La guerre des économistes est déclarée

Actualités par Nadia Djabali

L’augmentation ou non du Smic occupe une place de choix dans le débat économique. © HAMILTON / REA

Un ouvrage publié cet automne par deux économistes ayant pignon sur rue a mis le feu aux poudres. Un pamphlet qui, sous couvert de rétablir une neutralité scientifique, comporte des enjeux politiques et sociaux.

Les économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg ne doutent de rien. Ils se sont attaqués cet automne à la question qui agite les sciences économiques et plus largement l’ensemble des sciences humaines depuis des décennies : ces disciplines relèvent-elles des sciences dites dures, telles que les mathématiques et la physique, ou sont-elles des sciences historiques ? Les premières proposant des lois valables en tout lieu et en tout temps. Les deuxièmes étant tributaires des contextes locaux et historiques. Le débat peut paraître dérisoire pour beaucoup mais attention, quand la pensée économique est convoquée, la pensée politique n’est jamais très loin.

Les hostilités ont été ouvertes lorsque les deux auteurs ont publié en septembre un essai intitulé Le négationnisme économique. Et comment s’en débarrasser (Flammarion). Le message principal : seuls les authentiques spécialistes de l’économie sont légitimes pour parler d’économie.

Pour les deux chercheurs, l’économie est une science expérimentale qui a pour but de mettre en relation des causes et des effets. Lorsque les pouvoirs publics mettent en œuvre des mesures, par exemple une augmentation du Smic, le travail de l’économiste consiste à comparer des groupes au sein desquels cette mesure a été mise en œuvre, avec des groupes où elle n’a pas été mise en œuvre. Une fois l’étude terminée, elle est publiée et contrôlée par d’autres économistes.

Vrais et faux économistes

Mais ces conditions ne suffisent pas. Pour être un « authentique » économiste, il faut développer une pensée selon laquelle l’économie ne peut fonctionner que sur le mode de l’efficacité. La concurrence libre et non faussée générant des résultats efficaces, tant sur le plan de la macroéconomie que sur celui de la distribution des revenus. Pour ces économistes, l’intervention de l’État est dangereuse et inefficace car elle perturbe les mécanismes du marché.

Une position loin de faire l’unanimité. Notamment chez les économistes hétérodoxes pour qui cette discipline est foncièrement une science sociale et historique. Le système capitaliste a subi des transformations, notamment avec l’émergence d’un capitalisme financier qu’il faut étudier. Ce dernier, foncièrement instable, génère des inégalités. Le rôle de l’État consistant, entre autres, à rééquilibrer ces inégalités par la redistribution de la richesse.

Les orthodoxes dominent actuellement le débat économique. Mais la frontière entre orthodoxie et hétérodoxie est mouvante et toute critique du capitalisme est considérée par les orthodoxes comme un passage à l’hétérodoxie.

En parlant de « négationnisme », l’ouvrage frôle implicitement l’amalgame entre des historiens d’extrême droite et des économistes critiquant les effets néfastes du capitalisme.

L’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg est avant tout une violente charge contre les économistes hétérodoxes. Et parmi eux, les « économistes atterrés » sont particulièrement mis à l’index. Et le lexique des auteurs est on ne peut plus clair : Croyances infondées, obscurantisme, négationnisme, travestissement du mensonge en vérité, inféodation à des croyances et des idéologies.

La palme revenant à l’expression retenue pour le titre : « négationnisme », qui fait référence à la négation du génocide nazi. Mettant ainsi dans le même sac des historiens d’extrême droite tels que Henry Roques et Robert Faurisson et des économistes critiquant les effets néfastes du capitalisme, comme Gaël Giraud, Philippe Askenazy, Thomas Coutrot, Henri Sterdyniak, Frédéric Lordon. Même le sociologue Pierre Bourdieu en prend pour son grade.

Reste à savoir si cette neutralité politique tant réclamée par les deux auteurs n’est pas un faux-semblant. La sphère politique recourant en permanence à l’analyse économique pour mettre en place et évaluer les politiques publiques. 

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante