Guillaume Martin : « Regarder le Tour est un rituel qui me manque »

Tour de France 2019 par Baptiste Bouthier

Benoît Prieur - CC-BY-SA

Grimpeur déjà confirmé et amateur de philosophie contrarié, Guillaume Martin dispute son troisième Tour de France à 26 ans. Son talent peut l’emmener très loin.

Baptiste Bouthier : A quand remontent vos premiers souvenirs du Tour de France et de ses champions ?

Guillaume Martin : J’ai grandi en Normandie, à côté de Flers. Avec mon père, on allait dans le coin voir des courses régionales. Mais mes premiers souvenirs du Tour sont plus à la télévision que sur le bord de la route. C’est quelque chose que je percevais déjà petit : quand on va voir passer le Tour, on ne voit pas trop la course. Et moi, c’était la course qui m’intéressait ! Je suivais tout particulièrement les étapes de montagne. Bon, c’était compliqué d’avoir des idoles, on parle des Tours de France des années Armstrong… Avec mes yeux d’enfant, et pour son panache, sa manière de courir, disons que j’aimais bien Alexandre Vinokourov. Alberto Contador, aussi. J’étais attaché aux coureurs offensifs.

B. Bouthier : Vous êtes maintenant devenu un coureur du Tour de France. Qu’est-ce qui change le plus lorsque l’on passe de l’autre côté du miroir ?

Guillaume Martin : C’est une banalité de le dire mais toute cette effervescence bien sûr, les sollicitations des médias et du public, sans relâche… Ce n’est comparable avec aucune autre course. On n’a pas une minute à soi, c’est une épreuve de trois semaines sur ce plan là aussi. Mais une autre chose a changé lorsque j’ai disputé mon premier Tour de France. Jusque-là, regarder le Tour en juillet était pour moi un rituel. évidemment, en le courant, je ne pouvais plus le regarder. C’est un peu étrange mais cela a provoqué en moi un sentiment de manque, le rituel me manquait. Ce n’était pas rationnel bien sûr puisque j’étais en réalité bien plus heureux de participer à l’épreuve ! C’était une prise de conscience de ne plus en être spectateur mais acteur.

B. Bouthier : Acteur oui, mais jusqu’à quel point ? Vous avez terminé aux portes du Top 20 du général vos deux Tours de France disputés en 2017 et 2018, et terminé troisième d’une étape dans le Jura… Vous fixez-vous des objectifs précis ?

Guillaume Martin : J’ai envie de vivre des choses plus élevées. Une victoire d’étape aurait bien sûr plus de retentissement et me procurerait davantage d’émotions. Et, en tant que grimpeur, le maillot à pois peut m’intéresser aussi. Mais mon instinct naturel me conduirait davantage à viser le classement général, parce que c’est ce qui est sportivement le plus significatif. Il faudra voir comment la course se déroule, les choses se feront naturellement.

B. Bouthier : Avez-vous eu le sentiment de gagner en notoriété après avoir couru le Tour ?

Guillaume Martin : Oui, je ne suis pas devenu une superstar hollywoodienne, mais il y a eu un effet Tour de France après ma première participation, c’est indéniable, notamment sur les critériums d’après-Tour.

B. Bouthier : Vous courez pourtant pour Wanty, une équipe belge, de deuxième division de surcroît…

Guillaume Martin : C’est une question d’opportunité, c’est la formation qui m’a proposé mon premier contrat professionnel (en 2016) et tout s’y passe très bien. On m’a rapidement fait confiance et donné des responsabilités, je m’y suis donc bien senti pour progresser. Sur le plan de la notoriété, c’est vrai que cela peut me desservir ou me profiter, cela dépend comment on voit la chose. Pour moi, le plus important c’est que je m’y sente bien, que j’aie le sentiment que les conditions y sont réunies pour que je puisse être performant. Revenir en France, dans une équipe française, ce n’est pas un objectif pour moi. J’aurais pu le faire dès cette année et je n’ai pas voulu. Mais je ne me l’interdis pas.

B. Bouthier : C’est un fait, on vous connaît moins que les grimpeurs français stars, comme Romain Bardet ou Thibaut Pinot. Vous vous entendez bien ?

Guillaume Martin : On discute pas mal pendant les courses évidemment, il y a du respect mutuel entre nous et des relations cordiales, voire amicales, comme dans n’importe quel corps de métier. J’espère que l’un des deux va pouvoir monter sur le podium du Tour de France cet été, ce serait super pour le cyclisme français et ils ont déjà prouvé qu’ils en étaient capables. Même une victoire finale n’est pas tout à fait inenvisageable.

B. Bouthier : Et pour vous, monter sur le podium final du Tour de France, c’est envisageable ? C’est un objectif ?
Guillaume Martin : Cela suppose de progresser encore plus. Pour l’instant je n’ai pas les références d’un Romain Bardet, même si je suis évidemment plus jeune (26 ans, contre 28 ans), ce serait donc prétentieux de dire que je veux gagner le Tour. Mais je veux aller le plus haut possible.

B. Bouthier : On vous parle souvent de votre passion pour la philosophie : vous avez écrit un mémoire, une pièce de théâtre et même un livre à ce sujet. Est-ce que cela ne finit pas par vous agacer ?

Guillaume Martin : C’est un peu ambivalent. L’étiquette que ça me colle me déplaît, mais la philosophie n’est pas quelque chose dont j’ai honte ou que je renie, au contraire. Alors si je peux être utile en montrant qu’il est possible d’avoir à la fois un corps performant et un esprit performant, tant mieux ! Mais il ne faut pas que cela tourne à la caricature. Je fais les choses parce que je les aime. La pièce de théâtre (Platon vs Platoche, 2018), c’était un jeu, au début ce n’était destiné ni à être joué, ni à être publié. Dans le livre également (Socrate à vélo, 2019), j’essaie de mettre en garde contre les clichés, les raccourcis possibles. Ce qui m’importe, c’est la manière dont l’on traite mon profil, qui associe philosophie et sport. Ou qui ne l’associe pas, d’ailleurs. Le risque que je perçois trop souvent, c’est de se contenter de l’étiquette « cycliste-philosophe ». Je veux que l’on s’intéresse à moi pour ma performance sportive, parce que je suis avant tout coureur cycliste ou avant tout philosophe, cela dépend du domaine dont on parle !

B. Bouthier : La philosophie vous aide à vélo ?

Guillaume Martin : Pas vraiment ! On aurait envie de dire que ça apporte des solutions, des recettes magiques, l’esprit à la rescousse du corps. Mais la vérité, c’est que cela n’est pas tellement le cas ! Ce sont deux choses indépendantes. Et il n’y a pas de mal à ça. Le sport peut se suffire à lui-même.

B. Bouthier : Est-ce que cette étiquette de cycliste-philosophe vous rattrape au sein du peloton ?

Guillaume Martin : Pas forcément, d’abord parce que les coureurs sont en partie hermétiques à l’attraction médiatique qui peut nous entourer. Et aussi parce que je n’ai pas l’impression de me comporter comme un extra-terrestre dans la vie de tous les jours. Je suis un coureur cycliste comme les autres, dans une équipe comme les autres, un truc normal. Après, chacun a ses particularités et il n’y a pas de jugement par rapport à ça, on vient tous d’horizons différents, il n’y a pas de déterminisme social dans ce sport pour arriver au plus haut niveau. Fils d’ouvrier ou fils de cadre, nos qualités physiques sont réparties équitablement !