Que représente le secteur du jeu vidéo en France ?
Ivan Gaudé : C’est un tout petit secteur, né au début des années 1980. Selon le syndicat des employeurs SNJV il représente 5 000 personnes, et je pense que c’est gonflé. Ubisoft, troisième éditeur mondial, emploie 2 000 personnes en France. Six studios ont une dizaine à une centaine de salariés. Tout le reste, ce sont des mini-structures de moins de dix salariés. Les effectifs ont été divisés par deux en dix ans. Aujourd’hui, l’industrie est taylorisée et mondialisée. On fait faire des bouts d’un même jeu par plusieurs entreprises à différents endroits du monde.
Pourquoi appeler à la création d’un syndicat des salariés du jeu vidéo ?
Ivan Gaudé : Le SNJV se veut le défenseur du jeu vidéo, il y a une espèce d’ambiguïté. Il représente le point de vue des patrons, celui des salariés est peut-être différent, or on ne les entend pas. Le secteur est rattaché au ministère de la culture, mais il est morcelé. Il fait appel à différents métiers, des artistes, des ingénieurs informatiques… il n’y a pas de branche professionnelle propre. On ne peut pas ne jamais prendre en compte les besoins des salariés.
Quels sont les problèmes spécifiques au secteur ?
Ivan Gaudé : Il y a clairement un excès de recours aux stagiaires. Le développement d’un jeu ambitieux prend trois ou quatre ans. Ça démarre par la pré-production avec une équipe restreinte. Ensuite, il y a énormément de choses à régler en peu de temps et les équipes doublent ou triplent temporairement. Certes les studios ont une économie très précaire et ont besoin de peu de permanents, mais il y a des abus dans le manque d’organisation ou de préparation.
Et les salariés se montrent résignés ?
Ivan Gaudé : À la fin des années 1990, des salariés d’Ubisoft avaient créé Ubifree, un syndicat virtuel, pour exprimer leur ras-le-bol. La société avait grandi trop vite et était éclatée en entités de 49 salariés, officiellement pour éviter une prise de pouvoir par un actionnaire. Mais globalement les conflits restent rares. Dans les autres entreprises, avec moins de dix salariés, c’est difficile de se mobiliser. Les salariés sont souvent très jeunes et la défense de leurs droits ne leur semble pas une priorité. Ils peuvent avoir une image ringarde et rigide des syndicats. C’est aussi un milieu de passion, assez individualiste. Et c’est un petit secteur où tout se sait, on évite de faire du bruit, on a peur pour sa réputation.
Vous avez donc lancé une bouteille à la mer…
Ivan Gaudé : Mon espoir est que cette chronique circule dans le milieu, que les salariés se disent pourquoi pas et se bougent. Je veux faire comprendre aux professionnels que ce n’est pas contre eux, que le dialogue social peut permettre de pérenniser l’activité. Ils doivent accepter de parler et de partager les richesses, tout le monde y a intérêt. C’est une industrie très joyeuse et créative, avec des gens à la pointe de l’animation 3D ou de l’ingénierie informatique. Si les conditions de travail sont mauvaises, un jeune qui est bon et qui parle anglais s’en va ailleurs. À une époque il y avait une french touch, mais c’est fini. Il n’y a plus d’ancrage géographique ni de zone d’influence nationale.
Propos recueillis par Clarisse Josselin