Un défi majeur pour l’Afrique
Près de l’ensemble du continent africain est désormais touché par le COVID-19. La Commission économique pour l’Afrique des Nations-Unies prévoit d’ores et déjà une chute de la croissance de 3,2 % à 1,8 % du PIB en 2020 pour le continent africain. En cas de propagation incontrôlée du virus, la situation économique pourrait virer rapidement à la récession.
Les modalités dérégulées de la mondialisation font peser davantage de risques sur les conditions de vie et de travail. Près de l’ensemble des pays africains sont dépendants de l’importation de matériel médical et pharmaceutique et seulement 15 pays sur 54 sont des exportateurs nets de produits alimentaires. Le modèle de libre-échange - aux garanties très insuffisantes sur les normes sociales, environnementales et réglementaires - a également progressé en Afrique avec l’entrée en vigueur le 1er avril 2020 de l’accord instaurant la zone de libre-échange continentale africaine – intensifiant les pressions sur les travailleurs dans la recherche à la compétitivité.
En parallèle, la grande majorité des pays africains font face à des risques majeurs en l’absence d’infrastructures publiques – notamment de santé – solides. Les Nations-Unies alertent notamment – dans un rapport du 19 mars 2020 intitulé “Responsabilité partagée, solidarité mondiale : répondre aux impacts socio-économiques du COVID-19" - sur l’absence de couverture de santé pour 50% de la population rurale mondiale et 20% de la population urbaine mondiale face à des dépenses publiques de santé seulement à hauteur de 2% du PIB en moyenne. Le manque d’accès à l’eau pour 2,2 milliards d’individus et le manque d’accès à des infrastructures sanitaires de base pour 4,2 milliards d’individus à travers le monde – touchant notamment l’Afrique - limiteront ainsi la capacité de lutter contre la propagation du virus, les gestes barrières étant pour beaucoup impossibles. Inégalités sociales et logements insalubres et surpeuplés limitent par ailleurs les effets des mesures de confinement.
Les Nations-Unies insistent aussi sur l’impact de la fermeture des écoles – mais également de leurs cantines - sur la malnutrition des plus jeunes enfants – qui ajoutent aux risques d’hyperinflation sur les produits alimentaires.
L’ampleur du travail informel – qui n’offre aucune couverture sociale et fait perdre des ressources importantes pour les services publics de santé – affaiblit également la réponse au COVID-19. La protection de la santé et sécurité est alors quasi-inexistante rendant ineffectives les mesures de confinement pour des travailleurs dépendant d’une rémunération au jour le jour. Les femmes sont particulièrement vulnérables en raison de leur part importante à la fois dans le secteur de la santé - environ 70% au niveau mondial selon l’ONU - et dans le travail informel.
Face aux nombreuses pressions sur la dette publique des États africains, les gouvernements ont demandé le 31 mars dernier un allègement de leurs dettes – voire l’annulation pour les pays les plus fragiles - auprès de la communauté internationale pour financer une relance économique à hauteur de 100 milliards de dollars en 2020 pour 54 pays – une goutte d’eau par rapport aux 1 000 milliards déjà mis en œuvre au sein de l’UE et plus de 2 200 milliards aux États-Unis. Cette demande - validée par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale – doit encore être approuvée par les autres États au niveau international.
Le gouvernement français a annoncé une aide de 1,2 milliard d’euros pour la lutte contre la propagation du Covid-19 en « réorientant une partie de l’aide publique au développement ».
Quelle politique européenne de solidarité face à la crise ?
Selon le rapport de l’OIT du 16 mars 2020, les travailleurs migrants sont parmi les plus vulnérables face à la crise du COVID-19. La question migratoire au niveau de l’UE est bloquée depuis de nombreuses années avec l’impossible consensus sur la réforme du système de Dublin. Alors qu’un nouveau Pacte migratoire doit être présenté par la Commission européenne dans les prochaines semaines pour débloquer la situation, de nombreuses alertes sur la protection des droits fondamentaux des migrants arrivant en Europe émergent - notamment en Grèce - suite à la rupture de l’accord migratoire UE-Turquie en février dernier.
L’insalubrité des centres d’accueil de migrants en Grèce - avec un accès limité à l’eau et à des infrastructures sanitaires de base - dénoncée par les Nations-Unies et le Conseil de l’Europe - fait également peser davantage de risques pour la protection de la santé des travailleurs migrants face à la propagation du virus. En l’absence d’assistance et de solidarité européenne, ce serait alors une véritable crise humanitaire. La confédération européenne des syndicats (CES) a adressé un courrier aux dirigeants européens pour les alerter sur cette situation.
