Article paru dans FO Magazine n°53 de mai 1971 |
La cause originelle du soulèvement ouvrier était non seulement la grande misère, conséquence du siège de la capitale, mais une réaction instinctive contre la capitulation et la défaite, qui avaient exaspéré les masses populaires, considérant la Commune comme leur salut et le triomphe de la justice sociale.
Le conseil général de la Commune se composait des militants jacobins, blanquistes, proudhoniens et internationalistes. Ces derniers, alors qu’ils étaient en minorité, firent accepter par la majorité un programme économique et social précis qui correspondait aux besoins immédiats et à la volonté d’émancipation de la classe ouvrière. C’est, en effet, aux délégués de l’Internationale, notamment Varlin, Frankel, Vaillant, Theisz et Malon, que revient le mérite d’avoir poursuivi, jusqu’à la Semaine sanglante, une action concertée avec les Chambres syndicales.
C’est grâce à l’influence idéologique de l’Internationale que les organisations ouvrières et les sociétés coopératives jouèrent un rôle actif dans la vie sociale et économique de la Commune. Pour la première fois, Varlin et Frankel, tous deux imbus des idées syndicales, réalisent les revendications ouvrières, pour lesquelles ils avaient lutté sous le Second Empire et font des innovations révolutionnaires dans le domaine du travail et de la production.
Le premier acte de Léon Frankel, chargé du ministère du Travail et du Commerce, fut de faire une enquête sur la situation économique des travailleurs. Pour lutter contre le chômage, il fit ouvrir, dans les mairies des vingt arrondissements de Paris, des bureaux d’embauche. Aussitôt après, il prescrivit par un décret que les ateliers abandonnés par les patrons soient dirigés par les coopératives ouvrières et que les propriétaires anciens soient indemnisés. Un autre décret, interdisant les amendes et les retenues sur les appointements dans les administrations publiques et privées, restitue celles qui avaient été perçues depuis le 18 mars. Frankel promulgue encore deux décrets particulièrement importants : l’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries et la liquidation du Mont-de-piété qu’il propose de remplacer par une organisation sociale qui donnerait aux travailleurs des garanties réelles de secours et d’appui en cas de chômage et de maladie
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Le ministre ouvrier met en application son programme syndical qui fixe le salaire minimum et la durée du travail des employés des Ateliers du Louvre. Frankel propose la journée de 8 heures, mais la majorité de la Commune adopte la journée de 10 heures. Et, enfin, un autre décret fixe le maximum des traitements à 6 000 F. par an.
Dans les adjudications, Frankel favorise surtout les organisations ouvrières avec lesquelles il a collaboré pendant toute la durée de la Commune. Il stimule, avec Varlin, l’activité coopérative et encourage la réorganisation des corps de métiers. Déjà 34 chambres syndicales, 43 associations de production et 7 coopératives d’alimentation fonctionnent.
Telle était l’action primitive, mais provisoire de Léon Frankel, un des premiers législateurs des revendications et des droits ouvriers. Malheureusement, tous les résultats et les avantages acquis furent perdus après l’écrasement sanglant de la Commune.
La classe ouvrière sous la réaction
La défaite tragique de la Commune de Paris se fit sentir aussitôt dans toutes les formes et dans toutes les manifestations de la vie syndicale en France. Le triomphe de la bourgeoisie sur la classe laborieuse signifiait la dislocation du mouvement corporatif. Il fallut à M. Thiers cent onze mille victimes pour rétablir « l’ordre ».
Les animateurs les plus représentatifs des Chambres syndicales et des Fédérations ouvrières furent, pour la plupart, fusillés ou déportés ou emprisonnés ou contraints de s’exiler. Parmi aux, le précurseur du syndicalisme moderne, Eugène Varlin, fut ignominieusement massacré par la populace, au paroxysme de la haine et de la méchanceté, après avoir eu les yeux crevés. Sa mort dramatique fut une perte immense pour l’ensemble du monde ouvrier et longtemps ressentie dans la lutte syndicale.
La répression continua pendant des années. L’institution de la terreur et de l’état de siège, la surveillance policière rendaient temporairement impossible la réorganisation et l’unification des fédérations syndicales. L’association Internationale des Travailleurs, réduite au silence, ne se releva plus jamais du coup mortel que la réaction bourgeoise lui avait porté. Du reste, l’Assemblée de Versailles avait voté une loi, interdisant toute association internationale qui, sous quelque dénomination que ce soit et notamment sous celle de l’Association internationale des Travailleurs, aura pour but de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la religion, du libre exercice des cultes, constituera par le seul fait de son existence et ses ramifications sur le territoire français, un attentat contre la paix publique
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L’affaiblissement du mouvement se répercuta gravement sur tous les secteurs de la vie économique. A cet égard, Ferdinand Pelloutier notait dans son Histoire des Bourses du Travail : Les ouvrages relatifs aux expositions de Lyon (1872), de Vienne (1873) et de Philadelphie (1876), signalaient le dommage que causa à l’industrie française l’expatriation des insurgés du 18 mars 1871
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Pourtant et malgré tout, les travailleurs esquissèrent des actions de grève pour réagir contre la méthode de l’exploitation et de l’oppression du patronat. Le gouvernement sévit alors impitoyablement contre les Chambres syndicales et contre les « meneurs ». C’est ainsi, à l’occasion de la grève des mineurs dans le Pas-de-Calais, en juillet 1872, que Thiers donna l’ordre au préfet de réduire les grévistes par a force et par la justice
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La politique répressive de Thiers ne permettait même pas la constitution d’une société mutuelle. En 1871, les mécaniciens et les chauffeurs décidèrent de fonder une Union fraternelle, mais immédiatement une instruction judiciaire fut ouverte. De même, en 1872, le Cercle de l’Union Ouvrière de Paris, auquel adhéraient quinze chambres syndicales, fut dissous par la police.
Non seulement les groupements professionnels, mais les ouvriers individuellement furent inquiétés et exposés pendant plus de quatre ans aux persécutions et aux vexations du gouvernement.
La classe ouvrière, condamnée à l’inaction, dut supporter sans révolte et sans résistance, la misère, les abus et l’absence de la liberté de pensée et d’action et d’attendre le recommencement des grandes batailles sociales que ni les exactions, ni la force brutale, ni les condamnations ne purent arrêter aux cours des années futures.