abord, d’ici le 15 juillet au soir, le gouvernement doit faire voter des « actions prioritaires » : augmentation de la TVA, réforme du système de retraites, garantie de l’indépendance de l’institut de statistique grec, réduction des dépenses publiques. Puis avant le 22 juillet, faire adopter une réforme du code de la procédure civile et transposer la directive relative au redressement des banques. « Ce n’est qu’après » ces votes précise l’accord « qu’une décision pourra être prise donnant mandat aux institutions de négocier un protocole d’accord ».

Mais les réformes attendues ne s’arrêtent pas là : l’accord prévoit de poursuivre la réforme des retraites, de mettre en œuvre « toutes les recommandations du volume I du manuel de l’OCDE pour l’évaluation de la concurrence : ouverture des magasins le dimanche, périodes de soldes, propriété des pharmacies, lait et boulangerie », privatiser l’opérateur du réseau de distribution de l’électricité et enfin une « modernisation des négociations collectives, de l’action syndicale ». Toute ressemblance avec les lois Macron et Rebsamen ou avec la mission Combrexelle en France ne serait pas totalement fortuite…

Cet accord impose également un plan de privatisation de 50 milliards d’euros dont les trois quarts de la monétisation aboutiront au remboursement des créanciers. Pour couronner le tout, il prévoit une « dépolitisation de l’administration publique grecque » ainsi qu’une consultation préalable des institutions avant toute communication ou projet législatif. Si le premier geste du nouveau gouvernement grec avait été le renvoi des représentants de la Troïka, force est de constater que moins de 6 mois plus tard, leur retour est fracassant. Ultime humiliation, les mesures votées depuis l’élection de l’actuel gouvernement devront faire l’objet d’un « réexamen ». En somme les grecs n’ont pas voté, ni en janvier ni en juillet 2015.

Quand le FMI réclame un allègement de la dette

En outre, alors que les premières mesures exigées des créanciers de la Grèce devraient être votées ce jour par la Vouli, le Parlement grec, le nombre des opposants à cet accord en forme de reddition ne cesse de croitre. Après la présidente de ce Parlement, Zoé Konstantopoulou, c’est du FMI que vient l’une des plus violente remise en cause de l’accord : l’institution internationale, par ailleurs habituée à imposer ses vues à des pays fragilisés, conditionne sa participation à ce troisième plan d’aide à l’allègement de la dette grecque. Dans un rapport publié le 14 juillet, le FMI explique que la dette est « totalement non viable », l’institution prévoit qu’elle atteindra environ 200 % de son PIB dans « les deux prochaines années ». Selon l’institution, cette dette ne peut être viable qu’« avec des mesures d’allégement », et pour préciser leur pensée, un membre du FMI a, anonymement, évoqué un « délai de grâce de trente ans » à l’agence Reuters.

Malgré les incertitudes sur le vote du parlement grec comme sur l’engagement final du FMI dans ce plan d’aide, l’élaboration de cet accord aura eu le mérite de lever un coin du mystère qui occulte habituellement ces discussions. Ces conciliabules ont montré un combat inégal entre des autorités nationales démocratiquement élues et un pouvoir économique aussi informel qu’autoritaire. La confédération rappelle dans un communiqué que « les modalités actuelles de la « gouvernance économique » de la zone euro transforment de fait un outil en principe politique. » Pour FO, « il est plus que temps de revoir les traités européens et les modalités de la construction européenne auxquels la France a participé. ».

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante