« J’ai eu l’idée de la BD en pensant à tout ce que je n’avais pas pu filmer »

Entretien : Michaël Sztanke journaliste et réalisateur à Baozi Production, ancien correspondant de RFI en Chine par Evelyne Salamero

La Faute, une vie en Corée du Nord, une BD mi-fiction mi-documentaire, nous fait pénétrer dans le pays le plus fermé du monde, jusque dans les coulisses. Là où la réalité dépasse l’imagination.

Comment vous est venue l’idée d’une bande dessinée pour parler de la Corée du Nord ?
Michaël Sztanke : J’ai commencé à écrire la trame du scénario dans l’avion, au retour de mon deuxième voyage là-bas, en 2012. Je ressentais une énorme frustration en pensant à tout ce que je n’avais pas pu filmer. Il m’a fallu des années de travail, de négociations, de démarches pour obtenir l’autorisation d’entrer dans le pays et d’y rester un peu. Je me suis dit que, quoi que je puisse raconter au final dans le documentaire, il fallait absolument trouver le moyen de ne pas passer à côté de tout cela. Et puis j’adore la bande dessinée, la BD de journalisme ; elle permet, même dans des conditions normales, de montrer plus de fond, de détails, de coulisses que l’image filmée ou photographiée et d’exprimer plus d’ambiance que la rédaction seule.

Quelle a été la réaction des autorités coréennes quand la BD est parue ?
Michaël Sztanke : La délégation coréenne à Paris m’a reproché de les avoir « trahis » en réalisant une bande dessinée « moqueuse », alors qu’ils m’avaient accueilli « chaleureusement ». Selon eux, j’aurais « porté atteinte à la dignité de leur leader en racontant la perte d’un badge à son effigie ». Je leur ai expliqué que je n’ai jamais cherché à me moquer de qui que ce soit. J’ai simplement fait, selon mon point de vue, un travail « objectif et équitable », comme n’ont cessé de m’y enjoindre mes guides durant tout mon séjour.

Une des planches de La Faute. L’album de Michaël Sztanke et Alexis Chabert est paru chez Delcourt (112 p., 15,95 euros). © sztanke et chabert/delcourt

Parlez-nous de votre rencontre avec Alexis Chabert, le dessinateur…
Michaël Sztanke : Elle est avant tout due au hasard. Il n’a jamais mis les pieds en Asie. C’était pour lui un terrain totalement vierge.
C’est ce qui m’a plu. Notre échange n’en a été que plus riche. Je lui ai raconté un pays et il m’a formé au scénario de BD. Au fur et à mesure, il s’est totalement imprégné d’un ton, d’un style, d’une atmosphère. Mon exigence était un dessin réaliste et épuré. J’ai compris qu’il était très fort dès son premier dessin : le visage du guide, très proche de la réalité. C’était vraiment lui !

Votre documentaire La Corée du Nord, la grande illusion sera diffusé sur France 5 à partir de fin octobre. À quel type d’images devons-nous nous attendre ?
Michaël Sztanke : Comme je l’ai dit, on ne peut filmer en Corée du Nord que des choses officielles, des familles modèles, des écoles modèles, des fermes modèles, des sites militaires modèles, des sites touristiques modèles… Alors, j’ai montré ces images à des réfugiés de Corée du Nord qui ont fui récemment (depuis quatre à cinq ans maximum) en Corée du Sud et je leur ai demandé d’y réagir.

Quelques clés
 Tout Nord-Coréen a l’obligation de porter le badge des leaders du pays au revers de son veston, côté coeur.
 En vertu du principe de « culpabilité par association », la famille d’un individu reconnu coupable d’opposition ou de faute grave peut être persécutée sur trois générations.
 On estime à 200 000 le nombre de Nord-Coréens enfermés dans des camps de travail.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante