Guerre douanière américaine, la peur d’un décrochage industriel s’accélère en Europe

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

Droits de douane portés à 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium, droits de douane « réciproques » sur toute marchandise entrant aux États-Unis… Le nouveau protectionnisme américain porté par Donald Trump, dont les contours se précisent depuis le 10 février, secoue l’Europe. Il inquiète ses grands secteurs exportateurs. Il risque d’aggraver les difficultés des industries de la chimie, de la sidérurgie et de l’automobile, déjà en plein décrochage sous le coup de la concurrence asiatique et du renchérissement, depuis 2022, des coûts de l’énergie sur le continent. À moins d’un sursaut de l’exécutif européen ?
FO était à la manifestation européenne de Bruxelles le 5 février dernier pour exiger des investissements massifs et un plan de réindustrialisation clair, rendant compétitif le coût de l’énergie pour les industries et maintenant des emplois de qualité dans les transitions, verte et numérique. Réponse le 26 février avec la présentation du « pacte pour une industrie propre », qui doit s’accompagner de trois plans sectoriels (dans l’automobile, l’acier, la chimie) et de la création prochaine d’un fonds européen à la réindustrialisation. Les salariés européens, particulièrement français, attendent du concret !

P as de répit pour les salariés de la chimie, de la sidérurgie, de l’automobile. Alors que le 5 février, plus de 3 000 d’entre eux, venus de toute l’Europe, manifestaient à Bruxelles pour dire non à la désindustrialisation en cours et dénoncer l’absence de vision industrielle au sein de l’exécutif européen, un nouveau front menaçant l’emploi s’est ouvert. En moins d’une semaine, Donald Trump a rebattu les cartes du commerce mondial. En plusieurs salves et décrets depuis le 10 février, il a imposé des droits de douane à 25% sur les importations d’acier et d’aluminium (ainsi que sur les produits transformés en découlant) à compter du 12 avril. Complète nouveauté, le président américain a aussi imposé des droits de douane réciproques sur toute marchandise importée aux États-Unis, lesquels sont même contraires aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) régissant les échanges – telle l’interdiction pour un même produit donné de pratiquer des tarifs en fonction des partenaires commerciaux. Ceux-ci entreraient en vigueur d’ici à six mois. Ce n’est pas tout : Donald Trump dit encore envisager de nouveaux droits de douane sur les voitures importées.

Inquiétude des grands secteurs exportateurs

Si beaucoup, dans cette offensive américaine, reste à préciser et dépendra des éventuelles contre-mesures tarifaires envisagées par l’Union européenne en représailles, l’inquiétude grandit dans les grands secteurs exportateurs de l’Hexagone. Luxe, chimie, pharmacie, équipementiers automobiles… Le renforcement du protectionnisme américain tombe ainsi au pire moment pour l’industrie du cognac, qui fait 96,8 % de ses ventes à l’export avec comme premier client les États-Unis. Une industrie qui par ailleurs a vu dévisser ses ventes en 2024 sur son second marché, la Chine, laquelle a annoncé l’augmentation des droits de douane. Si le secteur se retrouve pris en étau entre la Chine et les États-Unis, ce sera une catastrophe industrielle pour l’emploi. Tout l’écosystème du cognac – jusqu’à 72 000 emplois indirects – serait menacé, alerte Laurent Rescanières, secrétaire général de la FGTA-FO, qui est à la manœuvre depuis l’automne, avec la confédération, pour contrer un projet de délocalisation partielle de l’embouteillage apparu chez Hennessy (groupe LVMH), en réponse aux rétorsions chinoises.

Depuis 2019, l’Europe manufacturière a perdu plus de 853 000 emplois

L’offensive américaine tombe également au plus mal pour l’Europe industrielle, qui subit à la fois la concurrence des surcapacités chinoises et le renchérissement des coûts de l’énergie depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022. Celui-ci a d’abord conduit les entreprises des industries à forte intensité énergétique à réduire leurs productions et à retarder leurs investissements. Nouvelle phase depuis l’automne : dans la sidérurgie, la chimie et l’industrie automobile, les plans de restructuration, avec la destruction annoncée de milliers d’emplois, se multiplient chez les leaders européens. Volkswagen, Michelin, Thyssenkrupp, Audi, Stellantis, Northvolt, Siemens...

Au point que le 12 décembre, la Confédération européenne des syndicats (CES), dont FO est membre fondateur, a exigé un moratoire sur les licenciements. Le décompte des pertes d’emplois dit l’urgence. Entre 2019 et 2023, le secteur manufacturier de l’Union européenne a perdu 853 500 emplois (et la France, 53 600), selon Eurostat. Autre indicateur inquiétant : pour la première fois en 2024, les investissements des industriels européens fléchés vers la région Amériques, en particulier les États-Unis, ont dépassé ceux réservés à l’Europe  [*].

C’est aujourd’hui qu’il faut agir

À moins d’un sursaut de l’exécutif européen ? Exiger des investissements massifs, un plan de réindustrialisation qui rende l’énergie accessible à un prix compétitif pour les industries et maintienne des emplois de qualité en respectant les enjeux de transition, c’était l’objectif de la manifestation européenne du 5 février, organisée à l’appel d’IndustriALL European Trade Union. Emmenée par Frédéric Souillot, une délégation FO y était présente, composée de militants de FO Métaux et de FO-Fédéchimie (laquelle prépare un livre blanc), avec le soutien de l’Union départementale FO du Nord.

Devant les 3 000 manifestants place Jean-Rey, le secrétaire général de FO est monté à la tribune. C’est aujourd’hui, a-t-il martelé, qu’il faut agir, anticiper, discuter et négocier pour préserver nos fleurons industriels, pour en faire émerger de nouveaux avec des emplois de qualité face aux transitions verte et numérique. Dénonçant les politiques d’austérité qui compromettent les efforts de réindustrialisation, il a aussi appelé à des investissements nationaux conséquents, ainsi qu’à une meilleure affectation des aides publiques et à leur conditionnement à la création et au maintien d’emplois sur le territoire national. Une urgente nécessité dans l’Hexagone, qui vient de se doter d’un budget d’austérité, avec une surtaxation fiscale toute limitée des grandes entreprises – ce qui n’empêche pas certains patrons de faire du chantage à la délocalisation.

Dans ce contexte, les salariés des industries françaises, qui sont en plein marasme (le niveau de production était, en décembre, inférieur de 8 % à celui de janvier 2020), attendent plus que jamais du concret de Bruxelles. La Commission européenne, qui a promis de faire de la compétitivité l’axe numéro un de son action pour les cinq prochaines années, doit présenter le 26 février un nouveau pacte pour une industrie propre, accompagné de plans d’urgence pour l’automobile, l’acier, la chimie. La création prochaine d’un fonds européen à la réindustrialisation a également été annoncée.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération