Le coup de colère de FO-Santé

Covid-19 par Valérie Forgeront

© Sébastien ORTOLA/REA

Les jours passent, l’intensité de l’épidémie de Covid-19 s’accentue et les personnels soignants des hôpitaux lancent de plus en plus de SOS aux pouvoirs publics. Ils demandent toujours des moyens de protection : gants, masques, lunettes, charlottes, tenues adéquates, surchaussures, tests…

De même, alors que les établissements doivent faire face au manque criant de lits et de matériel pour les patients, notamment de respirateurs, les personnels, éreintés, rappellent que cela fait de longues années qu’ils mettent en garde contre les conséquences tragiques que ne pourraient qu’impliquer les mesures d’austérité infligées au secteur hospitalier. La situation présente se transforme en démonstration grandeur nature.

Certes, ils apprécient que les citoyens leur rendent hommage chaque soir, par des concerts aux fenêtres. Certes, ils entendent aussi les multiples hommages à leur courage, leur ténacité et leur professionnalisme rendus par les politiques de tous bords. Certes, mais pour les personnels soignants des hôpitaux − infirmiers, aides-soignants, médecins… −, cela ne règle pas la situation quotidienne concrète qu’ils vivent : le manque de moyens pour soigner, le manque de moyens pour se protéger eux-mêmes du virus et pouvoir ainsi continuer à s’occuper des autres.

Le 25 mars, date d’une intervention du président de la République, la Fédération FO des personnels des services publics et des personnels de santé (FO-SPS) a tenu ainsi à mettre les points sur les « i ». « Les agents n’attendent pas un merci, mais plutôt un pardon et une réparation après la crise pour l’incurie faite à leur encontre et aux établissements sanitaires et médico-sociaux ! »

Dans la crise actuelle, certes d’une ampleur inédite, le manque de personnels, de lits, de matériel amène les hôpitaux situés dans les foyers d’infection à transférer (par avion, TGV…) les malades vers d’autres sites hospitaliers (publics ou privés), y compris à l’étranger. Face au manque d’effectifs de personnels soignants, la réserve sanitaire (plus de 40 000 personnes) a été appelée en renfort, tout comme l’armée. De nombreux médecins s’élèvent contre le risque − déjà patent sur certains sites −, de devoir faire des choix concernant le degré des soins qui pourront être apportés aux malades, en l’absence de certains matériels, de réanimation notamment.

L’obtention de masques est tributaire de la réception des commandes récemment lancées, essentiellement auprès de la Chine. Or ceux-ci peinent à arriver. Quelque 5,5 millions sont arrivés sur le territoire le 29 mars, 10 millions sont arrivés le 30 mars. Beaucoup et très peu à la fois. La France a besoin de 40 millions de masques par semaine, notamment pour les services hospitaliers de santé et la médecine de ville, mais ne peut en fabriquer pour l’instant que 8 millions…

Les conséquences du « soigner moins cher plutôt que mieux »

Bilan : dans cette crise, la France se réveille « avec la gueule de bois », indiquait FO-SPS le 23 mars dans une lettre ouverte au président de la République, Emmanuel Macron.
Le 29 mars, de son côté, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, indiquait que ce sont les employeurs du secteur privé qui « sont responsables de mettre en place les protections » pour les salariés. Les personnels, notamment soignants, des hôpitaux demandent que les pouvoirs publics exercent autant de responsabilité en la matière…

Ces dernières années, à l’appel de FO notamment, ces personnels (infirmiers, aides-soignants, médecins…) ont manifesté et fait grève de nombreuses fois. Leurs revendications étaient-elles entendues par ceux-là mêmes qui aujourd’hui leur rendent des hommages appuyés ? Peu, très peu. Dernier mouvement en date : les hôpitaux, et leurs services d’urgences, ont dû faire plus d’un an de grève, notamment l’été dernier, avant d’obtenir des mesures a minima, budgétairement limitées, ne réglant finalement en rien les carences de moyens de l’hôpital. Bref, des mesures ou petits plans successifs relevant plutôt d’un cautère sur une jambe de bois.

« Le président ne peut plus nier que l’hôpital est au bord de la rupture depuis de nombreuses années, que des grèves très importantes ont eu lieu en 2019 et 2020, et que malgré́ cela les agents hospitaliers relèvent le défi du Coronavirus avec le soutien massif de la population. » Mais, fustige FO-SPS, le « soigner moins cher plutôt que mieux », philosophie développée budgétairement depuis de longues années par les différents exécutifs, dont l’actuel, se paye cher aujourd’hui.

La demande d’une négociation après la crise

Par de soudaines déclarations laissant penser à une prise de conscience, tout aussi soudaine, l’exécutif donne à croire qu’il se mord les doigts, qu’il remet en cause la politique strictement comptable appliquée à l’hôpital ? Il est vrai que la réalité calamiteuse − ou de « déliquescence », ainsi que la nomme FO-SPS − des moyens des hôpitaux saute aux yeux de tous et de manière douloureuse. Alors, annonce l’exécutif, il faudrait « revoir le modèle de l’hôpital », faire un « plan massif pour l’hôpital », et même revoir la situation de rémunération de ses personnels. Cela toutefois pour l’instant en leur donnant le choix, sur le mode cynique, entre une prime immédiate et une modification des grilles…

« Nous avons indiqué au cabinet que les deux doivent être attribuées », indique la fédération FO-SPS. « La reconnaissance de tous les agents doit, comme dans le privé, passer par une prime versée immédiatement, mais nous attendons une négociation, après la crise, pour revoir le modèle de l’hôpital, les déroulements de carrière de tous les agents hospitaliers et l’abandon de " Ma santé 2022 " qui promeut l’ambulatoire à 80 % ! »

La fédération entend aborder tous les sujets qui fâchent, et c’est peu dire, depuis de nombreuses années. « La loi Ma santé 2022, qui plébiscitait l’ambulatoire à 80 %, doit être stoppée immédiatement, l’ONDAM [latitude de progression des dépenses en recul d’année en année, NDLR] sanitaire et médico-social doit couvrir toutes les dépenses des hôpitaux et des Ehpad en fonction des besoins. Il faudra ouvrir des lits, recruter des effectifs et donner les moyens aux établissements, augmenter les salaires pour redonner de l’attractivité aux métiers du soin », assène FO-SPS, reprenant ses revendications de longue date.

