La centrale de Clairvaux, un symbole pénitentiaire en sursis

Prison par Clarisse Josselin

© Photo : C. Josselin

Mi-avril, le ministre de la Justice annonçait la fermeture subite de la prison de Clairvaux, avant de reporter sa décision à fin juin. Construite dans l’enceinte de l’abbaye du même nom, elle accueille des détenus depuis 1814. Lieu de mémoire, c’est aussi l’un des établissements les plus sûrs de France.

Ce sont les panneaux touristiques de l’abbaye de Clairvaux qui mènent le visiteur jusqu’à l’une des plus célèbres prisons de France, nichée au cœur des collines, à Ville-sous-la-Ferté (Aube). Avant de se retrouver face à l’imposante entrée, rien ne laisse présager la proximité de l’une des maisons centrales les plus sécuritaires de France.

Les deux lieux d’enfermement, religieux et judiciaire, sont intimement liés. Fondée par des moines cisterciens au XIIe siècle, l’abbaye de Clairvaux devient un bien national en 1789. Elle est cédée en 1792 à des industriels qui y installent leurs ateliers, mais l’entretien est trop coûteux. L’État la rachète en 1808 pour en faire un dépôt de mendicité et l’une des premières maisons centrales.

Les premiers condamnés arrivent en 1814. Clairvaux accueillera jusqu’à 3 000 détenus au milieu du XIXe siècle. Dans cette prison-manufacture, le travail est obligatoire et régi par des entreprises privées. En échange de la force des détenus, les entrepreneurs doivent subvenir à leurs besoins. Les conditions de vie y sont déplorables. Victor Hugo les évoque dans son récit Claude Gueux, paru en 1834. L’administration pénitentiaire reprend la gestion de l’établissement en 1847, après la découverte de la mort de 700 détenus en trente mois. En raison de la vétusté des lieux, une nouvelle maison centrale est construite en 1971 sur les fondations de l’abbatiale.

Des détenus historiques

Au fil du temps, Clairvaux a vu passer des figures historiques : Auguste Blanqui, Guy Môquet, Charles Maurras... Adaptée aux détenus les plus dangereux, la plupart condamnés à de très longues peines, elle a hébergé le terroriste Carlos ou le tueur de l’Est parisien Guy Georges. Elle a aussi connu des épisodes sanglants. Chez les surveillants, la mémoire des collègues disparus est encore vive, comme après l’évasion de 1992 avec prise d’otages, qui avait fait deux morts, un détenu et un gardien.

Et pourtant, ce qui frappe aujourd’hui en parcourant les couloirs, c’est le calme, la luminosité, et une impression de sérénité. Certes, des travaux d’entretien sont nécessaires, mais on est loin de la vétusté mise en avant par le ministre de la Justice pour justifier la fermeture. Avec 128 détenus pour 198 places fin mai, Clairvaux n’est pas surpeuplée. Les deux cents surveillants, dont certains travaillent de père en fils, ont un savoir-faire reconnu. Les incidents y sont plus rares que dans les établissements plus récents. Le 1er juin, le personnel a encore manifesté à l’appel de FO, très largement majoritaire, pour s’opposer à la fermeture de la centrale.

© Photo : C. Josselin

Zoom : L’enfermement, une peine née en 1791
S’il conserve la peine de mort et les travaux forcés, le premier code pénal français, adopté en 1791, place la privation de liberté au centre du dispositif judiciaire. L’enfermement était jusqu’alors essentiellement préventif, pour les personnes en attente de jugement.
La prison devient un lieu de punition, mais aussi d’amendement du condamné par le travail et l’éducation. Deux types d’établissements sont créés : les maisons d’arrêt pour les courtes peines et les prévenus, et les maisons centrales pour les longues peines.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante