La France est le premier producteur de logements sociaux de l’UE

Logement par Nadia Djabali

Les mesures envisagées par le gouvernement français pour les locataires et les bailleurs de logements sociaux s’inscrivent dans un vaste mouvement européen de libéralisation du secteur. Une libéralisation qui contrecarre nulle part l’augmentation des prix du logement et celles des demandes de logements sociaux.

Baisse des aides au logement, suppression de l’APL « accession » pour les nouveaux accédants, suppression du prêt à taux zéro pour la construction dans 93 % des communes, réductions fiscales du dispositif Pinel plus ciblés sur les zones de forte demande immobilière, réduction des normes et limitation des recours contre les permis de construire, baisse de la fiscalité sur les ventes de terrain, la stratégie logement du gouvernement donne le tournis. Composé de 35 mesures, ce plan suscite déjà les inquiétudes d’un large pan de la société française : locataires de HLM, bailleurs sociaux, associations de consommateurs, associations caritatives et de riverains, mais également celles œuvrant dans la protection de l’environnement, sans oublier une partie des professionnels de l’immobilier.

Économies budgétaires au détriment du logement social

Parmi les mesures suscitant le plus de remous, la baisse des aides au logement pour les locataires du parc social. Après avoir décidé une baisse de 5 € des aides pour tous les allocataires à partir du 1er octobre 2017, le gouvernement envisage une nouvelle baisse des allocations logement en 2018 située entre 50 et 60 € par mois pour les locataires de logements sociaux. Simultanément, le gouvernement imposerait aux bailleurs sociaux une baisse de loyer du même montant. Enfin, pour que les bailleurs s’y retrouvent, le plan prévoit un gel du taux du livret A.

Montant de la facture pour les bailleurs sociaux : 1,7 milliard d’euros par an. Autre mesure prévue pour les locataires du parc social, un réexamen tous les six ans de leur situation familiale et sociale.

Pourquoi ce plan ? Nous dépensons deux points de PIB pour le logement, a indiqué en septembre Emmanuel Macron lors de son interview fleuve à l’hebdomadaire Le Point. Sommes-nous mieux logés qu’ailleurs ? Non, nous avons même 4 millions de mal-logés. Les prix sont particulièrement élevés. Un constat loin d’être partagé par L’Union sociale de l’habitat (USH) qui tenait son congrès du 26 au 28 septembre 2017. Et dont l’une des tables rondes a fait le tour de l’état du logement social en Europe.

Gros dégâts dans toute l’Europe

Le modèle Français est-il inefficace comme l’affirme le gouvernement ? Non, répond en substance Cédric Van Styvendael, président d’Housing Europe, la fédération européenne du logement public, coopératif et social. La France est aujourd’hui le premier producteur de logement social en Europe, a-t-il indiqué Nous avons mis dix ans à sortir de la crise en Europe. Mais en France nous n’avons pas eu besoin d’autant de temps, parce que les bailleurs sociaux sont venus au secours de la promotion privée en rachetant les 30 000 logements dans le stock. À l’époque, l’État a demandé aux bailleurs sociaux de racheter aux promoteurs immobiliers ces dizaines de milliers de logements restés au fond des cartons ou en phase de construction.

La crise a causé de gros dégâts dans les autres pays de l’UE. En Grèce, le logement social a purement et simplement été dissous, rappelle Laurent Ghekière, président de l’Observatoire européen du logement social d’Housing Europe. En Espagne, avec la bulle immobilière, la plupart des organismes HLM ont fait faillite ou ont dû fusionner. En Italie, où le parc social est plus important qu’en Grèce, en Espagne et au Portugal, il ne représente plus que 5% du parc total du logement avec moins d’un million d’habitations.

Logement social contre logement abordable

En Angleterre, le logement social laisse peu à peu la place au « logement abordable », c’est-à-dire à des logements dont les loyers, pas si bon marché que cela, s’élèvent à 80% de ceux du privé. Cette politique a eu un impact très clair, résume Cédric Van Styvendael. 30 000 logements très sociaux produits en 2010 au Royaume-Uni, 960 logements très sociaux en 2016. La libéralisation du marché du logement et les économies sur les réhabilitations énergétiques ont conduit, selon le président de Housing Europe, à l’incendie à Londres de la tour Grenfell qui a couté la vie à 80 personnes en juin 2017.

En Allemagne, le thème du logement s’est invité dans la campagne électorale de 2017. Au cours des années 2000, le gouvernement fédéral a appliqué aux logements sociaux les mêmes règles qu’au logement privé. De nombreux bailleurs sociaux ont été privatisés et une part importante du parc social avait été vendue à des investisseurs. Confrontée depuis quatre ans à une pénurie de logement, Angela Merkel a annoncé qu’elle comptait, lors de son prochain mandat, lancer la construction de 1,5 million de logements. La France dépense 0,8 % de son PIB en aide au logement, l’Allemagne 0,5 %, et si outre-Rhin les prix du privé sont moins élevés, les ménages allemands font face aux mêmes difficultés pour se loger.

11 millions de Français dans le parc social

Quel que soit le pays de l’UE, les demandes de logement social sont en augmentation, notamment à proximité des grandes métropoles. Une conséquence de l’augmentation du prix du logement dans le parc privé mais également d’une répartition de plus en plus inégalitaire des revenus qui aggrave les problèmes d’accessibilité à un logement. Le coût du mal logement en Europe s’élève à 194 milliards d’euros par an et, affirme Cédric Van Styvendael, un plan d’investissement massif en faveur du logement couterait 298 milliards d’euros. Cela semble colossal mais cela ne représente que 18 mois de dysfonctionnements liés à une politique du logement insuffisamment volontariste en matière de logement.

Le secteur du logement social français loge 11 millions de personnes et génère 300 000 emplois, rappelle l’USH. En faisant assumer les économies envisagées par le seul parc HLM et ses locataires, le gouvernement nuirait à très court terme à la qualité du parc social, à son entretien, à sa modernisation et mettrait en cause le secteur social.

Le 17 octobre 2017, Housing Europe doit présenter devant les parlementaires européens son rapport sur l’état du logement dans l’UE. Un des enjeux pour cette fédération : convaincre les principaux acteurs des grandes métropoles de continuer de défendre le modèle du logement social. Certaines métropoles ont compris qu’elles avaient besoin d’un secteur de logement social solide, conclut Cédric Van Styvendael. Parce que c’est ce qui va construire l’attractivité de ces territoires, tout en logeant tout un chacun, ceux qui travaillent mais également les plus fragiles.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante