Le 19 décembre 1947, Léon Jouhaux et ses amis démissionnent du bureau confédéral de la CGT. Cette fracture dans l’organisation n’est pas une rupture avec la tradition syndicale française. Au contraire, elle s’inscrit dans l’historique volonté d’indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques et à l’État.
Les courants blanquistes, guesdistes, puis socialistes et communistes auraient bien aimé faire des syndicats leurs courroies de transmission au sein du monde du travail. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, toutes ces tentatives ont échoué. Mais le PCF allait utiliser l’essence même de cette guerre pour faire main basse sur la CGT.
Au niveau syndical, les confédérés acceptent de passer les accords verbaux du Perreux avec les ex-unitaires en avril 1943. La lutte contre l’occupant passe par l’unité syndicale. Mais les communistes ont des arrière-pensées : noyauter les organisations syndicales pour être en position de force à la libération, comme le souhaite Staline, qui veut maintenir et agrandir son empire. Les confédérés ne sont pas des naïfs. Dès 1943, ils lancent clandestinement le journal Résistance Ouvrière, qui reparaît légalement le 29 novembre 1944.
Le parti communiste stalinise la CGT
À la Libération, Staline transforme sa théorie du socialisme dans un seul pays en celle du socialisme dans un seul bloc. En France, le PCF entre au gouvernement, se lance dans la bataille de la production
et combat toute revendication ouvrière, déclarant même : la grève, c’est l’arme des trusts. Les anciens confédérés ne s’en laissent pas compter. Le 20 décembre 1945, ils transforment l’hebdomadaire Résistance Ouvrière, dirigé par Albert Boudu, en Force Ouvrière.
En septembre 1946, alors que les communistes contrôlent près de 80 % de la CGT, Bothereau, Bouzanquet, Neumeyer, Delamare, Capocci, et Sidro fondent des groupes, « Les Amis de FO », qui, dans un premier temps, distribuent le journal et donnent des conférences. Assez rapidement, une véritable structure se met en place avec un groupe central FO dont les responsables sont investis de fonctions au sein de la confédération et dans les fédérations. Enfin, des cartes « Les Amis de FO » sont délivrées et des cotisations perçues.
C’est l’offensive du Kremlin en 1947 et les débuts de la guerre froide qui vont précipiter le départ de ceux qui veulent l’indépendance syndicale et non une CGT stalinisée. À l’Est, il n’y a plus que la Tchécoslovaquie qui résiste encore. Les Américains ripostent en lançant la doctrine Truman en mars 1947. Le 8 mai, les ministres communistes sont chassés du gouvernement. Le 5 juin, Washington lance le plan Marshall. Trois semaines plus tard, Staline refuse ce plan. Le PC et la partie de la CGT qu’il contrôle lui emboîtent le pas sans états d’âme. Par ailleurs, le PCF lance la CGT dans une série de grèves, dans le but réel d’imposer son retour au gouvernement et de faire prendre une orientation pro-soviétique à la diplomatie française. Ces grèves politiques seront un échec.
Nous continuons la CGT
Les militants qui s’étaient violemment opposés aux communistes dans les entreprises commencent à quitter la confédération et à créer des syndicats autonomes.
Avec tous ces départs, le groupe Force Ouvrière ne se sent pas assez fort pour réussir une contre-offensive interne. Il faut donc partir. Le journal Force Ouvrière daté du 25 décembre 1947 raconte ce départ : Les membres minoritaires de la Confédération Générale du Travail, groupés sous l’égide de Force Ouvrière, ont, au cours d’une conférence nationale réunie à Paris les 18 et 19 décembre 1947, décidé de demander aux camarades Léon Jouhaux, Robert Bothereau, Albert Bouzanquet, Pierre Neumeyer, Georges Delamarre de démissionner du Bureau confédéral. Ils ont remis leur démission vendredi après-midi au deuxième secrétaire général de la CGT, Benoît Frachon.
Robert Bothereau explique la philosophie de ce départ : Nous n’avons pas accepté le rôle d’otages que l’on voulait nous assigner. La CGT continue, ont dit ceux qui se sont installés à son siège. Nous qui avons dû en partir, nous disons : nous continuons la CGT.
Les communistes étant restés maîtres de l’immeuble de la rue Lafayette, de la trésorerie, de l’appareil administratif et des archives, c’est à partir de rien que Jouhaux et Bothereau ont dû reconstruire l’héritière de la CGT de la Charte d’Amiens. Les 12 et 13 avril 1948 se tenait le congrès constitutif de la CGT-FO... Qui célébrera en 2023 ses 75 ans.