En parallèle, la Commission européenne a publié des lignes directrices pour la circulation des travailleurs au sein de l’UE, malgré les limites posées pour limiter la propagation du COVID-19, qui font l’impasse, comme souligné par la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme (EFFAT), sur la protection de la santé et sécurité des travailleurs migrants – mais également des réfugiés - sollicités dans le secteur agricole notamment (voir communiqué FO du 31 mars 2020 et communiqués de la FGTA-FO).
Concernant la politique extérieure de l’UE, aucun soutien au continent africain n’a encore été entériné par le Conseil européen alors que l’UE représente le premier partenaire commercial de l’Afrique. La nouvelle stratégie UE-Afrique présentée le 6 avril dernier fait l’impasse sur le COVID-19 et se limite essentiellement à la promotion du libre-échange et au développement de l’environnement des entreprises et des affaires avec peu de garanties pour la protection des droits fondamentaux des travailleurs et des normes sociales, environnementales et réglementaires.
Enfin, l’UE a décidé le 31 mars dernier de renforcer son fonds régional en réponse à la crise syrienne à hauteur de 240 millions d’€ face au risque de crise humanitaire dans la région. Cette assistance vise notamment à renforcer les services publics de santé et d’éducation des pays voisins de la Syrie, à savoir le Liban, la Jordanie ou encore l’Irak pour soutenir les réfugiés syriens.
Une réponse internationale insuffisante
Les Nations-Unies exhortent la communauté internationale à un arrêt général de l’activité pour éviter une aggravation ou l’apparition de crises humanitaires à travers le monde face au COVID-19. Le lancement d’un plan de réponse humanitaire coordonné par les Nations-Unies début avril à hauteur de 2 milliards de dollars est clairement insuffisant tandis que la Commission économique pour l’Afrique des Nations-Unies estime le besoin de financement pour le secteur public de la santé pour l’Afrique à 10,6 milliards de dollars. Le 8 avril, la Commission européenne a annoncé que l’UE allait garantir plus de 15 milliards d’euros pour aider les pays les plus vulnérables en Afrique et dans le reste du monde.
Malgré la prise de conscience du G20 de l’ampleur de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales, aucune avancée concrète n’a été entérinée lors de la réunion du 6 mars dernier. Pour FO, le renvoi partagé de la question de l’emploi à l’OIT et à l’OCDE par le G20 ne doit pas conduire à un affaiblissement du rôle de chef de file de la régulation sociale au niveau mondial de l’OIT.
Les sanctions économiques et commerciales contre certains États – celles pesant sur l’échange et l’envoi de matériel médical d’urgence - augmentent également les risques de crise humanitaire et sont contraires au principe de solidarité internationale.
Cas de violations des droits fondamentaux
Des cas de violation des droits fondamentaux, répertoriés et dénoncés par la Confédération européenne des syndicats (CES) et par la Confédération syndicale internationale (CSI), surgissent à travers le monde face au COVID-19. Le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme des Nations-Unies a alerté le 2 avril dernier sur les dérives concernant les travailleurs migrants en Inde suite au confinement de la majeure partie de la population. De nombreux travailleurs migrants en Inde ont alors été renvoyés de leur emploi – majoritairement dans l’économie informelle – et expulsés de leur logement sans aucune couverture sociale et sans moyens pour retourner chez eux, conduisant à la mort de certains sur les routes. La fermeture des
transports publics et l’absence de logement font alors émerger des risques majeurs pour ces travailleurs abandonnés. Face à la gravité de la situation, la Cour suprême de l’Inde a rappelé les autorités à l’ordre en demandant de traiter les travailleurs migrants avec dignité avec la fourniture de nourriture, de lits et d’eau ainsi qu’un soutien psychologique face à la crise.
Des inquiétudes similaires surgissent ailleurs en Asie en raison notamment de l’insalubrité des dortoirs pour travailleurs migrants à Singapour mais également en Chine dans les camps de travail des ouïghours. Face à ces nombreuses alertes, FO en appelle à la solidarité internationale et à la mise en œuvre effective des conventions et recommandations de l’Organisation Internationale du Travail – et notamment de ses conventions fondamentales – pour que les droits fondamentaux et la santé des travailleurs soient garantis à travers le monde.