La chute du mur, espoir et désillusions

1989 par Christophe Chiclet

La porte de Brandebourg le 1er décembre 1989. La porte est déjà librement accessible du côté Est, l’ouverture officielle du passage vers l’Ouest le 22 décembre 1989 est encore à venir.. SSGT F. Lee Corkran [Public domain]

Le limes soviétique construit le 13 août 1961 à Berlin Est a été bâti sur des sables mouvants. Il s’agissait d’un cautère sur une jambe de bois. Quand et comment pouvait-il tomber et avec quels résultats ?

Staline qui a théorisé le communisme dans un seul pays, comprend en 1945, grâce à la victoire des Alliés contre l’Allemagne nazie et l’occupation de l’Europe orientale par l’armée rouge, qu’il peut désormais agrandir son empire et fonder le communisme dans un seul bloc. D’où la création entre 1945 et 1948 des « Démocraties populaires » appelées en occident « Bloc de l’Est ». Pour Moscou il s’agit aussi de consolider un glacis militaire face aux États-Unis qui viennent de créer l’OTAN.

Churchill a été le premier à comprendre la nouvelle donne géopolitique. Le 5 mars 1946, dans l’enceinte de l’université américaine de Fulton, il annonce la naissance d’un rideau de fer qui vient de tomber de la Baltique à l’Adriatique. Mais pour Staline et ses successeurs, museler l’Europe centrale et orientale sera tâche compliquée, difficile voire impossible tant l’histoire est complexe et les antagonismes nombreux au niveau ethnique, religieux et politique.

Malgré une répression soviétique implacable, le Bloc de l’Est est construit sur des fondations instables. Dès juin 1948, la Yougoslavie de Tito rompt avec pertes et fracas. En 1953, les ouvriers se révoltent à Berlin Est. Nouvelles émeutes en RDA, en Pologne, en 1956, débouchant sur la révolte hongroise écrasée dans le sang. En 1961, la petite Albanie choisit le camp chinois. En 1968 c’est le printemps de Prague qui passe sous les chenilles des T55 du pacte de Varsovie et le maître de Bucarest n’obéit plus aux directives de la politique internationale de Moscou. Pour boucher les fissures Krouchtchev avait construit l’hermétique mur de Berlin le 13 août 1961, symbole de la séparation du monde en deux blocs antagonistes.

LE GRAIN DE SABLE POLONAIS

Depuis le XVIIIe siècle les Polonais catholiques détestent les Russes orthodoxes et les Prussiens protestants. Les trois partages de la Pologne n’ont rien arrangé. Depuis 1953 les ouvriers polonais résistent et réussissent à créer le premier syndicat libre puissant dans le Bloc de l’Est. Solidarnosc voit le jour le 31 août 1980. Ses premières victoires seront le champ du cygne des « Démocraties populaires ». La direction du PC polonais n’est plus capable de rétablir l’ordre et c’est l’armée avec le général Jaruzelski qui fait un coup d’État le 14 décembre 1981, comme dans une vulgaire république bananière d’Amérique centrale.

Au Kremlin, des vieillards cacochymes se succèdent jusqu’à l’arrivée en 1985 de Gorbatchev avec sa pérestroïka et sa glasnost. Dans les Démocraties populaires, les dissidents politiques et les syndicalistes libres vont s’engouffrer dans la brèche. Durant l’été 1989, les Allemands de l’Est manifestent chaque semaine et partent en masse « en vacances » en Hongrie. Les autorités réformistes hongroises vont ouvrir leur frontière et tout ce petit monde va se retrouver en Autriche et en RFA. Le mur n’en a plus que pour quelques semaines, d’autant que Gorbatchev se méfie de la direction Est-allemande et de sa puissante Stasi, ennemies jurées de la perestroïka. Les Soviétiques laissent la RDA se dépatouiller seule. Le 9 novembre 1989 en début de soirée, les autorités de Berlin-Est autorisent leurs citoyens à passer librement à Berlin Ouest. De ce côté-ci du mur des milliers de manifestants viennent avec des pioches et des marteaux et commencent à démolir le « mur de la honte ». En RDA, Hongrie et Tchécoslovaquie l’Empire craquait de partout. Mais pour les spécialistes de la soviétologie, le coup de grâce arrive le lendemain vers 11 heures du matin quand le Bulgare Todor Jivkov, fidèle parmi les fidèles depuis 1956, est destitué lors d’une révolution de palais orchestrée par son ministre des affaires étrangères et l’ambassadeur soviétique à Sofia. Pour se sauver l’Union soviétique a choisi d’abandonner son glacis européen. Mais trop tard car dès 1988 de puissantes manifestations indépendantistes avaient secoué les Pays baltes et l’Arménie, très violemment réprimées. Deux ans après la chute du mur, l’URSS disparaissait. Dans les ruines de l’Europe de l’Est la transition vers un capitalisme sauvage va se faire par l’intermédiaire des mafias dont la plupart des chefs sont issus des services de renseignements de leurs pays respectifs. Corruption, misère, chômage, la fête aura été courte.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante