Institutions européennes et multinationales : le grand mercato

Conflits d’intérêts par Nadia Djabali

Hémicycle du bâtiment Louise-Weiss du Parlement européen à Strasbourg, lors d’une séance plénière en 2014. Par DiliffTravail personnel, CC BY-SA 3.0

Que font les hommes politiques et les fonctionnaires de l’Union européenne après leur passage à Bruxelles ? Un rapport de l’ONG Transparency International répond en partie à cette question. L’organisation non gouvernementale a analysé le parcours professionnel de 485 anciens membres du Parlement européen et de 27 commissaires en fonction dans les commissions Barroso I (2004 à 2009) et II ( 2010-2014).

Depuis le renouvellement des institutions européennes de 2009, une cinquantaine de membres du Parlement et plus de la moitié des anciens commissaires travaillent pour un lobby enregistré à Bruxelles.

Le plus inquiétant pour Transparency International : d’anciens décideurs de l’UE passés dans le privé incitent d’anciens collègues à rejoindre des structures officiant dans des domaines qu’ils ont règlementés.

De Goldman Sachs à Volkswagen

Outre les activités de lobbying, certains commissaires se sont recyclés chez Arcelor-Mittal, Uber, Bank of America et Volkswagen à des postes qui impliquent des contacts avec les institutions de l’UE. Si l’embauche de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs avait fait scandale, il n’est pas le seul à avoir décroché un emploi comportant des risques de conflits d’intérêts.

Sharon Bowles, la présidente de la Commission des affaires économiques et financières du Parlement est allée travailler à la bourse de Londres. Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission en charge du numérique, est passée chez Uber où elle siège au comité de conseil en politique publique.

Direction Opel pour Holger Krahmer (Allemagne) député européen pendant 10 ans. Son mandat lui a permis de siéger au sein de la commission de l’environnement du Parlement. Il a notamment travaillé sur la réglementation de l’industrie automobile. Après 2014, il est devenu directeur des affaires européennes, de la politique publique et des relations gouvernementales au sein du constructeur automobile allemand, filiale du groupe américain General Motors.

Connie Hedegaard, commissaire européenne en charge du climat de 2010 à 2014, a rejoint en septembre 2016, l’entreprise Volkswagen en pleine tourmente du « dieselgate ».

Quant au Belge Karel de Gucht, ancien commissaire européen au commerce, il a signé en mai 2016 chez ArcelorMittal.

Cabinets de lobbying

Plusieurs eurodéputés ont ouvert leurs propres cabinets de conseil en lobbying tels qu’Arlene McCarthy (Royaume-Uni), Graham Watson (Royaume-Uni) et Marije Cornelissen (Hollande).

Vingt-six anciens députés européens ont été embauchés par des cabinets de lobbying bruxellois peu après leur départ du Parlement.

Parmi les cabinets de lobbying les plus influents de Bruxelles : celui de Google et son budget annuel de 4,25 millions d’euros. Depuis 2009, le géant américain de l’internet a embauché 23 personnes provenant des institutions européennes. De quoi faciliter les 124 rendez-vous obtenus ces deux dernières années avec les commissaires et leurs conseillers les plus proches.

Périodes de « refroidissement »

Les commissaires européens doivent en principe respecter une période de « refroidissement » de 18 mois après leur départ de la Commission. Durant cette période ils doivent demander l’autorisation à cette dernière avant d’intégrer des entreprises privées. Le traité de fonctionnement de l’UE impose sur une durée indéterminée, aux anciens membres de la Commission des devoirs d’honnêteté et de délicatesse, lorsqu’une entreprise dont ils ont été le régulateur leur propose un emploi. Mais la Commission interprète souvent cette période indéterminée aux 18 mois de carence.

Le 31 octobre 2016, le comité d’éthique de la Commission a jugé « peu judicieux » le choix de M. Barroso d’aller émarger chez Goldman Sachs. Mais il a également précisé qu’en respectant le délai de 18 mois, Manuel Barroso n’avait contrevenu à aucune règle.

Reste le cas des eurodéputés, sur lesquels ne pèsent aucun de délai de carence même s’ils sont obligés de remettre leur badge d’accès à vie aux locaux s’ils s’engagent dans des activités de lobbying. Leurs assistants sont eux soumis à une période de carence de deux ans. Les fonctionnaires européens sont astreints à une période de carence de 24 mois lorsqu’ils quittent leur emploi. Mais dans les faits, l’institution a peu de moyens pour faire respecter ces consignes une fois que les anciens employés sont partis.

Face à la bronca provoquée dans l’opinion publique par les embauches de Manuel Barroso et Neelie Kroes, Jean-Claude Juncker, président actuel de la Commission a annoncé vouloir allonger la période de carence de 18 mois à 24 mois pour les commissaires et à 3 ans pour le président de la Commission. Mais saura-t-il convaincre les 28 commissaires européens pour que sa proposition devienne réalité ?

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante

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