L’emploi aux Etats-Unis : le dessous des chiffres

International par Evelyne Salamero

Tout irait-il bien dans le meilleur des mondes ? Le taux de chômage officiel a été divisé par deux en cinq ans aux États-Unis, repassant en deçà des 5% en 2016, au point que la Banque centrale américaine (FED) commence à parler de retour au plein emploi…

Le rapport mensuel du Bureau of Labor Statistic (Bureau des statistiques du travail) fait état de 227 000 créations d’emplois non agricoles en janvier alors que les analystes misaient sur 170 000 embauches. Le taux de chômage est très légèrement remonté de 4,7% à 4,8% (soit 7,6 millions de chômeurs, tout de même), mais cela reflète une augmentation du nombre d’entrants sur le marché du travail et non du nombre de chômeurs.

La confédération syndicale AFL-CIO souligne que, contrairement à ce que s’est empressé de clamer Donald Trump, ces derniers chiffres ne sont pas le résultat de son arrivée, mais celui de la politique de l’administration Obama.

Au-delà de ce constat, d’autres chiffres relativisent fortement la vigueur de la reprise américaine.

Le taux de chômage est deux fois plus important

Le taux de chômage double quasiment, à 9,4% si l’on tient compte du nombre de personnes découragées de chercher un emploi après des années d’errance sur le marché du travail sans succès (532 000 de source officielle), ainsi que des personnes -contraintes- de travailler à temps partiel, et souvent très partiel, parce qu’elles n’ont rien trouvé d’autre (5,8 millions de source officielle).

Si le Bureau des statistiques indique ces chiffres dans son rapport, il ne les convertit pas en pourcentage et au final le taux de chômage officiel retenu et mis en avant par les autorités est celui qui ne les inclut pas. On peut noter au passage que durant sa campagne, Donald Trump n’a eu de cesse de critiquer cette méthode qui lui rend bien service aujourd’hui.

Certaines sources indépendantes chiffrent ce qu’elles appellent le taux de chômage « réel » à 13%.

Catherine Sauviat, chercheuse à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales), expliquait aussi en décembre dernier que la part des travailleurs en marge du salariat classique - indépendants, intérimaires, travailleurs sur appel, ou en sous-traitance - s’est beaucoup accrue depuis 10 ans. Certains, indique la chercheuse, l’évaluent aujourd’hui à près de 16 % de l’emploi total, contre 10 % il y a dix ans, et lui attribuent l’essentiel des créations nettes d’emploi durant cette période. Or, soulignait-elle, le recours étendu à ces formes non standard d’emploi concerne surtout des personnes d’âge médian ou des seniors, dont les emplois sont peu rémunérateurs et souvent dépourvus de couverture sociale. Une étude récente du McKinsey Global Institute estime la catégorie des travailleurs indépendants entre 54 et 68 millions de personnes, soit entre 22 et 27 % de la population d’âge actif.

L’emploi industriel loin de son niveau de 2006

D’autres données, si elles figurent dans le rapport officiel, n’en sont pas moins peu mises en lumière, alors qu’elles se révèlent pourtant particulièrement significatives. Le chômage de longue durée concerne ainsi toujours près d’un quart des chômeurs. Le taux de chômage officiel est nettement supérieur pour les jeunes (15%), la population hispanique (5,9%) et surtout noire (7,7%).

Si le secteur des services reste moteur avec 192 000 nouvelles embauches à lui seul, les emplois du secteur public ont en revanche diminué pour le quatrième mois d’affilée. Quant au secteur manufacturier sorti du rouge en décembre, il est certes resté positif, mais n’a créé que 5 000 emplois. Et si l’industrie américaine a connu une reprise après la crise de 2008, avec 900 000 emplois créés entre 2010 et 2015, il n’en manque pas moins encore près de deux millions pour retrouver le niveau de 2006, puisque, de source officielle, l’on compte 12,4 millions d’emplois industriels en 2016 contre 14,3 millions il y a dix ans.

Les salaires toujours en berne

De plus, le rapport mensuel du Bureau des statistiques du travail fait ressortir la faible augmentation des salaires : le coût moyen du salaire horaire n’a augmenté que de 0,1% sur un mois et la hausse de décembre a été revue à la baisse (0,2% au lieu de 0,4%). Ces chiffres ne sont pas de bon augure dans un contexte où le revenu médian aux États-Unis reste inférieur de 1,6% à ce qu’il était en 2007.

Autant d’éléments qui nous rappellent que 20% des adultes aux États-Unis vivent aujourd’hui près ou au-dessous du seuil de pauvreté.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante