AEF info : Les projets de loi budgétaires sont en cours d’examen actuellement à l’Assemblée nationale. Quel message fait passer Force ouvrière aux parlementaires ?
Frédéric Souillot : Mon message est clair : Que la facture du « quoi qu’il en coûte » et les économies ne peuvent pas être juste présentées aux travailleurs. Le budget Lecornu reprend à peu de chose près le budget Bayrou et le message que l’on passe aux parlementaires est de ne pas voter ce budget et de voter un budget de justice fiscale et sociale. Pour l’heure, il n’y a pas d’équité dans ce budget et c’est la responsabilité du Parlement d’assumer ses responsabilités. Il n’y aura pas de recours au 49.3 et il n’y a pas de majorité pour voter ce budget, le Parlement doit donc mettre les mains dans le cambouis pour trouver un compromis.
Le gros problème sur le budget n’est pas sur les dépenses. On les connaît et elles sont prévisibles. Le problème, ce sont les recettes. Depuis 2017, on baisse l’impôt en permanence, ce qui, outre les baisses de recettes, amoindrit le consentement à l’impôt. FO est pour la remise en place d’un impôt progressif que tout le monde paye. Et il faut limiter l’optimisation fiscale des grands groupes et des plus gros patrimoines. Il faut qu’ils paient leurs impôts en France. Ils quittent fiscalement le territoire en expliquant être trop imposés et dès qu’ils ont un souci de santé, ils reviennent pour se faire soigner en France. Je leur demande un peu plus de patriotisme économique.
AEF info : Derrière la question de justice fiscale et sociale, mettez-vous aussi la conditionnalité des aides publiques aux entreprises ?
Frédéric Souillot : En préalable, nous ne sommes pas contre les aides publiques versées aux entreprises, mais il faut qu’elles soient fléchées et conditionnées. Le rapport du Sénat — il faut bien comprendre que ce ne sont pas les économistes atterrés qui l’ont fait quand même… — parle de 211 milliards d’aides publiques versées aux entreprises, mais ces aides ne sont pas conditionnées. Le patronat nous dit par exemple qu’en face des allégements généraux de cotisations, il y a bien un emploi et que c’est ça la condition. Je réponds que s’il n’y avait pas les allégements généraux et que si l’entreprise avait un besoin, elle embaucherait quand même. Et quand ils nous expliquent que c’est pour faire face à la concurrence internationale, je rappelle que sont concernés, pour la plupart, des emplois de services qui ne sont pas délocalisables…
Prenons un autre exemple, celui du crédit d’impôt recherche. Si un brevet est élaboré grâce à des aides publiques, la première des conditionnalités est que le développement émanant de ce brevet se fasse sur le territoire. Bien évidemment, je pense à Sanofi qui a touché 1,8 Md€ sur trois ans et qui délocalise sa recherche aux États-Unis et son développement en Inde…
FO porte le sujet depuis longtemps et je rappelle que dès le 13 juillet 2022, dans le premier communiqué intersyndical au bas duquel il ne manque aucune signature, figure la conditionnalité des aides publiques versées aux entreprises. Petit à petit, cela entre dans les têtes…
AEF info : Parallèlement à ces débats budgétaires, a été annoncée une « suspension » de la réforme des retraites de 2023. Comment accueillez-vous cette ouverture du Premier ministre ?
Frédéric Souillot : Cette suspension est suspendue à ce que décidera le Parlement… De plus, la lettre rectificative du PLFSS ne parle pas de suspension mais de décalage. Ce qui me satisfait, c’est que plusieurs groupes parlementaires parlent d’une suspension de l’âge mais aussi de la durée de cotisations. Ne suspendre que l’âge fait en sorte que trois fois moins de personnes pourraient liquider leur retraite.
Plus globalement, je rappelle que le taux de travailleurs qui liquident leur retraite et qui ne sont plus en emploi a dépassé la barre des 50 %. Avant la réforme, on était à 49,3 % et maintenant on est à 50,7 % de travailleurs qui liquident et qui ne sont plus en emploi, couverts par l’assurance chômage ou l’assurance maladie, en invalidité ou au RSA…
AEF info : Dans sa déclaration de politique générale, Sébastien Lecornu a mentionné la retraite par points chère à la CFDT et la retraite par capitalisation chère au patronat… Est-ce que cela vous inquiète ?
Frédéric Souillot : La retraite par points ne peut pas revenir en plein milieu de la table. Même Édouard Philippe qui avait une majorité absolue au Parlement, a fait passer à l’Assemblée en 2020, la retraite par points par 49-3… Nous l’avons combattu hier et nous le combattrons demain si le sujet revient. De même, nous nous opposerons à la retraite par capitalisation. À moins que le patronat décide de payer une cotisation pour financer une capitalisation qui serait complémentaire au régime par répartition, mais je doute que ce soit leur projet…
AEF info : La retraite sera à l’ordre du jour d’une nouvelle conférence sociale. Avec quel état d’esprit abordez-vous cette concertation ?
Frédéric Souillot : J’ai clairement dit à Jean-Pierre Farandou [le ministre du Travail] qu’avant d’envisager d’aller à une conférence, nous allons déjà regarder comment cela se passe pour la suspension de la réforme de 2023. Et avant de parler des retraites, il faut parler de travail et d’emploi… Et je lui ai rappelé qu’en 2023, Élisabeth Borne nous avait invités à une conférence sociale et que des engagements avaient été pris notamment sur les branches en dessous du Smic, les écarts de salaires entre les femmes et les hommes ou la création d’un Haut Conseil sur les salaires. Or, il ne s’est rien passé. Donc si c’est juste pour nous occuper dans une conférence qui ne s’appellerait pas conclave, ce ne sera pas possible. On ne peut pas se targuer de la démocratie sociale et se servir d’elle comme d’une roue de secours ou d’une béquille qui permettra de tenir un peu plus longtemps…
AEF info : Comment voyez-vous aujourd’hui cette articulation entre démocratie politique et démocratie sociale ?
Frédéric Souillot : Certains groupes parlementaires nous appellent pour connaître nos lignes rouges. Je leur réponds qu’avant de parler des lignes rouges, il faut parler de responsabilité. Nous n’avons pas les mêmes et ils peuvent renvoyer tout un tas de sujets à la négociation collective et à l’agenda social autonome. C’est ce qu’avait fait Michel Barnier, l’an dernier, sur notamment l’emploi des seniors, le dialogue social et l’assurance chômage. Sur ce dernier point, je ne comprendrais pas que le Parlement et l’exécutif nous redemandent de nous remettre autour de la table pour renégocier une convention. Il y a peut-être quelques sujets à discuter sur les contrats courts, le temps partiel subi ou les ruptures conventionnelles, mais cela doit se faire dans le cadre la négociation nationale interprofessionnelle…
Nous sommes toujours allants sur la négociation collective. En 2022, quand le gouvernement nous demande de négocier sur le partage de la valeur, nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas du sujet. Geoffroy Roux de Bézieux n’en voulait pas et j’ai dû expliquer au président de l’époque du Medef, qu’il ne pouvait pas demander de redonner la place qui doit être la sienne à la négociation collective et renvoyer le gouvernement dans ses 22 mètres quand il nous propose de négocier. Au final, à l’issue d’une longue négociation, nous sommes arrivés à un accord ultra-majoritaire. En revanche, ce que je reproche à l’exécutif, c’est le temps perdu entre la signature de l’accord et son entrée en vigueur effective. La loi de transposition est adoptée plus d’un an plus tard et les décrets d’application viennent juste d’être pris…
AEF info : Vous portez le même regard sur la loi de transposition des ANI de novembre 2024 qui vient à peine d’être publiée au
Frédéric Souillot : Oui. Il a quand même fallu un an entre la signature des accords et la publication au Journal officiel. C’est quand même un peu schizophrénique : on nous explique qu’il faut une négociation flash parce qu’il y a urgence et il faut près d’un an pour que le Parlement se prononce définitivement sur un accord. Il faut changer les choses sur la transposition dans la loi d’un accord national interprofessionnel signé majoritairement. Dans le cas d’un agrément ou d’une extension, je pense que le simple fait que l’accord respecte la lettre de cadrage ou d’orientation devrait suffire. S’il faut une transposition dans la loi, il faut que la démocratie politique l’inscrive rapidement à l’ordre du jour du Parlement…
AEF info : Le financement du modèle social, l’évolution du modèle productif et l’emploi des jeunes figurent à l’ordre du jour du projet d’agenda social autonome tel que formalisé par le Medef dans son invitation de mi-septembre. Ce programme vous satisfait-il ?
Frédéric Souillot : Il y a tout dans cet agenda social autonome que nous avons décidé collectivement dans nos locaux en juin dernier. Pour l’heure, une organisation syndicale de salariés et une organisation professionnelle n’ont pas encore répondu à l’invitation du Medef pour finaliser l’agenda social autonome.
AEF info : Ne craignez-vous pas que la question du financement du modèle social ne se résume à la remise en cause des cotisations sociales ?
Frédéric Souillot : C’est un marronnier. En 1954, le patronat disait déjà que la protection sociale collective qui venait d’être mise en place, pesait trop sur le travail et que ça allait tuer l’industrie, la productivité et le reste. Ce n’est pas ça qui a tué l’industrie, ce sont les politiques de désindustrialisation. Le salaire différé est ce qui permet l’égalité et je ne veux pas que demain quand on a un accident de santé, on nous demande la couleur de notre carte bleue plutôt que notre numéro de sécurité sociale.
AEF. Plus globalement, quelle est aujourd’hui la place de FO dans le paysage syndical français ?
Frédéric Souillot : FO est la troisième organisation syndicale et la seule qui est libre et indépendante. FO n’appelle jamais à voter pour l’un ou contre l’autre, c’est dans notre ADN. Et FO porte plus que les autres la pratique contractuelle et conventionnelle. On peut penser ce qu’on veut du patronat, on peut se fâcher sur plein de choses, mais on doit discuter et négocier avec lui, car si on ne le fait pas, d’autres — et notamment la démocratie politique — le feront. Si les organisations syndicales, notamment la mienne, pratiquent la politique de la chaise vide demain matin, la démocratie sociale va s’effondrer.
AEF info : Pendant de nombreuses années — voire décennies —, FO a affiché sa méfiance à l’égard de la logique intersyndicale, or depuis 2022, la confédération semble y avoir trouvé sa place. Comment expliquer cette évolution ?
Frédéric Souillot : Tout simplement en considérant que seuls, nous n’y arriverons pas. J’applique la résolution générale adoptée quand j’ai été élu [en 2022 à l’issue du congrès de Rouen] qui défend l’unité la plus large possible pour faire aboutir les revendications. La bagarre sur la réforme des retraites a été menée non pas selon une logique de syndicalisme rassemblé, mais en intersyndicale sur des revendications communes. On a redonné de la visibilité et de la lisibilité aux organisations syndicales. Quand il y a une instabilité politique où tous les partis se déchirent, il est important de montrer la stabilité du syndicalisme français en intersyndicale. Bien sûr, nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais nous trouvons toujours les moyens et les mots pour dire ce qui rassemble les travailleurs. Avant, on se parlait par presse interposée pour critiquer ce qu’avait dit l’un ou l’autre. Aujourd’hui, on ne fait plus comme ça, on se parle, on se dit les choses et ensuite, chacun communique ou on communique tous ensemble si on arrive à le faire.
AEF info : Le 26e congrès confédéral de FO se tiendra fin avril 2026 à Dijon. Serez-vous candidat à votre succession ?
Frédéric Souillot : Oui, je serai candidat parce que je pense que nous avons encore à faire sur le développement et la pratique contractuelle et conventionnelle, sujets que je porte depuis mon élection. De plus, mes instances souhaitent que je me représente et elles n’ont pas eu à me pousser très fort pour que je le fasse… Il faut que nous allions chercher les travailleurs pour leur expliquer ce qu’est Force Ouvrière et les faire adhérer. Le développement, c’est ça. Notre grosse différence de représentativité avec les autres organisations, c’est notre nombre d’implantations. On a des bastions qui souvent tiennent bien, mais on n’est pas assez implantés.
Les questions posées au congrès sont : Comment est-ce qu’on arrive à s’implanter ? Comment est-ce que la logique du développement que nous avons mis en place depuis trois ans maintenant porte ses fruits sur la prochaine mesure de représentativité ? Comment est-ce qu’on continue à se développer ? Et c’est valable bien sûr dans la fonction publique au sein de laquelle on est passé deuxième dans les trois versants. Je clos toutes mes interventions en interne en expliquant que nous avons trois priorités : le développement, le développement et les implantations !
