Jean-Claude Mailly. « Macron doit choisir entre passage en force et concertation »

Humanité Dimanche le 2 juillet 2017 par Jean-Claude Mailly

Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

S’il estime que, pour l’instant, le gouvernement est prêt à la discussion, le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, prévient que, au final, ce qui comptera, c’est de savoir si les syndicalistes ont été entendus. Il fixe des limites à ne pas franchir ­ maintien et primauté des accords de branche, pas d’instauration d’un référendum d’entreprise à l’instigation de l’employeur ­ mais se montre ouvert à une évolution des instances représentatives du personnel... sous conditions. L’Humanité Dimanche

HD. Après les différentes révélations de la presse sur les projets du gouvernement en matière de Code du travail, jugez-vous toujours que la concertation est réelle ?

Jean-Claude Mailly. Une vraie concertation, ce n’est pas une simple consultation sur la base d’un projet ou d’un texte. C’est une discussion de fond. Le gouvernement doit non seulement écouter les organisations syndicales, mais les entendre. À la différence du précédent avec la loi El Khomri, celui-ci a respecté l’article L1 du Code du travail. Cette fois-ci, nous n’avons pas découvert un projet de loi dans la presse. Emmanuel Macron dit vouloir revenir à l’esprit des institutions de la Ve République, selon lequel le président de la République fixe des orientations que le gouvernement met en œuvre. Mais, in fine, c’est le chef de l’État qui décidera. Le gouvernement nous a donné une « feuille de route », qui fixe les thèmes et le calendrier de la discussion. Initialement, le vote sur les ordonnances était fixé à fin août. C’était inacceptable car cela revenait à court-circuiter les organisations syndicales. Nous avons dit au chef de l’État qu’il devait faire le choix entre le passage en force et la concertation. La concertation suppose trois choses : détendre le calendrier, discuter de tout et entendre. Les deux premiers points sont respectés, reste le troisième. C’est sur le fait que nous aurons été entendus ou non qu’on jugera s’il y a eu réelle concertation. À la suite de cet échange, l’adoption des ordonnances a été reportée à fin septembre. Par contre, le fait de présenter le projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances avant la fin des discussions pose problème puisqu’il va fixer un cadre à des thèmes qui n’ont pas encore été débattus. Enfin, ce n’est pas possible que nous découvrions le contenu des ordonnances fin septembre à la veille de leur examen en Conseil des ministres.

HD. Quelles sont vos lignes rouges ?

J.-C. M. L’articulation des niveaux de négociation est un des points clés pour FO. Au démarrage, nous avons eu le sentiment que, dans l’esprit de la loi El Khomri, le gouvernement entendait donner la priorité à l’accord d’entreprise. C’est pour nous une ligne rouge. Aujourd’hui, le Code du travail prévoit que les négociations de branche portent sur les classifications, les minima de branche, la prévoyance, la formation, l’égalité professionnelle et la pénibilité. Ces six thèmes doivent être garantis et nous souhaitons le rajout d’autres comme la négociation d’un cahier des charges pour la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il s’agit d’empêcher que celle-ci se résume à un PSE. La GPEC suppose d’anticiper, de discuter la stratégie de l’entreprise et d’évaluer des besoins en matière d’emplois et de formation.
La liberté de négociation dans la branche doit être affirmée. Concrètement, cela veut dire que patronat et syndicats peuvent verrouiller des thèmes. C’est-à-dire empêcher des entreprises de déroger à l’accord de branche sauf en mieux pour le salarié.
Si on en croit les révélations du Monde, le gouvernement semble vouloir réserver des thèmes de négociation au niveau de l’entreprise. Mais lesquels ? S’il s’agit de l’organisation du travail, cela est déjà le cas et cela ne me dérange pas. Mais nous n’accepterons pas que ce soit le cas d’autres sujets, comme la rémunération. Certains accords de branche prévoient par exemple une prime d’ancienneté. Hors de question que la création de celle-ci soit renvoyée à un accord d’entreprise.

HD. Il est aussi évoqué de négocier le contenu du contrat de travail au niveau de l’entreprise...

J.-C. M.  Non, cela a été finalement exclu. La ministre l’a dit publiquement. Et nous l’avons affirmé clairement au lendemain des révélations de Libération, il est hors de question que les aspects du contrat de travail se discutent dans l’entreprise.

HD. Êtes-vous favorable à la fusion des instances représentatives du personnel (IRP) ?

J.-C. M. Depuis la loi Rebsamen, les employeurs peuvent décider de mettre en place une délégation unique du personnel (DUP) dans les entreprises de moins de 300 salariés. Au-delà, un accord majoritaire est nécessaire. Nous sommes ouverts à la discussion. Mais nous mettons des conditions. Il faut renforcer les moyens (heures de délégation, expertise...), notamment dans les entreprises de plus de 300 salariés. Il faut pouvoir mutualiser ces moyens, en particulier les heures de délégation entre les élus. Nous voulons aussi absolument conserver la prérogative d’ester en justice dont disposent aujourd’hui les CHSCT. On s’opposera à tout référendum à l’instigation des employeurs. Le droit de négocier est et doit rester un droit syndical.

HD. En concentrant les différentes fonctions des IRP en une seule, ne risque-t-on pas de professionnaliser les syndicalistes et de les couper des réalités du terrain ?

J.-C. M. Pas obligatoirement, cela dépend des moyens que l’on donnera à ces DUP. Si cela permet de réduire le nombre de réunions tout en mutualisant les moyens, cela permettra justement aux délégués d’être plus souvent présents sur le terrain.

HD. Accepter la barémisation des indemnités pour licenciement abusif, n’est-ce pas renoncer au principe de réparation intégrale du préjudice subi par le salarié ?

J.-C. M. Si, sauf si vous permettez au juge de déroger au barème dans certaines conditions. Nous allons d’ailleurs proposer au gouvernement une liste de motifs de dérogation. Nous souhaitons par ailleurs renforcer la procédure de conciliation, en obligeant l’employeur à être présent le jour de la réunion sous peine de sanction. Je ne dis pas que nous obtiendrons gain de cause... Pour l’instant, sur ce sujet comme sur les autres, on continue de discuter sans savoir où le curseur finira par s’arrêter. Notre position est claire : ou bien le gouvernement tient compte de nos lignes rouges, ou bien il n’en tient pas compte et ça n’ira pas. S’il faut mobiliser, on mobilisera. Je voudrais dire au passage qu’il y a une différence notable avec l’année dernière : tous les syndicats se parlent. Je suis en contact régulier avec les quatre autres organisations, et réciproquement. Cela peut aider à peser dans les discussions, si nous avons la même position sur certains points.

HD. On a vu que FO Île-de-France s’est déjà mobilisée, le 27 juin, contre le projet de loi travail. Qu’en pensez-vous ?

J.-C. M. C’est une initiative isolée à laquelle je n’ai pas participé.

HD. Entre la réforme du Code du travail par ordonnances et l’inscription dans la loi de l’état d’urgence, ne sommes-nous pas en train d’assister à une dérive libérale-autoritaire ?

J.-C. M. J’ai toujours considéré que le libéralisme économique conduisait à l’autoritarisme, je n’ai pas changé d’avis. Pour ce qui est des ordonnances, je n’ai pas de problème sur le principe, dès lors que ce n’est pas pour affaiblir les droits des salariés. Après tout, la cinquième semaine de congés payés a été instaurée par ordonnance. Mais si c’est utilisé pour passer en force, cela pose problème. Quant à l’état d’urgence, je sais que notre syndicat des magistrats s’y oppose fermement. Il est effectivement dangereux d’inscrire dans la loi des dispositions qui, par définition, doivent rester exceptionnelles...

HD. Cette dérive autoritaire n’est-elle pas due au fait que le nouveau pouvoir, très mal élu, est minoritaire dans le pays ?

J.-C. M. Quand j’ai vu le président de la République, je lui ai rappelé qu’il n’avait pas reçu de blanc-seing de la part des électeurs. De toute façon, s’il passe en force, cela lui reviendra en boomerang d’une façon ou d’une autre.

Entretien réalisé par Cyprien Boganda et Pierre-Henri Lab le 2 Juillet 2017 pour l’Humanité Dimanche

 Voir en ligne  : L’Humanité Dimanche

Jean-Claude Mailly Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

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