« Nous ne sommes pas étonnés »

Signe de la gravité de la situation, dans la lettre ouverte adressée au président de la République, trois secrétaires généraux de la branche Santé FO, l’actuel et deux anciens (Didier Birig, Didier Bernus et Denis Basset) disent leur « colère » face à une situation désastreuse des moyens de l’hôpital que les pouvoirs publics ont choisi d’ignorer pendant de trop longues années. Nous sommes en colère parce que nous ne sommes pas étonnés : la situation épidémique s’ajoute seulement au manque ordinaire de moyens. Il y a longtemps que l’hôpital et la médecine de ville manquent de ce qui fait la base d’une organisation de soins « normale ».

Et les trois militants ne mâchent pas leurs mots : « Oui, nous payons très cher trois décennies d’erreurs en matière de politique de santé publique, d’économies réalisées sur le compte de la santé des usagers, des structures de soins - notamment les hôpitaux publics, des structures médico-sociales - et des professionnels. Nous savions qu’un système de santé calqué peu ou prou sur l’entreprise, est absurde et mortifère. Et nous ne serions pas dans un tel marasme si l’attention avait été portée sur l’anticipation des besoins plutôt que sur la maîtrise à tout prix des budgets. »

Et, précisent encore les trois secrétaires généraux, si FO a tiré la sonnette d’alarme, dénoncé la situation ou encore alerté, c’est « sur la base des remontées du terrain et des analyses des professionnels ». FO n’a pas été la seule organisation à le faire d’ailleurs, souligne FO-SPS. Et, hors des syndicats, d’autres l’ont fait aussi. « Nombreux ont été les hauts fonctionnaires − même de très hauts fonctionnaires, grands serviteurs de l’État (en off !) −, directeurs d’hôpitaux, de CHU, de structures sociales et médico-sociales, médecins et professeurs à nous encourager, soutenir, et même susciter nos analyses, nos démarches, nos actions. »

FO alerte depuis trente ans

Concrètement, nul ne pouvait ignorer la situation des établissements de santé, sans compter, rappelle encore la fédération, les très nombreuses actions qu’elle a menées auprès des multiples directions et représentants de l’État : « En trente ans il y a eu des centaines d’interventions auprès des présidents de la République, des ministres de la Santé et de leurs services, qui se sont succédé, pour leur expliquer, dénoncer les conséquences concrètes de leurs choix, exiger des évaluations, des correctifs, des renoncements. Les préfets, les DDASS, DRASS, ARH, ARS, DH, DHOS, DGOS, etc. ont reçu des centaines de délégations de personnels… »

Les différentes réformes prescrites à l’hôpital et à l’ensemble du système de santé ? Ces réformes, évoquant à chaque fois exclusivement le « coût » de la santé, ont enfoncé un peu plus les moyens des établissements, ont désorganisé les services, ont mis dramatiquement en recul sur le territoire l’offre de soins, l’accès pratique pour les citoyens/usagers… Dans sa lettre au chef de l’État, FO-SPS dresse ainsi la liste de ces réformes (qui n’ont jamais été soumises à un bilan), combattues à chaque fois par FO et d’autres organisations. Cette liste donnerait le vertige.

« Réformes hospitalières de 1991, ordonnances de 1996, loi relative à la politique de Santé publique de 2004, plan hôpital 2007, loi Hôpital, patients, santé, territoires de 2009 (HPST), loi de modernisation du système de santé de 2016, loi relative à l’organisation et la transformation du système de santé de 2019… Pour ne citer que les principales. »

« Aucune excuse budgétaire ne sera admise »

Au sein de ces réformes se mettaient en œuvre des innovations comptables funestes. Et là encore, FO-SPS en dresse la liste et le bilan : « Où sont les bénéfices de la mutualisation des moyens prônée par les Groupements hospitaliers de territoires/GHT, des coopérations publiques/privées, du tout ambulatoire… ? Que dire des dégâts causés par la T2A (tarification à l’activité), ultime outil de la gestion comptable des établissements par une régulation prix/volume, empêchant les établissements de fonctionner " normalement " et pire en obérant les investissements vitaux pour l’avenir. »

Désormais, lorsque la crise sanitaire sera passée « aucune excuse budgétaire ne sera admise par aucun de nos concitoyens, aucun des professionnels », avertit FO-SPS dans sa lettre au président de la République.

Le 30 mars, FO-SPS indiquait fermement : « À l’issue de cette crise sanitaire nos gouvernants devront rendre des comptes aux Français et en premier lieu à tous les agents publics-privés, salariés hospitaliers et personnels territoriaux, pas seulement sur la gestion de ce drame humain mais aussi sur les politiques successives de destruction du service public, de ses moyens humains et matériels, sans oublier nos salaires et nos retraites ! »

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante