Jean-Claude Mailly (FO) : « Je crains une dérive à l’anglo-saxonne »

Les Echos | le 25 mai 2015

« Le leader syndical tire à boulets rouges contre le projet de loi sur le dialogue social « qui porte mal son nom ». Il redoute une inversion de la hiérarchie des normes. FO est « dans une logique d’accord » sur l’Agirc-Arrco. », Leïla de Comarmond et Solveig Godeluck

Les députés entament ce mardi l’examen de la réforme du dialogue social. Pourquoi Force ouvrière est-elle vent debout contre ce texte ?
C’est une loi qui porte mal son nom. Parmi les nombreux points de désaccord que nous avons sur ce texte, j’en citerai trois. Le premier est la dilution dans la future Délégation unique du personnel dans les entreprises de moins de 300 salariés du CHSCT, l’institution du personnel la plus crainte des employeurs. Les élus devront gérer concomitamment les questions de conditions de travail et celles d’emploi, avec les pressions et on ne peut pas être bon partout.
Le deuxième gros point de désaccord, c’est le contournement des organisations syndicales dans les entreprises où aucune n’est implantée avec le mandatement.
Troisième point : la représentation des salariés des très petites entreprises. C’est du vent ! Comment peut-on penser sérieusement que 13 commissions régionales vont permettre de régler quoi que ce soit dans les TPE. Nous sommes d’autant plus inquiets qu’il y a aussi la mission confiée par Manuel Valls à Jean-Denis Combrexelle sur l’articulation entre loi, accords collectifs et contrat de travail. La composition déséquilibrée de la commission – beaucoup de membres sont partisans d’une inversion de la hiérarchie des normes - et le contenu de la lettre de mission me font craindre une dérive à l’anglo-saxonne.

Les négociations sur les retraites complémentaires du privé entrent dans une phase décisive. Quel est votre état d’esprit ?
Le patronat a durci sa position. Il réclame désormais 8,2 milliards d’économies, alors qu’il était redescendu à 5 milliards. Ça change tout. S’il n’y a que 5 milliards à combler, comme les deux régimes dégagent environ 2 milliards par an de produits financiers, on n’a que 3 milliards à trouver. Le Medef considère que, comme l’inflation a été moins forte que prévu, on n’a pas pu faire les économies convenues en 2013. Mais cette dégradation, c’est du virtuel. De plus, dans les chiffres qu’on nous présente, il faut distinguer ce qui relève de la conjoncture et du déficit structurel. En 2007, l’Agirc-Arrco était excédentaire. Si on gomme l’effet de la crise survenue depuis, on s’aperçoit que le besoin structurel de financement n’est plus que de 1,7 milliard dans le pire scénario.

Le patronat propose des abattements…
Les abattements, même temporaires, on ne peut pas les accepter. Et puis ce sujet relève d’une autre négociation : c’est le dispositif de l’AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement) qui complète les pensions des assurés avant 67 ans. Il est régi par un accord valable jusqu’à la fin de 2018. Chaque chose en son temps.

Les abattements permettent d’économiser tout de suite beaucoup d’argent. Or patronat et exécutif refusent une hausse des cotisations…
Un point de hausse des cotisations rapporte 6 milliards de recettes. Ce n’est pas ce que nous demandons, mais cela vous donne une idée. Et que l’exécutif s’occupe de ses affaires. Qu’il commence par revaloriser les salaires des fonctionnaires et le Smic.

FO a toujours été signataire des accords paritaires sur l’Arrco et l’Agirc. Et cette fois ?
On est dans une logique d’accord. En fait, je suis beaucoup plus inquiet sur l’assurance-chômage où on a un effet de ciseaux important avec des recettes qui stagnent et des dépenses qui explosent. Le gouvernement cherche à nous faire accélérer les discussions car il veut afficher des économies face à Bruxelles pour son budget 2016. Mais nous, les partenaires sociaux, nous ne sommes pas en charge du budget ! Ce qui nous préoccupe, c’est aussi que, même dans l’assurance-chômage, l’État prétend dicter sa loi depuis la création de Pôle emploi.

Où est le problème ?
C’est une dérive économique libérale. Le gouvernement veut maîtriser tout le champ de la protection sociale, si l’on en juge par la mission qu’il a confiée au Haut Conseil au financement de la protection sociale. Tout cela parce que le chef de l’État a accepté le pacte budgétaire européen qui impose de réduire les coûts. Le paritarisme est menacé. Or le paritarisme est une vraie école de responsabilité et un rempart. Que se passera-t-il s’il n’y a pas d’accord sur les retraites complémentaires et si l’État reprend la main ? Il remettra au pot ? Regardez par exemple ce qu’il se passe avec Areva . Il privatisera ?

Le patronat a obtenu un sérieux assouplissement pour la mise en œuvre du compte pénibilité. Qu’en pensez-vous ?
Le fait de renvoyer aux branches l’élaboration de référentiels métiers est une bonne idée. En revanche, repousser la mise en œuvre de la réforme à 2017 serait inadmissible.

Est-ce que la prime d’activité est une conquête sociale ?
La prime pour l’emploi avait des effets pervers, puisque certains employeurs en profitaient pour ne pas augmenter leurs salariés. La nouvelle prime a le mérite de simplifier l’accès aux droits et d’être étendue aux jeunes. Mais il y aura des perdants. Il y aura aussi sans doute des problèmes de gestion, car entre ça et la modulation des allocations familiales, les caisses d’allocations familiales vont exploser !

Faut-il faire la chasse aux fraudeurs aux prestations sociales, comme le fait l’assurance-maladie sur la CMU complémentaire ou Pôle emploi avec les chômeurs ?
Les contrôles ne me gênent pas, il y a les droits et les devoirs. Ce que nous ne voulons pas, c’est le discours stigmatisant qui va souvent avec. Quand ce sont les entreprises qui fraudent, on parle d’optimisation fiscale, il y a deux poids deux mesures.

Un plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif pourrait être introduit dans la loi Macron. Qu’en pensez-vous ?
Quand nous disons que le gouvernement, et en particulier le ministre de l’Economie, a une fâcheuse tendance à accéder aux revendications patronales, ce n’est pas une clause de style. Cette mesure est inacceptable. Et cela augure mal de ce qui sera proposé en juin sur les PME. Je comprends les difficultés dans lesquelles peut se trouver un petit patron qui a un problème avec un salarié, comme d’ailleurs face au Code du commerce qui n’est pas plus simple que le Code du travail. Mais nous, quand les salariés ont un problème, on les accompagne jusqu’aux prud’hommes. Que les organisations patronales fassent leur boulot !

Le 9 avril, votre journée d’action contre l’austérité, organisée avec la CGT, la FSU et Solidaires a eu un succès mitigé. Et depuis plus rien… Vous n’allez pas lancer une nouvelle journée d’action ?
A un moment donné, le rôle d’une confédération, c’est de prendre ses responsabilités en permettant aux salariés d’exprimer leur mécontentement social, économique et démocratique. Le 9 avril a été une réussite. Maintenant, organiser une nouvelle mobilisation ne s’improvise pas. Nous ne la sentons pas dans l’immédiat.

N’est-ce pas un constat d’impuissance ?
En période de croissance, nous sommes dans la conquête et c’est plus facile. En période de crise comme aujourd’hui, une partie non négligeable de l’activité syndicale consiste à organiser la résistance pour qu’on ne remettre pas en cause les acquis. C’est à la fois difficile et indispensable car si on ne résiste pas, qui le fera ? C’est notre côté rempart.

Il y a eu une très forte grève aux Hôpitaux de Paris, mais le mouvement des enseignants a été limité et le climat social est plutôt calme ces derniers temps non ?
Le climat n’est pas bon parce que personne ne voit clair sur l’avenir. La croissance a été un peu plus forte que prévu mais c’est une amélioration timide et liée à des facteurs extérieurs. Les problèmes fondamentaux à l’origine de la crise au niveau européen et international ne sont pas réglés. Et leurs conséquences se font sentir. A l’hôpital, les logiques budgétaires et sociales actuelles sont antagoniques et cela va finir par faire un court-circuit. C’est ce qui menace à l’AP-HP. Il y a des hôpitaux où le dialogue social se passe correctement, où ça discute, aux Hôpitaux de Paris, la direction a choisi d’aller au conflit. Dans l’éducation nationale le gouvernement fait de la provocation.

Vous défilez avec la CGT, mais à la différence d’elle, vous signez aussi des accords. Une façon de la cornériser ?
On n’est pas dans une logique tactique. Nous avons nos positions, et à partir de là nous voyons si nous pouvons dégager un accord avec d’autres. En négociations c’est en fonction du contenu des textes que nous signons ou pas . Idem pour les mobilisations. C’est cela FO, notre liberté et notre indépendance.

C’est votre dernier mandat, vous l’avez dit. Irez-vous jusqu’au bout et comment allez-vous organiser votre succession ?
Je l’ai déjà dit, je ferai un mandat complet. Il est donc beaucoup trop tôt pour parler de succession. Mais ce qui est sûr, c’est que je préparerai la suite, et pas tout seul. L’organisation n’a pas besoin d’une guerre interne. L’objectif est que les choses se passent normalement, démocratiquement.

Leïla de Comarmond et Solveig Godeluck

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