Jean-Claude Mailly : « SNCF, fonctionnaires, il faut un vrai débat sur les services publics »

L’Opinion du 19 février 2018

« Le numéro 1 de FO évoque la journée d’action du 22 mars dans le secteur public et ses craintes de remise en cause du paritarisme à l’Unédic et dans la formation professionnelle. » L’Opinon

Des négociations importantes sont sur le point de s’achever sur la formation professionnelle et l’assurance-chômage. Comment pressentez-vous leur issue ?

Pour commencer, il y a trop de dossiers sur la table en même temps. Qui trop embrasse mal étreint, dit le dicton. Sur la formation professionnelle, tout n’est pas réglé mais je ne suis pas pessimiste. Nous pourrions trouver un accord. Pour l’assurance-chômage, en revanche, c’est plus délicat. Le sujet des contrats courts bloque toujours. En la matière, les avancées du patronat sont faibles, même s’il a accepté que onze secteurs s’engagent dans des négociations pour réduire le recours aux CDD. Il n’y a toujours aucune sanction prévue pour les branches qui ne joueront pas le jeu, ce qui pose problème car, dans la dernière convention signée en 2017, l’engagement de la part des branches de se mobiliser figurait déjà. Or, rien n’a bougé. Chez FO, nous tenons au paritarisme. Nous considérons que tout ce qui a trait au contrat de travail (retraites, assurance-chômage…) doit être géré par les syndicats et le patronat. Mais je ne suis pas persuadé qu’il y a la même appétence côté pouvoirs publics. Même si le Président a un peu révisé son point de vue depuis la campagne et ne parle plus d’étatisation totale, on sent toujours une tentation…

Craignez-vous, en cas de désaccord sur l’assurance-chômage, que le gouvernement porte atteinte au paritarisme ?

Pour ma part, je souhaite que les partenaires sociaux conservent leurs prérogatives en matière d’assurance-chômage. Nous ne voulons pas que la gouvernance de l’Unédic soit transformée et que les partenaires sociaux se retrouvent sur un strapontin, comme cela s’est passé pour l’assurance-maladie.

Pour limiter le recours aux contrats courts, Emmanuel Macron a averti qu’il mettrait en place un bonus-malus les entreprises. Pensez-vous qu’il l’actionnera ?

Il ne peut pas avoir la promesse sélective. Et puis, cet engagement pris par le président de la République figure dans le document d’orientation que le gouvernement a remis aux partenaires sociaux avant le début de la négociation.

Le gouvernement est contesté sur la question du pouvoir d’achat. A raison ou à tort ?

C’est effectivement une vraie difficulté à laquelle est confronté le gouvernement. Et c’est une réalité ! Je reçois beaucoup de courriers de retraités mécontents, qui ont perdu de l’argent : 30, 35, 45 euros… La hausse de la CSG marque les esprits. Dans les entreprises, à part quelques exceptions, les salaires n’augmentent guère et dans le public c’est le blocage. Il y a un vrai problème : la croissance est meilleure mais l’investissement et la consommation ne repartent pas suffisamment. Surtout, les Français ont le sentiment que les inégalités ne se réduisent pas. Ils sont très sensibles à l’équité.

Est-ce que cela peut déclencher des mouvements sociaux ?

C’est toujours difficile à prévoir mais il y a un sentiment général d’inquiétude, de colère. Vis-à-vis du gouvernement, il y a toujours de l’attente. La question est : jusqu’à quand ? On ne peut jamais dire s’il y aura des cristallisations des mécontentements. Car ce n’est pas obligatoirement une accumulation des difficultés qui déclenche un mouvement, cela peut être une étincelle.

Le 22 mars, une journée d’action est prévue : les fonctionnaires se mobilisent mais aussi les cheminots, après la remise du rapport Spinetta…

A la SNCF, Force ouvrière appellera à rejoindre le mouvement. Et pour les fonctionnaires, il y a urgence. La concertation commence sur quatre thèmes difficiles : l’augmentation de la rémunération individuelle, la simplification des instances représentatives du personnel, le recours aux contractuels et la manière de faciliter les départs volontaires. Sur ce dernier point, je rappelle qu’il ne figurait pas dans la lettre envoyée aux syndicats au préalable. Surtout, en l’état, cela n’est pas possible car cela voudrait dire remettre en cause le statut général de la fonction publique, tel qu’il existe aujourd’hui. Le problème, c’est que depuis 2007, on a toujours la même méthode. A FO, nous avons toujours demandé qu’avant de lancer les discussions, il y ait un vrai débat contradictoire sur les services publics. Qu’est-ce que le gouvernement entend par mission de service public ? Quelle est sa définition du service public républicain ? Quels sont les transferts au privé ? Et puis que l’on fasse des évaluations sur les transferts des services publics au privé. Car tous n’ont pas été des réussites, loin s’en faut. Que l’on évalue avant de prétendre supprimer des missions. A chaque fois, on met des experts qui « moulinent » sur ces sujets et les syndicats ne sont pas dans la démarche… Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, il n’y a pas que la question du statut qui compte ! Le service public est aussi le bien de ceux qui n’ont rien.

Qu’attendez-vous de cette journée ?

C’est une mise en garde sérieuse. Le ras-le-bol monte chez les fonctionnaires. Les services sont à l’os du côté des Ehpad, dans l’éducation, à l’hôpital… Il faut prendre des mesures. Le gouvernement devrait notamment agir dans les hôpitaux, car la remise en cause de la tarification à l’activité, la T2A, va prendre du temps. Pour les hôpitaux publics qui ont besoin d’investir, pourquoi ne pas les aider en leur proposant des emprunts moins onéreux que dans les circuits bancaires classiques ? Par exemple en passant par la Caisse des dépôts ou par BpiFrance ? Ça donnerait un peu d’oxygène en attendant les réformes structurelles.

Les ordonnances Pénicaud se mettent en place dans les entreprises. Quelles sont vos observations ?

Il faut gérer la fusion des instances représentatives du personnel. Près de 150 000 à 200 000 personnes vont perdre leurs mandats, ce n’est pas rien. Quels postes ces personnes vont-elles retrouver ? Ce n’est pas simple à gérer, y compris pour les employeurs. J’ai aussi des craintes sur les ruptures conventionnelles collectives… De nombreuses entreprises veulent y recourir. Même si cela doit passer par la négociation, ce dispositif peut avoir des conséquences lourdes. Au moment où l’on discute de l’objet social de l’entreprise je crains que dans certains secteurs comme la bancassurance on soit plus dans une logique de réduire la voilure.

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