Le premier budget du quinquennat est à la fois un budget de rupture et un budget de continuité par les nombreuses mesures fiscales qui le composent et portent en elles des évolutions importantes.
Pour commencer, la suppression des cotisations salariales maladie et chômage et leur remplacement par une hausse de la CSG fait partie de ces mesures qui sont loin d’être sans conséquence. Même si la Cour de justice de l’Union européenne considère la CSG comme une cotisation, cette mesure pose avec une acuité renouvelée la question de la préservation des recettes de la protection sociale, mais aussi celle du maintien de la logique originelle de la Sécurité sociale.
De même, la décision de supprimer d’ici à la fin du quinquennat la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, si elle rend incontournable la révision de la fiscalité locale, fait elle aussi peser, par l’incertitude des modalités de sa compensation auprès de son principal bénéficiaire, le bloc communal, des menaces réelles sur la capacité de celui-ci à maintenir son action publique de proximité. A ce stade, la piste qu’envisage le Comité des finances locales pour compenser les plus de 20 milliards de perte de taxe d’habitation n’est pas de nature à nous rassurer, lui qui propose que cette perte soit financée en partie par les départements, qui trouveraient à leur tour une compensation par le biais de la CSG... La preuve que nos inquiétudes quant à la préservation des recettes de la protection sociale sont loin d’être infondées, la preuve aussi que les collectivités territoriales ne croient pas du tout à une compensation intégrale et pérenne de l’État.
Si ce budget 2018 est donc par certains côtés un budget de rupture, il est aussi, et à bien des égards, un budget de continuité, en premier lieu dans sa philosophie même. En effet, la philosophie de la loi de finances 2018 est très simple à résumer : en diminuant les impôts des ménages très aisés, en poursuivant, au nom de la compétitivité, la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises (en particulier ceux des plus grandes, sans diminuer en contrepartie l’importante fiscalité dérogatoire dont elles bénéficient) et en accélérant enfin la baisse des dépenses publiques pour viser, à terme, un recentrage des missions publiques et du modèle social, l’économie française s’en portera mieux.
Le gain fiscal des nouvelles mesures sera capté par une toute petite partie de la population
Convoquant ainsi la justification classique du besoin de financement de l’économie et l’argumentaire d’un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés d’Europe, le gouvernement fait le choix de favoriser fiscalement les ménages se situant dans la distribution de revenus la plus élevée, faisant ainsi sienne la thèse simpliste du ruissellement que plus de quarante années de néolibéralisme ont largement infirmée. Qualifiées pudiquement de pari risqué pour les moins critiques, de fautes historiques pour d’autres, les mesures fiscales réformant l’ISF et l’imposition des revenus du capital vont représenter un manque à gagner fiscal particulièrement important, qui a été estimé à 4,5 milliards par le gouvernement lui-même et à 6 milliards selon l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).
Compte tenu des inégalités de patrimoine toujours très importantes dans notre pays, le gain fiscal de ces mesures sera capté par une toute petite partie de la population, estimée à 2 % des ménages les plus aisés selon l’OFCE – il n’est pas inutile de rappeler que les revenus financiers représentent moins de 3 % des revenus totaux pour 90 % des ménages, contre plus de 50 % des revenus totaux des ménages les plus aisés selon les derniers chiffres disponibles de l’Insee. Au-delà des effets qu’auront ces décisions sur les inégalités de revenus qui vont repartir à la hausse, leur justification économique, à savoir favoriser l’investissement et le financement de l’économie, peine à convaincre un cercle très large d’économistes et d’experts. En effet, si de nombreux rapports ont été consacrés à ces sujets, aucun n’aboutit à une recommandation aussi simpliste que celle de supprimer l’ISF ou de diminuer indifféremment et dans de telles proportions la fiscalité sur les revenus financiers.
Pour compenser et rendre acceptable auprès de l’opinion publique cet énorme manque à gagner fiscal, des mesures présentées comme étant en faveur du pouvoir d’achat ont bien été prévues, mais elles sont très loin d’assurer en global un réel gain de pouvoir d’achat. Rappelons que la décision d’accélérer en 2018 le prix de la composante carbone des taxes intérieures de consommation sur l’énergie (plus exactement le prix de la tonne de carbone) va générer un gain supérieur à celui généré par l’exonération de taxe d’habitation. Au-delà de 2018, cette décision va se traduire par une augmentation très importante de la fiscalité écologique
et du coût des énergies (en particulier du gaz naturel, du fioul mais aussi du gazole).
Avec de telles augmentations (de l’ordre de + 43 % pour la TIGN sur le gaz naturel en 2018, de plus de 170 % d’ici à 2022 selon les chiffres du ministère de la Transition écologique), le phénomène de la précarité énergétique, qui touche déjà plus de 12 millions de ménages selon ce même ministère, va rendre urgente la prise en compte de la question sociale dans la transition écologique.
Force Ouvrière redoute et alerte sur les conséquences de toutes ces mesures fiscales sur les inégalités de revenus et sur le pouvoir d’achat des ménages, notamment celui des retraités et des fonctionnaires qui ne bénéficieront pas de la baisse des cotisations sociales. De même, l’impact de la suppression de la taxe d’habitation sur le maintien des services publics locaux nous interroge et nous inquiète car nous savons combien ceux-ci contribuent à contenir les inégalités et la pauvreté. En diminuant la part de l’impôt sur le revenu dans le total des prélèvements obligatoires et en augmentant celle de la fiscalité sur la consommation (notamment de la fiscalité écologique), l’ensemble de ces mesures va de nouveau (et comme ce fut le cas tout au long de la décennie des années 2000) porter atteinte à la progressivité du système fiscal, qui est pourtant le gage de la justice fiscale et de l’ancrage fondamental du consentement à l’impôt.
Pour Force Ouvrière c’est une très mauvaise nouvelle, quand on sait que le taux de pauvreté s’est accru en France, en dix ans, de près de un million de personnes, que le niveau de vie médian stagne depuis 2008 et que les écarts de niveau de vie, entre riches et pauvres, croissent de nouveau, selon l’Insee, dans des sens opposés.
Menée pour satisfaire une cible de déficit public qui n’est même pas exigée par Bruxelles (- 2,6 % du PIB en 2018 et - 0,2 % en 2022 !), cette stratégie fiscale est enfin d’autant plus injuste qu’elle va être en partie financée, en 2018, par de nouvelles baisses de dépenses publiques dont la politique du logement et la politique de l’emploi sont les premières victimes, elles qui bénéficient d’abord aux classes populaires et aux classes moyennes.
Enfin, la mise en oeuvre, à partir du 1er janvier 2019, du prélèvement à la source, une réforme du mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu à laquelle Force Ouvrière a toujours été opposée, va exiger dès cet été 2018 que les contribuables fassent des choix quant au taux de prélèvement qui leur sera appliqué. Ils pourront choisir d’opter pour l’application du « taux neutre » s’ils désirent préserver, auprès de leur employeur, la confidentialité de leur taux de prélèvement ou alors, pour les couples mariés ou liés par un PACS, exercer l’option leur permettant d’individualiser le taux de prélèvement de leur foyer. Qui a dit que le prélèvement à la source était simple ?
Assurément pas Force Ouvrière, qui n’a jamais cessé de mettre en garde contre cette mesure qu’elle juge compliquée autant qu’inutile pour les contribuables.
Force Ouvrière demeurera vigilante quant à la mise en application de cette réforme, car il n’est pas envisageable que celle-ci se traduise par de nouvelles suppressions d’emplois au sein des services fiscaux. Les services publics sont les fondements de notre cohésion sociale et de notre pacte républicain, autant qu’un soutien majeur à l’activité économique et à l’emploi, et il ne saurait être question de les remettre en cause.