La Grande Retirada

Histoire par Christophe Chiclet

Camp de Gurs, panneau mémoriel. Par Claude Truong-NgocTravail personnel, CC BY-SA 3.0

Il y a exactement 80 ans, 500 000 républicains espagnols franchissaient les Pyrénées. Tristes commémorations d’un accueil français particulièrement odieux à l’heure où l’Espagne veut retrouver sa mémoire de la guerre civile.

En ce petit matin du 7 avril dernier, ils étaient nombreux dans les Pyrénées atlantiques à se retrouver à Gurs, là où, il y a exactement 80 ans, la IIIe République « inaugurait » l’ouverture de ce camp de transit pour les réfugiés espagnols rescapés de la terrible guerre civile. Survivants, leurs enfants, petits-enfants, drapeaux rouge-jaune-violet de la République espagnole, vert-rouge-blanc des Basques, ainsi que les étamines couvertes d’honneur des combattants espagnols de la 2e D.B. de Leclerc et des maquis du grand sud flottaient au vent. Camp de « transit », doux euphémisme pour vingt-cinq camps disséminés dans tout le sud de la France, construits en urgence en ce printemps 1939 par une Troisième République qui semblait se satisfaire de l’assassinat financier du Front populaire, avant de s’auto-dissoudre à Bordeaux quelques mois plus tard, se jetant dans les bras du sauveur de Verdun, un certain maréchal Pétain qui fut le premier ambassadeur de la République française auprès du gouvernement franquiste de Burgos en 1938 !

De transit, ils n’avaient rien, ressemblant à ces immondes baraques que le Reich avait déjà construites dans l’Allemagne nazie dès 1933. A Gurs, 25 000 Espagnols, essentiellement des Basques, s’y installeront dans le froid, les rations de misère, les coups des gendarmes. Ils seront rejoints par les Juifs étrangers (dont Hannah Arendt) raflés par Vichy. Sur les plages d’Argelès, femmes et enfants dormiront à même le sable alors qu’en ce printemps particulièrement froid, le thermomètre passera sous le zéro.

Avec le régime de Vichy la situation des emprisonnés va se détériorer. Mais avec l’occupation de la zone libre en novembre 1942, les malheureux passent sous la botte allemande. Des milliers d’entre eux seront directement envoyés dans les camps de la mort. Les autres, esclaves modernes, construiront la base sous-marine de Bordeaux et une partie du mur de l’Atlantique.

RÉSISTANTS EN ESPAGNE – RÉSISTANTS EN FRANCE

Le 17 juillet 1936 un quarteron de généraux félons organise un pronunciamiento pensant renverser la République en quelques jours. La réaction des ouvriers et d’une grande partie de la paysannerie fera échouer le plan des putschistes. La guerre civile va durer trois ans, faisant plus d’un million de morts. Les troupes de Franco vont occuper en un an tout l’ouest du pays. Avec l’aide militaire de Mussolini et d’Hitler, elles vont finir par couper la zone républicaine en deux après la bataille de Teruel début 1938. Mais le peuple espagnol résistera encore plus d’un an. Le 26 janvier 1939, Barcelone la révolutionnaire est abandonnée et 500 000 personnes remontent vers la frontière française, en camions, en charrettes, à pied, le long de la mer pour les plus chanceux, à travers les cols enneigés de Catalogne pour les autres. Colonnes de civils mêlées à l’armée républicaine en pleine débâcle, minée par les querelles internes et la politique pernicieuse d’un Staline qui ne voulait pas voir la victoire d’une révolution démocratique et anti-stalinienne.

Ses réfugiés vont rejoindre la résistance française. Les anarchistes seront le fer de lance de la Neuve, la première brigade de la division Leclerc à entrer dans Paris. La brigade Euskadi des Basques va libérer les poches du Médoc et de Royan au printemps 1945. La plupart des villes moyennes du grand sud seront libérées grâce à l’aide des Espagnols qui ont rejoint en masse les maquis du Sud-ouest et du Massif central. Toulouse deviendra la capitale de la République espagnole en exil, avec de fortes communautés à Bordeaux et à Paris. Plusieurs UD et UL de la toute jeune CGT-FO ont pu être créées grâce à l’aide de ces militants aguerris.

Avec le retour à la démocratie en Espagne en 1975, les nouvelles autorités ont imposé une chape de plomb de l’oubli, soi-disant garante de la « concorde nationale ». Mais comme au Rwanda ou en Bosnie, la mémoire des peuples massacrés ne peut être occultée et depuis 2002 en Espagne, l’« Association pour la récupération de la mémoire historique » œuvre à ce travail de mémoire. De la Galice à l’Andalousie des charniers sont enfin fouillés [1] et les cadavres des suppliciés, des fusillés de la République reviennent hanter les nostalgiques du franquisme.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1En 2009, le courageux juge Baltasar Garzon avait engrangé 133 708 dossiers de disparus.