La disparition inquiétante de l’État dans les entreprises publiques

Privatisation par Nadia Djabali

Photo : Gilles ROLLE/REA

Aéroports de Paris, Orange, Française des jeux, Renault, EDF, Engie, chacun y va de son pronostic depuis que Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, a annoncé d’importantes cessions d’actifs de l’État. Objectif : financer l’innovation à hauteur de 10 milliards d’euros. Quelles entreprises sont concernées ? Rien d’officiel n’a pour le moment été communiqué.

Un rapport sur l’État actionnaire publié en janvier 2017 par la Cour des comptes peut toutefois offrir quelques pistes. Les magistrats de la rue Cambon y ont déroulé une option permettant à la puissance publique de récupérer une dizaine de milliards d’euros. Plusieurs entreprises sont citées dans ce document : le groupe Aéroports de Paris (ADP), Engie, Orange, Renault, le groupe PSA et CNP assurances. Le document évoque en outre, sans les nommer, d’autres participations détenues par la Banque publique d’investissement (BPI France).

S’agissant d’ADP, détenu à 50,6 % par l’État, la Cour propose que ce dernier conserve qu’une minorité de blocage, soit un tiers des voix plus une. Minorité de blocage également pour la CNP dont 40,9 % des actions sont détenues par la Caisse des dépôts et consignations. La CNP a toutefois passé un pacte avec ses actionnaires lui assurant un actionnariat stable jusqu’à fin décembre 2019.

Quant à Engie, les magistrats remarquent qu’« il ne paraît pas indispensable, compte tenu des dispositions législatives et réglementaires existantes, de maintenir la contrainte portant sur la détention d’au moins un tiers du capital ou des droits de vote dans Engie, cette part pouvant se rapprocher, sans perte d’influence notable, de 20 % ».

122 milliards depuis 30 ans

Ces trente dernières années de grandes vagues de privatisations ont divisé par deux le nombre de sociétés détenues majoritairement par l’État. Entre 1986 et 1988, l’État a vendu pour 15 milliards d’euros de participations. Le montant augmente entre 1992 et 1993, pour atteindre 22 milliards de cessions d’actifs. Entre 1997 et 2002, 31 milliards d’actifs sont cédés. 38 milliards entre 2002 et 2007. 8 milliards entre 2007 et 2012 et 8 milliards depuis 2012. Soient un total de 122 milliards en 30 ans.

Des obligations fixées par la loi

Lorsqu’il veut vendre ses actions, l’État est cependant obligé de tenir compte d’un certain nombre d’éléments importants. Notamment des seuils de détentions minimaux fixés par la loi qui l’oblige à conserver 70 % du capital d’EDF, 50 % de celui d’ADP, le tiers du capital d’Engie (sauf s’il détient le tiers des droits de vote). Pour Areva, le seuil est fixé à 50 % du capital qui doit être détenu conjointement avec le CEA et les autres actionnaires publics. Le capital de La Poste ne peut être détenu que par l’État, actionnaire majoritaire, et par d’autres personnes morales de droit public. Celui de RTE et celui de GRTgaz ne peuvent être détenu que par, respectivement, EDF et Engie, ou un autre actionnaire public. CNP Assurances doit obligatoirement appartenir au secteur public.

Cinq à six mois par an

Deuxième élément important à prendre en compte : l’Agence des participations de l’État disposant d’informations privilégiées, elle ne peut effectuer d’opérations sur le capital des treize entreprises cotées en bourse dans les trente jours précédant la publication des comptes annuels, semestriels, voire trimestriels. Concrètement, l’État dispose d’une fenêtre de tir ouverte que cinq à six mois par an s’il veut vendre des actions de ces entreprises.

100 milliards d’euros de participation

Le portefeuille de l’État comprend aujourd’hui un peu plus de 1800 participations dans 81 entreprises pour une valeur de 100 milliards d’euros. Le chiffre d’affaire cumulé de ces entreprises s’élève à 538,6 milliards d’euros.

Ces avoirs sont répartis entre plusieurs entités publiques. Les trois principales sont l’Agence de participations de l’État, La Caisse des dépôts et consignations et Bpi France. D’autres acteurs publics détiennent également des actifs : le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternative (CEA), le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Institut français du pétrole (IFPEN).

Des secteurs très variés

On peut trouver des participations publiques dans le secteur des transports (SNCF, Air France, Transdev, etc.), dans l’énergie et les matières premières (EDF, Engie, Areva, etc.), les services et la finance (Groupe La Poste, Dexia, Française des jeux, etc.), la défense et l’aéronautique (Safran, Thales, Airbus, Arianespace, etc.), l’industrie et les télécoms (Renault, PSA, Orange, Eutelsat, etc.) et l’audiovisuel (France télévisions, Radio France, etc.).

En 2015, les dividendes perçus par l’État actionnaire s’élevaient à 3,9 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros en numéraire et 0,9 milliard d’euros en actions. 90 % de ces dividendes proviennent de huit entreprises : EDF (2 milliards d’euros dont 0,9 milliard versés sous forme de titres), et Engie (pour 800 millions d’euros), Orange (200 millions d’euros), ADP (157 millions d’euros), La Poste (126 millions d’euros), Renault (111 millions d’euros), Safran (87 millions d’euros) et la SNCF (63 millions d’euros).

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante