L’abattage rituel de Gorge Mastromas : la moralité sacrifiée à la corruptibilité

Théâtre par Michel Pourcelot

Gorge (prononcez George), un jeune type plutôt bien, se voit offrir « une chance unique », alors qu’il n’avait jamais obtenu la moindre reconnaissance par son travail. Il la prend pour enfin faire partie du camp des vainqueurs. Sans vergogne, il devient un impitoyable menteur, ne s’embarrasse plus des convenances, et s’approprie ce qui lui plaît, jusqu’à devenir un des chefs d’entreprise les plus prospères du monde. Une « success story » à l’américaine, pour ne pas dire « trumpesque ». Loin d’être un cas isolé : Il achetait des sociétés, regardait les gens droit dans les yeux en leur disant Vous ne serez pas virés. Et il les virait. Sur sa fin, il se remémore combien il avait de l’abattage : nous n’avons pas de réunions, nous ne mettons pas de costumes ridicules les soirs de pleine lune, mais nous existons, et nous nous connaissons, et quand nous nous rencontrons, nous sourions, et nous nous disons les uns aux autres : Regardez ces idiots. Regardez ces crétins. Pourquoi sont-ils si bêtes ? Pourquoi ils ne prennent pas ce qu’ils veulent vraiment, comme nous ?.

Question de choix

L’abattage rituel de Gorge Mastromas est l’adaptation française de la pièce The Ritual Slaughter of Gorge Mastromas, signée du dramaturge, comédien et metteur en scène britannique, Dennis Kelly, né en 1969, dans une modeste famille d’origine irlandaise du nord de Londres. Un texte datant de 2013 et traduit en français par Gérard Watkins, le fils du réalisateur Peter Watkins (Punishment Park, Le Libre-Penseur, La Commune. Paris, 1871...). Avant L’abattage rituel, la comédienne Chloé Dabert avait déjà mis en scène, il y a quelques mois, une autre pièce de Dennis Kelly, Orphelins, où moralité et responsabilité étaient également mises à l’épreuve par les situations. Elle y retrouve comme dans les précédents, une réflexion sur nos sociétés modernes et sur la place que peut y trouver l’individu, ce qui le détermine, ce qui le pousse à faire un choix plutôt qu’un autre, ce qui fait de lui un lâche, un homme irréprochable, une victime ou un tyran. Pour Maïa Sandoz, qui propose parallèlement une autre adaptation de L’abattage rituel de Gorge Mastromas, d’après la même traduction : Dennis Kelly nous rappelle que nos choix ne sont bons ou mauvais qu’au regard de l’Histoire ; il nous livre, avec sa toute dernière pièce, une mythologie monstrueuse d’une formidable modernité. Il s’agit d’une pièce clairement à charge contre l’ultra-libéralisme, qui tue méthodiquement l’humanité en chacun d’entre nous.

 

L’abattage rituel de Gorge Mastromas, de Dennis Kelly
Mise en scène de Chloé Dabert. Interprétation : Bénédicte Cerutti, Gwenaëlle David, Marie-Armelle Deguy, Olivier Dupuy, Sébastien Eveno, Julien Honoré, Arthur Verret. Durée : 2h.
— Angers (49) : jusqu’au 25 mars, Le Quai, Centre dramatique Angers-Pays de la Loire (du lundi au mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h30, dimanche : relâche).
— Saint-Ouen (93) : 28 mars, à 20h, Espace 1789.
— Rennes (35) : 31 mars à 20h, La Paillette.
— Paris (75) : du 19 avril au 14 mai, Théâtre du Rond-Point, à 21h (dimanche à 15h30). Relâche les lundis, les 21, 22 et 23 avril.
— Saint Brieuc (22) : 16 et 17 mai à 20h30, La Passerelle (scène nationale).
Mise en scène de Maïa Sandoz. Interprétation : Serge Biavan, Maxime Coggio, Christophe Danvin, Adèle Haenel, Paul Moulin, Gilles Nicolas et Aurélie Vérillon. Durée : 1h55.
— Rungis (94) : 19 avril, Théâtre de Rungis.
— Ivry-sur-Seine (94) : du 24 avril au 5 mai, Manufacture des Œillets/Le Lanterneau, Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante

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