Après six mois d’une drôle de guerre, les divisions allemandes foncent sur la France le 10 mai 1940. Ils font fi de la neutralité belge et passent par les Ardennes où les stratèges français n’ont pas poursuivi les travaux de la ligne Maginot. En deux jours, Sedan est prise. Le 18 Cambrai tombe, le 20 Amiens, puis le 22, la Wehrmacht atteint la Manche coupant en deux les forces franco-anglaises. C’est la fameuse poche de Dunkerque qui se referme sur 400.000 combattants. Le 4 juin, les 40.000 derniers soldats français de la poche se rendent. Le lendemain, c’est la panique à Paris. Le Président du conseil (Premier ministre), Paul Reynaud (1878-1966) remanie son gouvernement et y fait entrer un colonel, nouvellement promu général, Charles de Gaulle, au poste de secrétaire d’État à la guerre. D’un côté, il y a les tenants de la lutte à tout prix contre l’ennemi nazi, quitte à continuer en Afrique du nord, de l’autre Pétain, lui aussi au gouvernement, et ses amis en embuscade, pour se débarrasser de la République au prix du déshonneur et de la collaboration.
Le 7 juin, le front français s’effondre. Les panzers de Guderian passent de partout. Au matin Noyon tombe, le soir c’est au tour de Soissons. La route de Paris est ouverte. Gamelin et Weygand, les chefs de l’armée française, ont montré leur incompétence. Mais à l’État-major de l’armée de l’air, on n’a pas encore rendu les armes (1). Alors que la défaite est inévitable, six têtes brûlées reçoivent l’ordre de bombarder Berlin. Rien que ça !
Six corsaires, comme ils s’appelleront plus tard (2) se portent volontaires. Ils sont tous de l’aéronavale, moitié militaires de carrière, moitié pionniers de l’aéropostale, copains de Mermoz. Il y a le commandant-chef de bord, le capitaine de corvette Henri-Laurent Daillère (1901-1942), le pilote Henri Yonnet (1905-1997), Paul Comet le navigateur, Corneillet le mécanicien, Scour le radio et Deschamps le mitrailleur-bombardier.
Le vol de l’Aigle
Pour ce raid, les marins-aviateurs vont utiliser un avion de ligne d’Air France sorti des usines en 1939 et reconverti en bombardier, un Farman 223 quadrimoteur, baptisé le « Jules-Verne ». Rempli à ras bord de 18.000 litres de kérosène, il embarque huit bombes de 250 kilos et 80 bombes incendiaires de 10 kilos à jeter manuellement, avec comme seule défense, une mitrailleuse de 7mm. Dans l’après-midi du 7, il décolle de Bordeaux-Mérignac, fonce sur la Manche, puis s’engage dans la Mer du nord. À la nuit tombée, il survole le Danemark, la Baltique, puis pique au sud-est vers Berlin. À minuit, il est au-dessus de Berlin, il largue alors ses grosses bombes et avec plusieurs passages, Deschamps et Corneillet balancent les petites bombes incendiaires. Ultime bras d’honneur à Hitler, le mécanicien balance sa vieille paire de godillots sur la capitale du Reich de 1.000 ans. Stupéfaite, la défense antiaérienne ne comprend rien. Le Farman rentre alors en rase-mottes, coupant à travers l’Allemagne nazie. Il atterrit intact à Orly en pleine nuit et Corneillet en descend en chaussettes !
Göring, l’as de l’aviation de la Première guerre mondiale, chef de la Luftwaffe et bras droit d’Hitler, est furieux. Ce dernier encore plus. Ce coup d’éclat n’empêchera pas l’entrée des nazis dans Paris le 14 juin, l’arrêt des combats demandé par Pétain trois jours plus tard et la signature de l’armistice le 22 juin. La IIIe République s’est suicidée quelques jours plus tôt à Bordeaux et la collaboration peut commencer. La France est coupée en deux, les libertés publiques sont supprimées et la CGT est interdite dès le 9 novembre 1940.
Ce n’est que le 25 août 1940, qu’une vingtaine d’avions de la Royal Air Force britannique iront bombarder Berlin en représailles du premier bombardement nazi sur Londres. Le 7 novembre 1941, une flotte de bombardiers soviétiques fera de même. Mais pour les grandes vagues de forteresses anglo-américaines sur la capitale du Reich, il faudra attendre le printemps 1943.
(1) Historiquement les armées de l’air, les dernières venues à partir de 1915-1916, sont considérées comme plus modernistes et plus progressistes.
(2) Livre de mémoire du pilote Henri Yonnet : « Le Jules-Verne, Avion corsaire », éditions France-Empire.